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de l'exécuter, beaucoup moins de matérialisme que chez ses confrères. Il est du petit nombre de ceux qui donnent à la pensée le pas sur la forme, non qu'il néglige celle-ci, mais parce qu'il la subordonne à l'autre.

La dernière Exposition de Paris a été pour notre artiste l'occasion d'un beau triomphe. L'ange gardien reçut les plus brillans éloges des meilleurs critiques de la capitale. Cet ouvrage, d'une haute importance, a été apprécié d'une manière si supérieure par M. Alfred de Musset, que nous ne pouvons résister au plaisir d'emprunter une partie de son article, peu connu d'ailleurs en Belgique.

« Je pourrais faire à M. De Caisne un beau compliment sur son Ange gardien. Durant les premiers jours où je visitais le Musée, je consultai l'un de nos poëtes, et si je ne craignais de le nommer, j'ajouterais que c'est le premier de tous'. Après Robert (dans l'ordre musical), l'Ange gardien l'avait surtout frappé. « Dites hardiment, me répondit-il, que c'est un des plus beaux tableaux du salon. »

« J'ai cependant entendu depuis bien des critiques sur cet ouvrage. On veut retrouver dans l'enfant en

Nous pouvons affirmer que le poëte désigné ici par M. Alfred de Musset, n'est autre que M. de Lamartine.

dormi un souvenir de Rubens; on reproche à l'ange d'être vêtu de soie, on le voudrait en robe blanche, on se rappelle certaines toiles du même auteur, qui étaient loin de valoir celle-ci; on les compare, on on les oppose; enfin on dit que tout est médiocre ; tout est médiocre; mais pour profiter du conseil, je dirai hardiment qu'on ne me convainc pas. La tête de l'ange est admirable, dans toute la force du terme; le reste est simple et harmonieux. Le sujet d'ailleurs est si beau, qu'il est de moitié dans l'émotion que j'éprouve : un enfant couché dans son berceau, une mère qu'assoupit la fatigue, et un ange qui veille à sa place. Quel peintre oserait être médiocre en traitant un pareil sujet. La palette lui tomberait des mains!

Que M. De Caisne conserve la sienne, et, s'il m'est permis de lui parler ainsi, qu'il regarde attentivement ce qu'il vient de faire. On dit que la tête de son ange est celle d'un enfant de quatorze ans ; je souhaite que cette supposition soit vraie; elle prouverait beaucoup en faveur du peintre. Le grand principe qu'a posé Raphaël, et qui a fécondé tout un siècle, n'était pas autre que celui-ci se servir du réel pour aller à l'idéal. Il n'en a pas fallu davantage pour couvrir l'Italie de chefs-d'œuvre et l'embraser dú feu sacré.

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Quelle que soit la route qui ait conduit M. De Caisne

au résultat qu'il nous montre aujourd'hui, il est arrivé. Qu'il saisisse cette phase de son talent; qu'il renonce pour toujours à ce cliquetis de couleurs, à ces petits effets mesquins qu'il a cherchés naguère encore dans ses portraits; qu'il prenne confiance en son cœur, et, en même temps, qu'il se défie de sa main. Que les yeux calmes de son ange lui apprennent qu'il n'y a de beau que ce qui est simple. Qu'il ne veuille pas faire plus qu'il ne peut, mais qu'il soit ce qu'il doit être. Puisse-t-il retrouver souvent une inspiration aussi heureuse. S'il voit desg ens qui passent devant sa toile et qui se contentent de ne pas dédaigner, qu'il laisse ceux-là aller à leurs affaires, ou se pâmer devant le bric-a-brac, le temps n'est pas loin où le romantisme ne barbouillera plus que des enseignes.

« Si j'adresse à M. De Caisne, que je ne connais pas, ces conseils peut-être un peu francs, c'est que j'ai été, sur une autre route, assurément plus dans le faux que lui; je n'ai pas fait son Ange gardien, mais je le sens peut-être mieux qu'un autre. Je le louerais moins si l'auteur avait mieux fait jusqu'à présent; mais qu'il tienne bon et prenne courage; le cœur, quand il est sain, guérit toujours l'intelligence'.

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1 Revue des deux mondes, avril 1856.

Nous avons cité ce passage avec d'autant plus de plaisir qu'il exprime, infiniment mieux que nous n'aurions le faire, les réflexions que nous a suggérées la vue de l'Agar, dont nous parlerons tout à l'heure.

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Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de signaler, en passant, le jugement sévère porté par l'auteur de La ballade à la lune, des Contes d'Espagne et d'Italie, sur les ouvrages de sa jeunesse. M. Alfred de Musset à prouvé, par plusieurs scènes du Spectacle dans un fauteuil, que les secrets de la belle et pure poésie ne lui sont pas étrangers: tous les gens de goût et de sens ont compris que le jeune auteur, à son début, a dû, comme bien d'autres, se faire une originalité quelconque, même aux dépens de l'art, pour attirer vers soi l'attention d'un public aussi difficile à attacher que le public français.

Il est noble, il est grands de reconnaître ainsi ses erreurs et de les faire servir à l'enseignement de ceux qui voudraient suivre la même route, dans quelque branche des arts que ce soit.

Notre Salon ne possède que deux tableaux de M. De Caisne, une Mater dolorosa, et une Agar dans le désert. La douleur maternelle est peinte sur ces deux toiles avec les nuances que réclamaient les deux sujets. Occupons-nous d'abord du plus important des deux.

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Quæcum abiisset, errabat in solitudine Bersabee. Cumque consumpta esset aqua in utre, abjecit puerum subter unam arborum, quæ ibi erant. Et abiit, seditque è regione procul quantum potest arcus jacere, dixit enim Non videbo morientem puerum : et sedens contra levavit vocem suam et flevit. Exaudivit autem Deus vocem pueri; vocavitque Angelus dei Agar de Cœlo dicens : Quid agis Agar? noli timere exaudivit enim Deus vocem pueri de loco in quo est. Surge, tolle puerum et tene manum illius. Quia in gentem magnam faciam eum. A peruitque oculos ejus Deus quæ videns puteum aquæ, abiit, et implevitutrem deditque puero bibere.

GENESIS, cap. xxi, v. 14 à 20.

Le peintre a supposé un moment où le jeune Ismaël, succombant à la soif qui le dévore, est sur le point d'expirer. La mère, assise par terre, le tenant sur ses genoux, relève la tête à la voix de l'ange qui lui annonce le secours du ciel. Chez l'enfant, l'exténuation est portée à son dernier période, il se meurt dans d'horribles souffrances. La douleur de la mère est profonde, mais l'espoir commence à dissiper le nuage sombre qui s'étendait sur ses traits. La figure de l'ange est calme et

1 Hauteur, mètre, 2,10; largeur, mètre, 1,45.

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