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Les derniers momens des dames de Crève-Cœur, no 59, et La Vierge avec l'enfant Jésus, no 56.

Le portrait a déjà figuré à l'exposition de Liége. On y a reconnu de belles qualités de dessin, un arrangement heureux et une pose gracieuse, un pinceau facile, mais un peu de faiblesse de ton et de manque de modelé. A notre avis ce portrait pourrait devenir excellent si l'auteur le remettait sur le chevalet, et qu'elle donnât de la vigueur et du relief aux parties qui en manquent. La jeune fille conduisant ses sœurs à l'église est un petit tableau que l'on se réunit pour admirer. L'expression de bonté imprimée à la figure de la sœur aînée, est si bien sentie que l'on reconnaît que l'artiste a souvent éprouvé le sentiment qu'elle vient de peindre. Ces soins presque maternels donnés à de jeunes sœurs, mademoiselle Corr les a connus. Aussi chacun en apprécie la vérité. Les petites sœurs ont une naïveté charmante, leurs airs de tête sont gracieux et enfantins, celui de leur grande sœur a de la noblesse et de la dignité, tempérées par cette même grâce. Les costumes sont d'une élégance simple et sans recherche, de couleurs bien assorties. La longue robe traînante est drapée avec infiniment de goût. Le dessin de ce tableau est correct, la touche en est franche et ne manque pas de vigueur. Le nu y est bien modelé.

La Vierge et l'enfant Jésus.

(N° 56'.)

Il n'est pas de sujet qu'il soit aujourd'hui plus dangereux de traiter que celui que Mme Geefs a choisi. Les grands peintres de tous les pays, et les Italiens surtout, y ont réussi à un degré si supérieur, que c'est à désespérer tous les modernes. Nous avons été surpris toutefois de la manière dont notre jeune artiste s'est tirée des innombrables difficultés qui ont dû l'embarrasser dès le premier coup de crayon qu'elle a tracé sur sa toile.

Le plagiat, les réminiscences étaient surtout de dangereux écueils à éviter. Il fallait ne pas trop se rappeler Raphaël, ne pas trop se rappeler Rubens; il fallait cependant tâcher d'avoir quelques-unes des qualités de ces grands maîtres.

La Vierge, assise sur un banc au milieu d'un paysage, tient sur ses genoux l'enfant Jésus endormi. Elle a les yeux élevés au ciel, et semble absorbée dans la contemplation de son divin époux. Ce que nous louerons sur

1 Hauteur, mètre, 1,88; largeur, mètre, 1,50.

tout dans ce tableau, c'est la grâce et la pureté des lignes, l'élégance de la draperie, la noblesse et l'aisance de la pose. Le caractère de grandeur et de divinité que l'on doit exiger dans ces sortes de sujets s'y trouve peutêtre remplacé par des charmes plus terrestres. L'expression de la figure de la Vierge ne nous a pas paru répondre complétement à la pensée. Les traits sont fins et délicats, mais ils ont une teinte plus aristocratique que céleste, cette femme est plutôt une mère du monde, que la Vierge reine des cieux, la mère immaculée.

La gloire de Raphaël est fondée en grande partie sur les expressions divines qu'il a données à la mère de Dieu; c'est parce que nous avons de si dangereux objets de comparaison que nous désirons encore quelque chose devant la madone de Mme Geefs.

L'enfant Jésus, dont la pose est assez heureuse, n'est pas irréprochable quant au dessin; il manque aussi de relief et il est d'une couleur terne. Nous ne ménageons pas la critique, parce qu'il nous reste beaucoup de bien à dire, et qu'elle prouve notre bonne foi. Le fond du tableau est très-joli. Il n'y a pas jusqu'au cadre qui ne mérite qu'on en fasse mention, il présente dans ses moulures deux anges sculptés, sortis des mains de M. G. Geefs, ce qui lui donne un grand prix.

Il nous reste à parler d'un tableau, dans lequel

mademoiselle Corr a fait preuve d'une rare aptitude à traiter les sujets historiques. Les châtelaines de CrèveCœur, tableau exposé, il y a six mois, à Liége.

Nous devons, à l'occasion de ce sujet, entrer dans quelques détails historiques, indispensables pour la parfaite intelligence de la scène.

Derniers momens des dames de Crève-Cœur.

(N° 59.)

C'est à peine si l'histoire a daigné conserver le souvenir de cet intéressant épisode des guerres sanglantes du XVIe siècle. L'obscurité la plus profonde enveloppe encore les noms des héroïnes de Bouvignes; l'éclat de leur action a seul percé les ténèbres, et l'admiration indécise ne s'adresse qu'à des êtres problématiques et presque fabuleux.

Nous avons cependant été mis à même de nous former une idée précise de cet événement, du moins tel qu'il a servi de donnée à l'artiste.

Quelle que puisse être la valeur historique des documens sur lesquels cette donnée a été établie, nous allons

en communiquer la substance à nos lecteurs. Selon ces documens, les héroïnes seraient trois sœurs appartenant à l'ancienne et noble famille de Crève-Cœur ; ce nom, qui est aussi celui du château fort de Bouvignes, lui aurait appartenu longtemps avant la catastrophe qui l'a rendu célèbre, mais à laquelle il ne devrait pas sa dénomination, ainsi que quelques-uns l'ont prétendu. L'ancienne tour de Crève-Coeur était un bâtiment carré formant habitation et fermé par un fossé du côté de la plaine de Rostenne: toute cette partie existe encore. Sous le premier des comtes bourguignons on éleva deux tours rondes et on acheva le château. Ces furent joints par une muraille dont les

deux ouvrages

débris sont encore visibles.

La poterne de Crève-Cœur fixe l'âge de la grande et grosse tour en effet la pierre de recouvrement de cette poterne porte en saillie la croix de Bourgogne et le globe, ce même signe se retrouve sur toutes les poternes construites sous la race bourguignonne. C'est donc vers l'année 1429 que ces ouvrages furent ajoutés; mais, comme le nom de Crève-Coeur était déjà connu en 1300, et qu'il en est fait mention dans plusieurs actes, on peut en induire que ce château était le domaine de la famille.

Ceci posé, venons au récit de l'événement.

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