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H. VAN ASSCHE.

Il est des artistes privilégiés que les glaces de l'âge semblent ne pouvoir atteindre; qui, lorsque tous les autres cessent de produire, retrouvent encore cette vigueur de conception, et cette fraîcheur de pensées que l'on croit l'appanage exclusif de la jeunesse. M. Van Assche perpétue chez nous cet étonnant phénomène : après quarante ans de succès, il se maintient encore, non pas au niveau, mais à la tête de nos paysagistes les plus remarquables. L'Exposition de cette année le reporte même bien loin en avant du point où l'avait maintenu, quelque temps stationnaire, une longue maladie.

La cascade de la Toccia, et La vallée d'Unspunnen sont deux tableaux que l'on peut hardiment mettre

à côté des meilleures productions que nous envoient les étrangers.

Honneur donc au patriarche de la peinture belge, il soutient dignement la renommée de son pays et la sienne! On peut sans danger rendre un éclatant hommage au talent et au caractère d'un homme comme M. Van Assche; on ne craint pas d'enfler outre mesure sa vanité, on ne craint pas non plus d'exciter la jalousie de ses confrères. Ce n'est pas une réputation à faire, c'est une gloire qui se continue, qui se soutient dans tout son lustre. Elle n'offusque plus aujourd'hui les yeux, dès longtemps ils se sont accoutumés à son éclat.

Et M. Van Assche unit un si beau caractère à son beau talent! Il n'est pas un jeune artiste qui ne se loue de ses procédés. Membre de la Commission Directrice de l'Exposition, il a montré une équité et une fermeté remarquables pour le placement des tableaux, opération qui soulève tant de susceptibilités. Il y a même montré un désintéressement personnel dont on trouverait difficilement un second exemple dans les annales des Expositions. Lorsque le tableau de M. Gallait arriva, plusieurs jours après l'ouverture du Salon, aucune place convenable ne restait pour l'y suspendre. M. Van Assche relégua un de ses propres tableaux au troisième rang, pour donner sa place à Montaigne visitant le Tasse. Ce trait

fait honneur à la fois au jeune talent, qui a eu assez d'empire sur l'artiste pour le déterminer à ce sacrifice, et au vétéran, qui a trouvé tout naturel de donner, même à son détriment, une place avantageuse à l'œuvre de son jeune compatriote.

Nous citons ce trait avec d'autant plus de plaisir que M. Van Assche n'y a mis aucune ostentation, et qu'il était étonné qu'on y eût pris garde.

Trois tableaux de M. Van Assche décorent le Salon : no 472, Cascade formée par la Toccia', dans la vallée du même nom, canton du Tessin, Suisse italienne; no 473, La vallée et le ravin du château d'Unspunnen, canton de Berne ; et no 474, Un moulin sur la Dendre.

Le premier de ces tableaux est placé devant celui de Gudin, et c'est sans doute un voisinage bien dangereux. Cependant, si après avoir longtemps examiné La vue d'Alger, si éblouissante, vous portez les yeux sur la Cascade de la Toccia, vous reconnaissez que tous les deux reproduisent une nature différente avec un talent également supérieur.

La cascade se précipite en bouillonnant dans la vallée ; elle descend entre de hautes montagnes où ne croissent que des sapins, sur des roches détachées par l'effort des flots. Les premiers plans sont d'un vert cru, qui carac

'Hauteur, mètre, 1,69; largeur, mètre, 2,06.

térise bien la fraîcheur presque hibernale de ces lieux élevés. Tant que l'on reste les yeux fixés sur cette partie du site en admirant les eaux qui se brisent en mille façons, on a froid, et c'est un effet que le peintre a voulu rendre comme il l'a éprouvé en peignant cette vue d'après nature. Vers le milieu de la toile, une montagne isolée se montre éclairée par les feux d'un ciel chaud et orageux. Le versant gauche de cette montagne est dans l'ombre, et la lumière joue autour des autres côtés.

L'artiste a su mettre un immense espace dans ce tableau, on y sent l'air circuler. La lumière y est prodiguée dans la partie supérieure avec une grande magnificence, c'est un des plus admirables spectacles que l'on puisse contempler. Malgré le beau contraste des premiers plans avec les derniers, l'aspect de cette peinture est plein d'harmonie; les gradations y sont habilement ménagées, on gravit ces montagnes, et en les gravissant on voit l'horizon s'étendre devant soi, on sent l'air devenir plus subtil, on respire avec plus de liberté. A mesure que l'on s'approche de ces sommets éblouissans, l'esprit s'élève aussi, les pensées y arrivent en foule, plus nobles, plus pures, plus élevées.

M. Van Assche a réussi parfaitement à reproduire avec le site lui-même l'impression que sa vue ferait

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