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destiné à régner, du haut de son piédestal, sur les places publiques. Cette différence essentielle entre la peinture et la sculpture n'est pas assez sentie par la plupart des artistes. Jaloux d'un succès prompt, d'un triomphe contemporain, ils flattent trop souvent les idées et les préjugés de leur temps. Au lieu de s'en tenir à la représentation des sentimens et des pensées simples qui appartiennent à tous les âges de l'humanité, ils s'attachent à une forme conventionnelle, à des sentimens d'une délicatesse affectée. D'autres, au contraire, s'imaginent que copier la nature ce doit être la rendre avec ses défectuosités accidentelles, ils la traitent d'une manière commune; sont vrais, mais sans charme.

Il n'est aucun art dans la culture duquel on ne soit obligé de sacrifier quelquefois la vérité relative à la vé, rité générale. Plus les moyens qu'emploie un art sont bornés, plus le convenu doit y tenir de place. Mais ce convenu lui-même n'est autre chose que le résultat de l'observation et de l'expérience des siècles, c'est un choix entre une foule de manières d'être, qui n'a rien d'arbitraire en lui-même et que les génies supérieurs savent faire plier à tous les besoins de leurs pensées.

Si l'on considère l'homme sous le rapport de sa constitution physique, on trouve, sur un fond éternellement le même, une variété infinie de modifications. En doit-on

conclure que toutes ces formes étant également l'œuvre de la nature, sont également belles, que le choix entre elles est seulement l'effet du caprice, et que, partant, il donnera des résultats différens suivant les individus qui seront appelés à juger? Quoiqu'il y ait aujourd'hui bien peu de vérités incontestables, et surtout bien peu de vérités incontestées, on ne s'est pas encore avisé de soutenir sérieusement que Quasimodo, le héros de Notre-Dame de Paris, est un type aussi beau que l'Apollon antique.

Nous profitons des nombreuses observations des anciens : les modèles qu'ils nous ont laissés sont incontestablement des expressions du beau, dans une foule de conditions; il ne suit pas de là que, hors ces conditions, il n'y ait plus de beau à trouver. Nous avons leur exemple à suivre, non pas leurs œuvres à imiter. Nous devons nous demander ce qu'ont fait les sculpteurs grecs pour produire leurs chefs-d'œuvre, en suivant une marche analogue, les artistes de génie arriveront à un résultat semblable.

La première qualité d'une production de la statuaire, c'est l'unité et la simplicité. Cette foule d'ornemens que la couleur impose à la peinture sont inutiles, sont nuisibles au grand art du sculpteur. C'est dans une matière d'une seule couleur, différente de celle du modèle à

copier, que l'artiste va tailler son ouvrage; la forme est le seul élément dont son art puisse disposer. Il n'a point la ressource de cacher une faute de dessin par un effet de coloris. Toutes les lignes doivent être sûres, décidées; rien de vague ne peut être tenté ; la sculpture est un art palpable et positif au dernier point. Non contente de vous présenter les objets sous leur aspect le plus pittoresque, elle doit vous les montrer sous tous les aspects et plaire sous toutes les faces. Immense difficulté, qui rend aussi immense le mérite de ceux qui la sur

montent.

Dans l'examen que nous allons faire des ouvrages exposés par nos sculpteurs, nous serons heureux de constater que la statuaire commence, en Belgique, une ère de gloire qui ne tardera pas à jeter un grand éclat en Europe, si elle fait choix d'une route qui s'éloigne de l'ornière classique sans s'écarter de la nature.

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