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sereine. Ce rapprochement est d'un effet sublime. La terre, le ciel, et le sentiment qui leur sert de lien : l'espérance! Heureux et poétique assemblage, conception vraiment digne d'une intelligence supérieure!

C'est faute de comprendre cette belle pensée que bien des spectateurs ont adressé à l'exécution de ce tableau des reproches qui, en réalité, sont le plus bel éloge que l'on en puisse faire. Il est arrivé à cette production ce qui est arrivé à celle de M. Gallait : peu de gens en ont compris toute la portée philosophique.

L'enfant est dans une position qui a paru à quelquesuns manquer de grâce, comme si les dernières convulsions d'un mourant pouvaient être gracieuses. Nous ne saurions trop louer l'artiste du tact infini qui lui a fait découvrir la limite précise où il devait s'arrêter dans la peinture des marques extérieures de la souffrance terrestre. Il en a fait voir assez pour exprimer son opposition, et pas assez pour être repoussant. L'expression de la mère est celle qui plaît le plus généralement, il n'y a même qu'un jugement sur cette tête. C'est aussi la plus belle, et il fallait qu'il en fût ainsi pour qu'il y eût un effet dominant dans le tableau. Cette figure, dont le sentiment participe à la fois de la douleur physique de l'enfant et de la consolation qui descend du ciel, réunit tous les caractères qui peuvent le plus puissamment

émouvoir; si vous considérez maintenant la tête de l'ange, elle ne respire qu'un seul sentiment, opposé à celui de l'enfant: cette expression est toute céleste, c'est un calme ineffable, qui, comparé à ce que la tête d'Agar a de passionné, perdrait aussi à la comparaison. Mais la question n'est pas de comparer entre eux les trois personnages du tableau pour savoir lequel on doit préférer aux autres. Ce groupe est indivisible, c'est l'ensemble qu'il faut juger. Là seulement est le sujet, tout le reste n'est qu'accessoire, un moyen pour produire un résultat. Or, nous trouvons que de la réunion de ces trois figures résulte une pensée complète et poétique au plus haut point, et c'est ce que nous recherchons avant tout dans les productions des beaux-arts.

Si nous en venons maintenant à l'examen de l'exécution, nous trouverons beaucoup d'occasions d'éloges. Le dessin de ce tableau présente un ensemble de lignes tracées avec noblesse et simplicité, un style élevé et sans emphase. Le groupe de la mère et de l'enfant ferait honneur à un statuaire par la grâce et la pureté des contours. L'ange, dont la longue robe flottante se déploie dans l'air, vole avec un parfait équilibre et se soutient mollement sur ses ailes. Il a dans sa pose toute l'aisance d'un être qui se meut dans l'élément qui lui appartient.

Le choix des types pour les figures atteste autant de goût que de jugement. La tête d'Agar, vue presque de profil et parée de ses cheveux d'ébène, est d'une beauté mâle, l'ange a bien ce caractère céleste qui appartient exclusivement à l'art chrétien, et dont on chercherait vainement le modèle dans l'antiquité.

La couleur du tableau se ressent de l'influence de l'esprit de progrès qui travaille en ce moment toute la génération artiste de France, et la pousse vers la recherche d'un coloris neuf. M. De Caisne subit cette influence, sans s'en apercevoir peut-être; son Agar ne ressemble, pour le coloris, à aucun des tableaux que nous connaissons de lui. Nous trouvons ce coloris d'accord avec le sujet, mais cependant trop sacrifié à la pensée dominante; les draperies surtout nous semblent d'une simplicité d'effet qui se rapproche de la sécheresse. Nous concevons, toutefois, qu'en présence des absurdes exagérations de quelques-uns de nos coloristes, on pousse la réaction jusqu'à l'excès.

Nous n'avons pas vu l'Ange gardien, et nous ne pouvons, par conséquent, juger si les réflexions de M. Alfred de Musset s'appliqueraient, avec autant de justesse, à l'Agar. Tout en louant M. De Caisne de l'excessive réserve qui le fait se tenir en garde contre le défaut dominant chez ses compatriotes, nous l'engage

rons à ne pas se priver toujours des avantages qu'il pourrait retirer de cette main habile qui lui a valu ses premiers succès.

Des scripturistes rigoureux pourraient encore reprocher à M. De Caisne d'avoir altéré le texte de la Bible, pour le faire concorder avec sa composition; comme le tableau ne pouvait se faire sans cette altération, nous nous garderons bien de blâmer une légère infidélité à laquelle nous devons un des plus beaux ouvrages de notre Exposition.

Mater dolorosa.

(No 70.)

La Mère des douleurs, qui se tenait debout, tout en larmes, au pied de la croix où pendait son fils, est une image supérieure à la Niobé antique; car le christianisme a imprimé sur son front le sceau divin qui doit la distinguer de toutes les filles d'Ève. Soit que Marie vous apparaisse dans la grâce pudique de ses jeunes années, soit que vous la trouviez au Calvaire, ses traits respirent un parfum céleste, au-dessus de l'humanité, que nous comprenons plutôt par l'instinct de notre

destination que par le souvenir des choses terrestres qui ont frappé nos sens. C'est là ce que nous demandons aux peintres et aux statuaires qui entreprennent de traiter l'art chrétien, C'est là ce que nous rencontrons bien rarement dans leurs ouvrages; c'est pourtant ce que nous avons trouvé dans celui de M. De Caisne. Sa Mater dolorosa a non-seulement tous les caractères extérieurs de la douleur physique et morale la plus profonde, elle possède encore ce surnaturel, cet idéal, qui résultent de l'heureuse combinaison des élémens réels que l'âme de l'artiste choisit, et dans la reproduction desquels la main est toujours guidée par le cœur. Les ouvrages conçus et exécutés ainsi, réunissent tous les suffrages, chacun y trouve le degré d'intérêt que son organisation physique et morale lui permet d'y apercevoir. Ceux-ci sont touchés par le sentiment, ceux-là sont attachés par la pensée, d'autres se sentent remués parce que leur organisme est affecté. Personne ne reste froid devant ces yeux qui roulent des larmes. M. De Caisne a mis en pratique le précepte d'Horace :

Primum ipsi tibi.

Si vis me flere, dolendum est

Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez;

comme l'a dit l'imitateur du poëte latin; sa Mater

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