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EUGÈNE VERBOECKHOVEN.

Les questions de préséance et de prééminence sont surtout oiseuses en matière d'art, où ce n'est jamais le genre, mais l'individu qu'il faut juger. Ainsi la dispute entre la tragédie et la comédie, entre la peinture et la sculpture, n'a guère servi qu'à faire perdre beaucoup de temps et de papier, sans rien ôter ni rien ajouter à la gloire et au mérite relatif des Raphaël, des MichelAnge, des Rubens, des Corneille, des Molière. On ne s'étonnera donc pas de nous voir placer, au ́premier rang de nos illustrations, un homme qui ne fait que reproduire des scènes empruntées aux habitudes des animaux. Car, nous le répétons, ici ce n'est pas le genre qu'il faut considérer; c'est la manière de le trai

ter. Boileau n'a pas daigné mettre la fable au nombre des genres littéraires qu'il a passés en revue dans son Art poétique; et pourtant il avait lu celles du Bonhomme. Ne les avait-il pas appréciées? ou bien, ce préjugé de prééminence de genres le préoccupait-il point de l'empêcher de s'arrêter aux beautés immortelles jetées, à profusion, dans les fables de la Fontaine? Quoiqu'il en soit, la postérité a déjà porté son jugement; après deux siècles, les écrits du fabuliste français brillent encore de toute la fraîcheur de la jeunesse. En s'occupant de Verboeckhoven, on est presque toujours tenté de penser à la Fontaine : s'il y a beaucoup de rapports entre les genres qu'ils ont traités, il n'y a pas moins d'analogie entre leur manière de concevoir et d'exécuter.

C'est surtout depuis dix ans que notre Paul Potter est sorti tout à fait de la ligne des paysagistes ordinaires, qu'il s'est acquis une individualité bien distincte, qu'il est devenu le premier, sans contestation, dans son genre. Comment il est parvenu à ce degré de perfection, c'est le secret de son génie; mais il ne sera pas sans intérêt de s'enquérir des causes qui ont aidé au développement de ses facultés. Le père de Verboeckhoven était sculpteur; il occupa son fils pendant une partie de sa jeunesse à modeler toutes sortes d'objets : ce dernier ne s'adonna que plus tard à la peinture; il fut assez longtemps avant

de rencontrer sa spécialité, le genre auquel la nature le destinait des succès dans les expositions publiques atti

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rèrent sur lui l'attention, et le signalèrent comme devant remplacer un jour Omeganck. Il ne tarda point à réaliser ces espérances.

D'abord, il s'attacha à reproduire la nature avec le plus de vérité possible, il acquit ainsi des qualités qui le distinguent à un haut degré, la pureté du dessin et un grand fini. Peu d'artistes ont mis autant de conscience dans leurs études. Celles de Verboeckhoven sont innombrables, et la plupart sont tellement achevées, que souvent il suffit de les faire entoiler pour avoir un tableau. Quoique doué d'une imagination ardente et d'une rare indépendance de caractère, il est exact et soigneux à un point qui, pendant quelque temps, a pu lui faire tort dans l'esprit de quelques juges superficiels. Il a su contenir les mouvemens fougueux et désordonnés de son génie, jusqu'au moment où, sûr de lui-même, sûr de sa main, il n'avait plus à redouter les écarts en se livrant à son imagination. C'est à cette étude constante

de ses propres forces que nous croyons devoir attribuer le degré de perfection et de vigueur où il a porté son talent. Pour sortir victorieux d'une semblable lutte avec son génie, sans retrouver après le combat quelque faculté paralysée, comme Jacob, qui, ayant lutte contre

un ange, sentit sa cuisse séchée au toucher du céleste adversaire, il fallait avoir une constitution morale robuste; il y a peu d'intelligences qui sortent victorieuses de cette épreuve.

Une opinion trop généralement répandue parmi les jeunes artistes, c'est que le génie n'a pas besoin d'entraves, que l'on ne doit point mettre de barrière à l'imagination, que la verve peut tenir lieu de toute étude. Quelle erreur pourtant! combien de débutans n'a-t-elle point perdus! Lisez l'histoire de celui de tous nos peintres, de tous les peintres peut-être, qui a mis le plus de fougue dans ses compositions; Rubens était-il un cerveau brûlé, un homme aux habitudes déréglées, aux mœurs dissolues? Avait-il, en commençant par secouer le frein des règles de l'art, été conduit à rejeter aussi celles de la morale? Était-il capricieux, fantasque, comme affectent de l'être des jeunes gens qui prennent leur bizarrerie pour de l'originalité, et leur extravagance pour du génie? Non, Rubens, au contraire, était d'un caractère égal, quoiqu'il fût d'un esprit très-vif; l'instruction qu'il avait acquise en dehors de son art était immense, et supposait des études graves et minutieuses. L'ordre le plus admirable régnait dans sa maison; les heures de ses journées étaient distribuées comme pourraient l'être celles d'un cénobite. Il était un exemple

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