Images de page
PDF
ePub

Notre-Dame de Courtrai. L'armée flamande offre un mélange plus varié; on reconnaît que c'est une nation qui combat pour ses foyers, un peuple qui se bat chez lui. Plusieurs n'ont quitté leurs occupations que de la veille, comme ce Guillaume van Saeftingen, dont la lourde massue' a renversé le comte d'Artois.

Le commandant des troupes françaises, celui sur qui reposait le destin de cette journée, est tombé avec son che

1 Guillaume Guiart nous a laissé une précieuse Chronique métrique des royaux lignages, publiée dans la collection des Chroniques françaises du savant J. A. Buchon. Paris, Verdière, 1828, vol. VIII. Cet auteur, qui fut blessé à la journée de Mons-en-Puel, et qui écrivit sa chronique à l'hôpital d'Arras, en 1504, avait sans doute assisté aussi à la bataille de Courtrai, qu'il raconte avec les détails les plus minutieux et les plus instructifs. Voici comment il décrit, page 210, vers 5428, les terribles massues sous les coups desquelles tant de Français succombèrent dans la plaine de Groningue.

A grans bastons pesanz ferrez,

A un lonc fer agu devant,

Vont (les Flamands) ceux de France recevant.

Tiex bastons qu'ils portent en guerre

Ont nom Godendac en la terre,
Godendac, c'est bon jour à dire,
Qui en françois le veut descrire.
Cil baston sont lonc et traitiz,
Pour férir a deuz mainz faitiz.
Et quant l'en en faut au descendre,
Se cil qui fiert i veust entendre,
Et il en sache bien ouvrer,
Tantost puet son cop recouvrer
Et férir, sans s'aler moquant,
Du bout devant, en estoquant,
Son ennemi parmi le ventre.
Et li fers est aguz qui entre
Légièrement de plaiune assiète,
Par tous les lieux où l'on en giète,
S'armeures ne le détiennent.

val; il avance le bras pour remettre son épée. Le boucher de Bruges lui appuie le genou et le poing sur la poitrine, et, de la même hache dont il abat les bœufs, il va achever le malheureux prince.

La crise est terrible, l'anxiété est affreuse.

L'ascendant qui vous retient devant cette toile est si fort, il résulte d'un ensemble si sagement combiné, qu'on éprouve une grand difficulté à en extraire un personnage pour l'examiner en détail, pour en faire l'analyse; le tableau contient au moins quarante figures dont il faudrait parler successivement. — Après avoir remarqué la belle disposition du groupe principal et la manière naturelle dont les épisodes y sont liés, voyons sur chaque figure les expressions justes, en situation, le parfait accord du geste avec le sentiment.

Étourdi d'une chute violente, couché sur le dos, fixé par terre, le prince reconnaît le danger qui l'environne. L'angoisse intérieure qu'il éprouve se réfléchit dans ses traits, vivement agités, mais qui conservent un caractère noble et digne.

Il a cherché autour de lui quelque ami qui lui prêtât le secours de son bras, ses yeux n'ont rencontré que des figures féroces, acharnées à sa perte; il ne demande plus maintenant qu'un chevalier digne de l'honneur de recevoir son épée, arme inutile désormais dans sa main.

La mort, qu'il voit déjà sanglante sur la hache du boucher de Bruges, ne l'épouvante plus; il a fait tout ce qu'un homme de cœur pouvait faire; il tombe sur un lambeau de l'étendard de Flandre qu'il a déchiré de ses mains.

L'énergique frère-lai de l'abbaye de Ter Doest est debout à droite; il tient en main la massue qui vient d'abattre le comte. Il en a fait assez, pour lui; il laisse aux autres le soin d'achever son ouvrage. 11 y a tout un poëme de cruelle satisfaction dans son regard, dans son geste, dans sa pose. L'exécution de toute cette figure est aussi admirable de coloris, que de dessin et d'expression.

Le boucher, à la chevelure rousse, aux bras nerveux, à la poitrine palpitante et forte, est posé comme un athlète terrassant son adversaire. Cette main et ce genou qui pressent le prince sont comme des tenailles de fer inflexibles. On voit dans les yeux de cette bête féroce, à la fureur dont elle est animée, que d'horribles mutilations suivront le coup qui tranchera la vie de la victime.

A côté de cette tête hideuse, et pourtant d'une frappante vérité et d'une parfaite exécution, deux autres têtes, plus jeunes, forment un heureux contraste. Chez ces deux jeunes hommes que l'on voit derrière le boucher, on aime à retrouver des sentimens humains, des traits

passionnés, mais animés de passions plus nobles. Ces deux têtes sont d'une grâce remarquable, particulièrement celle qui se trouve un peu au-dessus du boucher, et dont le vêtement est vert. Elle rappelle, sans plagiat, le beau type que Rubens a donné à saint Jean, le disciple bien-aimé, dans plusieurs de ses tableaux.

A droite de Guillaume van Saeftingen, le carme semble l'engager à la miséricorde, et prier en même temps pour l'âme des morts. De l'autre côté, une vieille femme, véritable mégère, l'a saisi par le bras et s'efforce de le montrer à ceux qui l'entourent comme le héros libérateur de la patrie, comme celui qui a frappé le dévastateur de leurs champs. Ces deux têtes jettent une heureuse variété, par des oppositions bien combinées. Cette femme, vous l'avez vue partout dans les émeutes populaires, ou dans les disputes de carrefours; c'est la nature prise sur le fait.

Sur le devant, un guerrier armé de toutes pièces retient le prince par les cheveux et apprête son poignard pour l'en frapper.

Ce personnage exige une réflexion à laquelle il se mêlera quelque critique. Si nous avons bien saisi l'intention du peintre, il a voulu faire sentir, par des traits de caractère, les deux élémens distincts dont se composait l'armée flamande d'une part le peuple

des villes et des campagnes, armé à la hâte pour repousser l'agression étrangère; ce peuple, animé, furieux, ne connaissant pas de mesure, se battant comme un lion, déchirant son adversaire comme un tigre; de l'autre les troupes réglées, allant au combat avec ordre, portant leurs coups avec prudence, sachant contenir leur emportement. Cette distinction est sage, elle dénote dans l'auteur de la réflexion et un bon jugement. Mais nous pensons que dans la figure dont nous nous occupons, cette intention est exagérée; que ce soldat est trop calme; que le mouvement de son bras gauche surtout est trop incertain, et n'est pas en rapport avec celui du bras droit, dans lequel il y a de l'énergie.

Sa pose a quelque chose d'embarrassé qui tient à la difficulté de se mouvoir dans son armure de fer, mais qui n'est pas d'un heureux effet à la place qu'il occupe. Ses proportions paraissent aussi quelque peu colossales, eu égard aux dimensions de sa tête.

Si de ce groupe principal nous passons aux épisodes, nous trouvons des détails pleins de variété et d'un puissant intérêt.

Dans le coin, à droite du tableau, un jeune combattant de l'armée flamande est étendu sans vie; le sang s'échappe par ses nombreuses et profondes blessures. Une

« PrécédentContinuer »