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éprouver. Il doit ce beau triomphe à la vigoureuse conception de son effet principal, à la savante exécution de ses détails, à la combinaison harmonieuse de sa lumière et de ses ombres."

Le n° 473 est encore une vue de Suisse, mais d'un effet différent. On découvre au fond, comme une immense pyramide tronquée, la Jung-Frau (la Vierge), montagne éternellement couverte de neige, et à gauche le Moncle (le Moine), que ce blanc linceul ne quitte pas davantage. De ces hauteurs sublimes, votre œil descend à droite et à gauche sur des collines moins élevées qui enserrent la vallée du château d'Unspunnen, dont les tours ruinées apparaissent à droite. A l'opposé est un village au pied de l'autre montagne. Au milieu, un chalet entouré de prairies; on y arrive par un chemin étroit, bordé de chaque côté par des précipices. Des vaches paissent dans la prairie, des villageois gagnent le chalet. Le ciel est beau, l'air est vif, un nuage flotte entre la vallée et la Jung-Frau. Une gerbe brillante de lumière est jetée sur le milieu de la gorge entre les deux chaînes de montagnes, elle produit un effet charmant. De légers brouillards glissent le long des flancs des hautes collines. Toutes les qualités qui ont dès longtemps établi la réputation de M. Van Assche se retrouvent dans ce tableau, moins remarquable sans doute que le premier

dont nous avons parlé, mais digne du maître, sous tous les rapports.

Le petit, no 474, présente des détails d'exécution de la plus grande finesse; c'est cette touche moëlleuse et ferme qui fait le charme des petits tableaux de M. Van Assche : Là, vous retrouverez le type original de ces troncs d'arbres, de ce feuillé, de ces terrasses, de ces fabriques, servant de thème à une foule de nos paysagistes, qui se traînent péniblement sur les traces de leurs maîtres, à une distance plus ou moins considérable.

Nous répéterons, en terminant cet article, ce que tout le monde a d'ailleurs prononcé avant nous :

Honneur au doyen des peintres belges; il soutient dignement la gloire de son pays et la sienne!

HENRI DE COENE.

Nous avons longuement parlé de l'école de M. de Braekeleer, et nous avons détaillé les tableaux de ses jeunes élèves, moins encore à cause de leur mérite, que parce que nous avions remarqué avec satisfaction le choix heureux de la plupart de leurs sujets.

S'ils ont pris leurs modèles dans le peuple, s'ils ont voulu peindre ses mœurs, ils n'ont pas été chercher le peuple en guenilles, abruti par les vices et les honteuses habitudes. Tous, au contraire, nous ont montré des scènes de famille empruntées à la vie des honnêtes artisans. La propreté et l'ordre règnent dans ces intérieurs, le calme et le bonheur sont sur toutes ces physionomies, les gestes sont naïfs, les expressions sont douces.

La vue de ces tableaux a quelque chose de consolant.

On se persuade en les regardant qu'il existe en effet une classe respectable et bien précieuse à l'État, entre la populace ignoble et brutale, et la haute société civilisée jusqu'à la corruption.

L'ouvrier soigneux et économe s'arrête avec plaisir devant les petites toiles de ces jeunes gens qui ont compris la moralité du peuple ; ils s'y reconnaissent, dans leurs tranquilles et simples récréations, dans les événemens ordinaires et peu variés de leur utile existence. Ils voient avec satisfaction que l'on s'occupe d'eux, non plus pour les peindre en laid, mais pour mettre en évidence leurs qualités honorables et leurs mœurs dignes de respect. M. Henri de Coene a-t-il pensé donner quelque enseignement utile dans les tableaux qu'il a produits au Salon cette année? Il nous dira peut-être qu'il ne pense pas que les productions des arts doivent toujours porter avec elles leur utilité pratique, et que l'on peut faire d'excellens tableaux sans y mettre un enseignement pour qui que ce soit. D'accord; trop d'exemples viendraient à l'appui de cette réponse pour que nous pensions à en nier la valeur. Mais nous demanderons à ce peintre si, à défaut de l'utile, il n'aurait pas pu mettre l'agréable dans ses compositions. Sacrifier l'utile à l'agréable, la morale n'y gagnera pas; on pourra toutefois fermer les yeux, si cette infraction a lieu au profit

de l'art; mais si l'art lui-même est sacrifié, si au laid moral on réunit le laid physique, si une exécution supérieure ne rachète pas ce mauvais choix du sujet, que reste-t-il à admirer?

Nous éprouvons une véritable peine à voir la route que M. de Coene a prise depuis quelque temps. Il paraît s'être exclusivement voué au culte de l'ignoble. Nous en sommes d'autant plus pénétré que cet artiste avait débuté avec éclat, que nous le croyons capable de bien faire, et que nous nous rappelons de fort bons ouvrages dus à son pinceau.

Le retour d'un pèlerinage, no 71, est placé comme pour servir de contraste au joli tableau de M. Hunin. Autant l'un présente le peuple sous un aspect honorable, autant l'autre le montre sous une face haïssable. Dans le retour du pèlerinage, c'est un choix de figures communes. Vous voyez, sur le devant, un homme assis par terre, occupé du soin le plus dégoûtant de la toilette d'un piéton. Comment un peintre ne sent-il pas que de tels objets doivent inspirer le dégoût? N'en a-t-il pas éprouvé lui-même en le peignant, s'il s'est servi d'un modèle ? Certes, il y a des circonstances où, pour compléter une scène importante, un artiste est obligé de surmonter ses dégoûts, et de présenter au public des objets hideux; mais ici, à quoi bon?

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