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binet richement meublé, table et fauteuils en bois d'érable incrusté de palisandre, bureau d'acajou, surmonté d'une bibliothèque, cheminée ornée d'une glace, d'un ependule en bronze doré, de vases en porcelaine avec des fleurs artificielles, lampe en bronze doré, suspendue au plafond. Un tapis sur le parquet de sapin ciré. Sur la jolie table ronde est placé un damier, champ de bataille où s'escriment de leur mieux une jeune personne de dix-huit à vingt ans, et son père. Celui-ci a les dames blanches, celle-là les noires. Si l'on considère la position des dames, pour expliquer l'intention du peintre, on comprend bien pourquoi la jeune personne paraît si embarrassée; pourquoi le jeune homme, debout auprès d'elle, fait un geste qui semble indiquer qu'il va suggérer à sa sœur un moyen de se sauver. En effet, la jeune demoiselle est sur le point d'avoir perdu tous ses pions sont dans un coin, retenus par une dame-damée qui domine la seule ligne sur laquelle elle pourrait avancer. Mais il y a une ressource; on peut retarder le moment de la défaite en sacrifiant un pion.

Beaucoup de peintres auraient représenté le damier de telle sorte, qu'il n'eût pas été possible de juger de la position respective des combattans; M. Dyckmans l'a rendu avec tant de justesse et de vérité, qu'on y voit

tout absolument; alors on est tenté de vérifier ce coup qui fait le sujet du tableau, et de s'assurer qu'il motive réellement les expressions que l'artiste donne à ses personnages, et cette vérification contenterait le joueur le plus expérimenté.

La jeune personne, embarrassée de la manière dont elle va jouer, est accoudée sur la table et se mordille les ongles assez légèrement pour que l'action ne manque pas de convenance. L'expression de sa figure est bien celle que donne à un joueur de dames ou d'échecs la présence d'une grave difficulté. Le frère a bien aussi le mouvement, le geste et l'empressement de ces spectateurs, insupportables aux joueurs, qui ne peuvent résister à la démangeaison de donner des conseils. Le père fait bien sentir, par le geste de son bras, qui repousse doucement la main du jeune homme, combien son conseil serait déplacé, tandis que sa figure exprime le plaisir et la certitude du triomphe qu'il entrevoit. Pourcompléter la scène, l'artiste a placé dans le fond, en face, la mère, occupée à quelque ouvrage à l'aiguille, s'interrompant un instant pour regarder le résultat de la partie; ains toute la famille s'y trouve.

Ce qui mérite surtout des éloges dans ce tableau, c'est l'exécution extraordinairement soignée des étoffes: la robe de soie de la jeune fille, son tablier de foulard,

l'habit du frère, sa cravate, son gilet, la redingote de drap blanc du papa, son pantalon, ses pantoufles vertes, son foulard sortant de sa poche, les meubles, le tapis, les ornemens de la cheminée sont de véritables trompe-l'œil.

Par sentiment de reconnaissance pour son maître, M. Dyckmans a appendu à la muraille du cabinet un cadre où se voit la gravure du Bourgmestre de Leyde: c'est une heureuse idée qui a fait généralement plaisir.

Le dessin du tableau dont nous nous occupous n'est pas toujours très-correct les mains, cet écueil où échouent bien des dessinateurs, cette pierre de touche qui fait reconnaître un talent assuré, pèchent en plus d'un point dans La partie de dames. Nous signalerons particulièrement celle que la jeune fille tient sur son tablier, et celles du père.

Nous blâmerons encore la trop grande fraîcheur de l'ensemble et le ton uniforme qui donne à tous les objets un reflet soyeux dont les chairs même ne sont pas exemptes. Que le jeune peintre y prenne garde, en voulant être trop fini, il deviendrait affecté et fade, et sa peinture ressemblerait à de la porcelaine. Il possède de précieuses qualités, il ne doit pas s'y tenir exclusivement, et vouloir les trop perfectionner; il en est d'autres qui lui manquent que ses études et ses réflexions se portent vers celles-là.

VAN MARCKE.

Ce peintre, à qui nous avons plus d'une fois reproché de se traîner sur les traces d'un maître, plutôt que de copier la nature, nous paraît être entré dans une route plus originale. Sans le secours du livret, on le reconnaîtrait difficilement dans les trois tableaux qu'il a envoyés à notre Salon. Nous le félicitons de ce changement, il vaut mieux être original avec moins d'éclat, que d'emprunter d'un autre tout celui dont on brille. La vue prise à Jupille, près de Liége, no 519, nous a parue d'ailleurs et plus vraie, et en même temps mieux composée que ce que ce peintre nous avait montré jusqu'ici. On n'y retrouve plus ni ce dessin roide, imitation maladroite du genre d'Isabey, ni cette couleur de convention toujours d'un lilas foncé dans les lointains. Ici

nous voyons avec plaisir des arrière-plans bien gradués, acquérant une finesse agréable à l'œil, un ciel gracieusement varié. Quoique la vue ait été prise d'après nature, elle laisse percer des intentions d'arrangement et de composition très-louables. La partie droite du tableau, où l'on trouve un chemin élevé passant entre deux bouquets d'arbres, est du plus agréable effet.

Les deux pendans, nos 520, 521, méritent aussi des éloges. Nous ferons toutefois à M. Van Marcke une observation qui porte particulièrement sur son grand tableau. Les premiers plans en sont secs, le grand arbre du milieu n'a pas un feuillé assez bien étudié, il dépare un peu l'ensemble.

Au reste, ce peintre est dans la voie du progrès.

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