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l'esprit de sa majesté : il finit par implorer la clémence du roi pour une femme et onze enfans, qu'il laisse dans le deuil et la désolation : cette lettre est datée du 5 juin, à deux heures après minuit. Le comte la remet à l'évêque d'Ypres, qui se charge de la faire parvenir au roi.

Ce jour, 5 de juin, veille de la Pentecôte, fut le jour sinistre qui présenta aux regards des Bruxellois effrayés le spectacle de cette cruelle exécution. Un échafaud tendu de noir, sur lequel était placé un crucifix et des coussins, était dressé sur la Grand'Place de Bruxelles : le régiment de Roméro était rangé à l'entour.

« L'heure fatale sonne enfin ! c'était midi. Julien Roméro vient prendre le comte d'Egmont pour le conduire à l'échafaud. Le comte, accompagné de l'évêque d'Ypres, en entrant sur la place, salua tous les officiers qu'il connaissait et que plus d'une fois il avait conduits à la victoire : il monta avec une contenance ferme à l'échafaud: il fit une courte prière, après laquelle il mit sur sa tête un petit bonnet qu'il tira de sa poche. Le bourreau, qui, dit-on, avait été autrefois un de ses valets, lui abattit la tête d'un seul coup.

« Le comte d'Egmont avait quarante-six ans, et le comte de Hoorn cinquante. Ces deux seigneurs, dignes d'un meilleur sort, étaient singulièrement chéris des Flamands; mais le comte d'Egmont épuisa, pour ainsi dire,

tellement toute la douleur des peuples, qu'ils oublièrent le comte de Hoorn pour donner toutes leurs larmes au héros de Gravelines et de Saint-Quentin : ils bravèrent, dans leur désespoir, les fureurs du duc d'Albe et de ses satellites, dont ils savaient cependant qu'ils provoquaient la vengeance par les regrets publics qu'ils prodiguaient à cette chère victime ils s'empressèrent de recueillir de son sang, d'assiéger son passage, de baiser son cercueil. » (DEWEZ, Histoire de la Belgique.)

Le salon de 1836 renferme plusieurs tableaux dont cet événement a fourni le sujet.

M. Defiennes, dans sa grande toile dont nous nous occuperons plus tard, a représenté le moment où le comte d'Egmont monte à l'échafaud; M. Kremer a choisi une scène épisodique dont nous parlerons ci-après. Enfin M. Van Rooy nous a montré la noble victime, quelques momens avant de quitter la maison dite BroodHuys, sur la Grand Place, pour marcher au supplice.

Une jeune femme, dont le talent est incontestable, mademoiselle Adèle Kindt, avait traité le même sujet, lors de notre dernière exposition; son tableau, qui laissait à désirer sous le rapport de la composition, offrait, comme peinture, de hautes qualités; l'expression en était forte et bien sentie.

M. Van Rooy, qui est fort jeune encore, a conçu simplement son sujet '; il en a disposé les personnages avec entente, il ne l'a pas trop chargé d'accessoires; sa couleur est, en général, franche et ne vise point à l'effet.

Le comte est assis dans un fauteuil, auprès d'une table où se trouve un crucifix, un livre ouvert, une écritoire et des papiers, dont l'un, scellé d'une cire jaune, montre qu'il a déjà reçu communication de son arrêt. Debout, appuyé sur le dos de son fauteuil, l'évêque d'Ypres, vénérable vieillard, aux cheveux blancs, achève sans doute, pour lui, la prière des agonisans. La main droite du comte tient un papier, c'est une lettre d'adieux qu'il adresse à sa compagne ; une autre lettre est sur la table, c'est celle qu'il vient d'écrire au roi Philippe II, pour lui recommander sa femme et ses enfans. Sa main gauche achève un geste parfaitement d'accord avec l'expression de sa figure et où l'on peut lire le sentiment qui le domine. Il a écrit cette lettre pour l'acquit de sa conscience. Il ne pense pas qu'elle fléchisse le tyran; mais il devait ce dernier soin à sa famille.—Il y a du doute dans ce regard, dirigé en haut, et dans ce geste du bras gauche.—Il remettra pourtant cette lettre au respectable évêque, et tout désormais sera terminé pour lui. Il n'aura plus qu'à attendre le coup du glaive suspendu.

1 No 528. Hauteur, mètre 2,27, largeur 1,96.

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