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chacun dirait en les voyant : Voilà des femmes qu'un péril imminent menace, et qui vont s'y soustraire par leur énergie. Mais quand, à travers les créneaux de la tour, vous apercevez dans le lointain le pillage, le meurtre et l'incendie, quand vous voyez les eaux de la Meuse refléter les lueurs des flammes dont la tour est presque enveloppée, le sujet est vivant sous vos yeux, vous assistez à la scène, vous voyez une création.

Oui, une création, nous appuyons sur ce mot, parce que, parmi les ouvrages de nos meilleurs peintres modernes, c'est la création que l'on cherche presque toujours en vain. Une création pour être complète doit offrir une idée unique, avec ses développemens s'y rapportant sans la diviser; ce n'est pas seulement la copie plus ou moins habile d'objets matériels rassemblés avec plus ou moins de bonheur; c'est une réunion d'objets tenant intimement l'un à l'autre, de sorte qu'on n'en pourrait retrancher ni ajouter sans modifier l'idée. L'œuvre de Mlle Corr réunit ces caractères.

La disposition des trois figures présente un groupe bien lié, bien ordonné, comme on pourrait l'exiger d'un groupe de sculpture. Le profil sévère de l'aînée se dessine sur un fond nuageux; la cadette, celle qui paraît souffrir le plus, est placée à la droite de sa sœur, le bras de celle-ci la soutient; l'autre sœur est à genoux,

à gauche, elle s'est recommandée, pour la dernière fois, à Dieu; elle relève la tête.

Cette tête, vue à peu près en raccourci, est une des plus gracieuses, elle est modelée avec une exactitude étonnante. Tous les muscles y sont sensibles dans le degré de tension que réclame la pose. Il en est de même des deux autres têtes. Les deux aînées ont les épaules découvertes, la plus jeune porte un de ces voiles pudiques qui enveloppent le cou jusqu'au menton, cette guimpe du moyen âge, comme nous la voyons dans le costume d'Isabelle de Robert-le-Diable, que certaines religieuses ont conservée. Combien le choix de ce vêtement est d'un bon effet, et comme il s'accorde avec le sentiment de compassion qu'inspire la jeune fille! C'est une de ces légères nuances de détails dont il est presque impossible d'expliquer l'effet, mais que l'on sent, et qu'une femme seule pouvait trouver.

Les mains de ces jeunes filles sont toutes parfaites. Elles ne sont point jetées dans le même moule : à l'expression de chaque main on reconnaîtrait celui des personnages auquel elle appartient.

Les costumes sont d'une grâce et d'une élégance remarquables, les couleurs en sont bien variées et bien harmonisées; les plis moelleuxet vrais.

Il y a un grand bonheur d'expression dans la manière

simple dont l'artiste a indiqué le lieu de la scène, le sommet de la tour. La croix de Bourgogne et le globe dont nous avons parlé, sont gravés en saillie sur une des pierres du parapet. L'ouverture du dernier créneau, dans la partie gauche du tableau, laisse tomber l'œil sur la campagne où coule la Meuse; et le regard, en passant, glisse le long de la courbure extérieure du couronnement de la tour, dont on ne voit que la largeur d'un pied, ce qui suffit pourtant à faire comprendre la perspective.

En résumé, ce tableau révèle dans son auteur un grand progrès, le renoncement aux moyens d'éclat, pour ne s'attacher qu'aux qualités solides, à une ordonnance simple. Plus de contorsions, plus de gestes exagérés dans le dessin; et dans la couleur, plus de fracas. La nature est assez riche par elle-même pour qu'on ne cherche pas à l'amplifier il n'y a que l'impuissance qui exagère, le véritable génie a la force d'être sage et modéré : c'est ce que bien des artistes ne veulent pas comprendre. Le fond du tableau est parfaitement approprié à la circonstance.

COURT.

Avec un seul portrait, M. Court tient une des plus belles places parmi les peintres qui ont exposé. Il est impossible de mettre plus de vie dans une figure, de donner plus de rondeur aux chairs, plus de pureté aux yeux et au front, de faire enfin autant d'effet avec des moyens aussi simples. Rien de suave comme le pinceau de cet artiste, dans les parties de son tableau qu'il a soignées, c'est une peinture ferme et moelleuse tout à la fois, qui procède d'un système tout différent de celui que suivent nos peintres, et cependant des éloges unanimes sont adressés à cet ouvrage; tout le monde en comprend la vérité et la beauté.

Nous nous dispenserons de parler plus longuement de M. Court son Boissy d'Anglas a été vu par toute la Belgique, et son haut mérite y est bien apprécié.

TILMONT.

Ce jeune homme nous a rapporté de Paris trois tableaux et une aquarelle. Il y a sans doute beaucoup de bon dans ces ouvrages. Le système de jugement que nous nous sommes imposé nous oblige toutefois à différer celui qui les concernerait, jusqu'au moment où M. Tilmont nous aura montré quelque chose qui sorte un peu plus de ligne.

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