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de bonnes mœurs et de piété sincère. Cette régularité de toutes ses actions a-t-elle arrêté l'élan de son génie? Non, mille fois non! Mais elle a été cause que chez lui ces élans ne sont pas des écarts, que là où vous rencontrez la composition la plus fougueuse, vous reconnaissez encore l'admirable et parfaite exécution. Ne nous étonnons donc pas que Verboeckhoven, si patient, si soigneux, si ponctuel, si rangé, jette, sur la toile, des animaux auxquels ils donne l'action la plus vive, dans les yeux et dans toute l'attitude desquels il sait faire briller toutes les sensations, et les sentimens même que leur nature comporte; si le taureau, si le cheval, si le loup, si le lion, si le tigre vous apparaissent dans ses tableaux avec tout ce que la nature leur a donné de vigueur et d'emportement.

Lorsque vous vous trouvez devant un des petits tableaux de Verboeckhoven, vous ne pouvez vous lasser d'admirer la fraîcheur de ses sites, la pureté de ses ciels, la délicatesse du feuillé, la vérité des moutons, des ânes ou des chevreuils dont il anime son paysage. C'est le travail d'un peintre en miniature, avec une vigueur d'exécution qui vous étonne. Mais si vous contemplez une des grandes pages qu'il se plaît à remplir quelquefois : devant le soleil couchant, achetée par M. Rotschild, en 1833, vous vous sentez pénétré par la fraîcheur de

la brume légère que vous voyez monter le long des flancs de la montagne, vous assistez au passage du gué que ce troupeau vient d'entreprendre. Ici, ce qui vous frappe d'abord, ce n'est plus l'exécution; vous n'y pensez pas, c'est la vérité de cette reproduction d'une des scènes les plus magnifiques de la nature; vous êtes dans cette campagne, vous vous promenez le long de cette rivière, vous vous enfoncez, pour rêver, dans ce sentier qui serpente en gravissant la colline; ce n'est plus une peinture que vous avez sous les yeux, c'est une réalité. Le peintre vous fera assister de même au commencement d'un orage; allez voir le tableau que possède M. Coghen. Ou bien c'est un convoi de chevaux, de toutes races, traversant une forêt pendant l'hiver.

Eug. Verboeckhoven a exposé cette année treize tableaux, où il se montre dans toutes les variétés de son talent. Mais l'un d'eux, le dernier exposé en public, sort tout à fait de ligne, et mérite, par cela même, un examen plus attentif.

Convoi de chevaux de toutes races attaqué par loups, dans une forêt de Pologne'.

des

Si l'on ne pouvait le vérifier par soi-même, on croirait

1 Hauteur, mètre 2,47; largeur, mètre 3,37.

à peine le nombre d'études que Verboeckhoven a cru devoir faire pour l'exécution de cette pièce. Dire qu'il a copié d'après nature plusieurs chevaux de chacune des races qu'il devait reproduire, il n'y a là rien d'extraordinaire, et tout peintre consciencieux en ferait autant. Mais ce qui distingue celui-ci, c'est qu'il commencera par modeler en terre tous ses chevaux, dans l'attitude où ils doivent être sur la toile. Ne croyez pas qu'il se borne à ébaucher son ouvrage de sculpteur; il lui donne, au contraire, une perfection à laquelle bien des statuaires seraient heureux d'atteindre. Les animaux modelés par notre peintre seront peut-être un jour, à raison de leur rareté, plus précieux encore que ses tableaux.

Il soigne avec une égale conscience les détails de paysage. Un journal lui a reproché d'avoir emprunté à un tableau de Rubens le fond de sa grande composition. Le critique qui a fait cette observation aurait bien dû désigner le tableau de Rubens auquel il faisait allusion. Quant à nous, il nous a été impossible de nous en rappeler un seul qui eût sculement quelque rapport avec le que Verboeckhoven a choisi. Ce que nous avons déjà dit à l'occasion de M. Verwée confirmera ce que nous avançons ici. Nous avons vu dans l'atelier de l'artiste, fraîches encore et venant d'être peintes d'après nature,

site

toutes les études qui ont servi au paysage dont nous parlons. Et à cette vue, nous avons été frappé de l'originalité d'un aspect de la nature, que nous n'avions encore trouvé reproduit par aucun peintre à cette époque de l'année. Ordinairement les paysagistes choisissent l'hiver pour ses effets de neige; Verboeckhoven a pris le moment où il n'y a plus de verdure, et où il n'y a pas encore de neige: novembre ou décembre.

La scène se passe au déclin du jour. Un convoi de chevaux, conduit par des marchands, traverse une forêt au milieu de laquelle une troupe de loups se précipite sur lui. Ces animaux, surpris, effrayés, se cabrent, se jettent les uns contre les autres, en désordre; leurs conducteurs s'efforcent de faire face au danger ou de le fuir. Déjà un cheval a été renversé par les loups qui lui ont sauté à la gorge; il gît sur le devant du tableau ; son cavalier a été tué aussi, il est étendu près de sa monture. Trois loups se gorgent avidement du sang qui coule à grands flots de sa profonde blessure. Au milieu du tableau, un cheval blanc, de race flamande, se dresse sur ses pieds de derrière; tout près de lui, un autre, aussi de race flamande, de couleur isabelle, dans l'attitude de l'effroi, les jambes de devant en arrêt, le cou tendu, exprime la terreur portée au plus haut point; à gauche, un cheval anglais lance une ruade contre les ennemis

qui l'assaillent. A droite, un cheval arabe (le portrait de la monture de la reine), s'enfuit au grand galop, emportant un loup accroché par les dents à sa gorge. Au second plan, au fond et dans le lointain, le reste du convoi, s'avançant encore, ou suspendant sa marche à l'approche des bêtes féroces.

On a adressé à ce tableau plusieurs reproches qui témoignent de l'inattention des critiques et fournissent l'occasion de faire ressortir l'esprit judicieux et observateur du peintre.

D'abord on a cherché des points de comparaison. On s'est tout de suite rappelé les chevaux du Mazeppa de Vernet. « Quelle différence, a-t-on dit? Comme ceux-là sont animés! Ceux-ci se remuent à peine! » Si Verboeckhoven, au lieu d'étudier consciencieusement la nature, avait cherché à faire de l'effet aux dépens de la vérité, nous aurions vu les mêmes critiques lui reprocher ce manque de fidélité.

Les chevaux du Mazeppa de Vernet, ceux du Convoi de Verboeckhoven, sont-ils dans les mêmes conditions? Les premiers sont des animaux sauvages, obéissant à tous les mouvemens de leur nature, que l'éducation n'a pas modifiée ; ils sont en pleine liberté, livrés à eux-mêmes; aucune entrave, aucun frein ne les peut retenir; ils sont seuls en face de leur ennemi, ils sui

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