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NAVEZ.

La distinction honorable que le roi vient d'accorder à M. Navez a été accueillie avec faveur par le public. C'était une justice à laquelle on s'attendait depuis longtemps. Les titres du peintre à la décoration ne datent point d'hier; mais il faut convenir que l'occasion choisie par le gouvernement pour réparer un oubli, ne pouvait l'être plus heureusement.

On se rappelle le temps où M. Navez occupait toutes les bouches de la renommée. On se disputait ses tableaux, on admirait la grâce de sa composition, la pureté de son dessin, l'expression de ses têtes.

A son retour d'Italie, l'artiste avait fait une véritable révolution dans la peinture. S'il suivait, sous quelques

rapports, les procédés de l'école de David où il avait étudié, il n'en rapporta pas moins de son séjour dans la capitale des arts, un coloris dont l'originalité frappa tous les yeux.

Mais un autre genre prévalut bientôt, après les succès d'une autre école. Alors on ne vit plus rien que cette école.

Laissant passer le courant de la le courant de la vogue, M. Navez continua avec courage ses études consciencieuses. Loin de redouter la lutte avec les adversaires qu'on lui opposait, il se montra dans la lice chaque fois que l'occasion se présentait. Toujours sur la brèche, il alla même chercher des succès à Paris; épreuve à laquelle n'avaient pas encore osé se soumettre ses concurrens les plus prônés.

Nous le voyons encore reparaître aujourd'hui à la place qui lui convient, c'est-à-dire, à l'une des premières places. Cinq portraits, trois tableaux d'histoire, sujets religieux, un grand et deux petits tableaux de genre, nous montrent l'artiste habile, avec toutes les qualités qui ont établi sa réputation, et témoignent même de grandes améliorations dans certaines parties.

Nous parlerons d'abord des sujets religieux. L'éducation de la Vierge, no 373, est un des plus jolis tableaux que M. Navez ait jamais peints.

Ce n'est pas qu'il ne soit très-facile de le critiquer, en y cherchant ce que l'auteur n'a pas voulu y mettre; mais tout homme de bonne foi, avant d'apprécier un ouvrage d'art, tâchera d'entrer dans l'idée de l'artiste. Il se demandera ce que le peintre a voulu faire, et, alors seulement, il pourra juger si le but a été atteint.

M. Navez a voulu faire un gracieux tableau d'amateur, il a parfaitement réussi. Un vieillard et une femme âgée sont assis dans un riche jardin, une toute jeune fille, à genoux, lit sa leçon avec sa vieille mère.

Que l'on appelle cela L'éducation de la Vierge, le nom n'y fait rien; aussi ne demanderons - nous pas aux costumes, à l'ameublement et aux autres détails, une vérité historique qui ne s'y trouve pas. Nous appellerons ce tableau La leçon de lecture, et nous admirerons alors les beautés de premier ordre qu'il renferme.

Les deux vieillards sont beaux et nobles; leur pose, leur physionomie ont une dignité qui n'exclut pas le naturel. La femme est surtout remarquable.

Conserver, sous les rides de l'âge, la trace de la beauté passée, faire sentir dans la taille le poids des années, en lui laissant une certaine grâce qui survit, voilà ce qu'il était difficile d'obtenir. C'est aussi ce qui fait le principal mérite de l'ouvrage de M. Navez.

La pose et l'expression de la jeune fille font un heureux contraste avec celles de sa mère : nous ne pouvons cependant nous dissimuler que la taille de cette jeune fille n'est guère en rapport avec celle de sainte Anne, eu égard à l'âge qu'on peut supposer à l'enfant, qui paraît déjà presque formée.

Le fond du tableau est d'une grande richesse, la couleur en est brillante et harmonieuse, les détails d'ameublement sont traités avec délicatesse ; c'est enfin un délicieux ornement de cabinet.

Le sommeil de Jésus.

(N° 874'.)

Ce tableau, conçu et exécuté dans le même système que celui dont nous venons de parler, s'éloigne encore plus que l'autre de la vérité relative, et, par cela même, acquiert plus de vérité générale. Ici l'artiste n'a fait et n'a voulu faire qu'une allégorie : il a adopté une donnée qui a souvent fourni matière à la peinture. Cette scène qu'il représente est tout imaginaire, c'est une fiction

1 Hauteur, mètre, 1,88; largeur, mètre, 1,30.

pieuse et poétique, la rêverie de quelque solitaire à l'imagination ardente et gracieuse. Est-ce dans le ciel, est-ce sur la terre que le peintre a placé ses personnages? les uns appartiennent au ciel, les autres à notre sphère, leur réunion n'est pas possible dans l'ordre matériel. N'allons donc pas apporter dans le jugement d'une semblable production une exigence toute positive. La Vierge, sainte Élisabeth, saint Jean, sainte Catherine, saint Joseph et deux anges sont là, autour de l'enfant Jésus dormant et rayonnant, pendant ce sommeil, d'une divine lumière. Aucun de ces personnages n'est représenté dans ce cadre à un moment déterminé de son existence réelle, tous au contraire ne sont ici que la représentation de l'idée mystique qui en a fait des types désormais invariables. Ce n'est point Marie, Vierge et mère, veillant sur le sommeil de l'enfant Dieu qu'elle a porté dans son sein; c'est la reine du ciel et des anges, avec tous les caractères que toutes les circonstances de sa vie lui ont donnés, redevenue jeune, et jeune pour l'éternité. Saint Joseph n'est plus là le menuisier de Nazareth; c'est le bien heureux habitant du ciel, absorbé dans la contemplation du Très-Haut. Saint Jean et sa mère ne sont plus de simples mortels, malgré les rapports d'âge que le peintre a conservés entre eux. Sainte Catherine se montre, dans ce tableau, telle que l'imagina

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