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GUILLAUME GEEFS.

Quelques années ont suffi à ce jeune artiste pour se fonder dans sa patrie une réputation dont on voudrait en vain contester la légitimité. C'est par ses œuvres qu'un homme doit être jugé; celles de M. G. Geefs sont déjà très-nombreuses. Depuis 1833, époque à laquelle il exposa les modèles qui devaient servir pour l'érection des monumens du comte Frédéric de Mérode et du général Belliard, il a exécuté en marbre le premier, actuellement placé dans l'église des Saints Michel et Gudule; le groupe de Geneviève de Brabant, dont nous parlerons tout à l'heure; une statue à genoux dans l'attitude de la prière; un jeune homme jetant des fleurs sur une tombe; il a sculpté en pierre une statue de

Saint Joseph avec l'enfant Jésus ; l'Espérance révant à l'immortalité, commandée pour un tombeau en Allemagne. Il a achevé en plâtre les modèles de la grande statue de la Liberté pour le monument de la place des Martyrs, et un des quatre Génies qui doivent décorer lesangles du soubassement de ce monument; une jeune femme morte, destinée à être placée sur un tombeau dans une église d'Anvers; le modèle qui doit servir pour couler en bronze la statue de Grétry, pour la ville de Liége; celui de la statue que la ville d'Anvers va élever à Rubens, et enfin vingt à trente bustes, parmi lesquels se distinguent ceux du roi, de la reine, et du jeune prince royal décédé; ceux des princes de Portugal et de Cobourg; ceux de MM. Ch. Debrouckère, Coghen, Wappers, Lepoitevin, Schaepkens, Waroquée, et de Mme E..........., presque tous exécutés en marbre, coulés en fer ou en bronze.

Nous nous occuperons particulièrement des ouvrages exposés par M. Geefs au Salon; mais nous ne bornerons pas là notre examen. La statue du comte de Mérode doit entrer dans notre analyse, puisque, placée dans l'église où elle doit rester, elle se présente au public et appelle ses jugemens.

Ici la blouse citoyenne, la blouse populaire s'ennoblit et vient prendre dans le domaine des arts la place qu'elle a conquise dans l'histoire. Un noble comte, issu d'une

puissante famille, comblé de toutes les jouissances de la fortune, pouvant couler une vie paisible et heureuse, sans rendre compte à qui que ce soit de l'emploi de ses instans, n'ayant rien à gagner à un changement politique, s'arrache à sa famille, à toutes les douceurs d'une existence privilégiée; à la voix de la patrie, il se souvient qu'elle est notre mère commune, et sous le costume de simple volontaire bruxellois, il marche au-devant du péril. Mais il tombe sur son premier champ de bataille. Voyez, le fer du biscayen a traversé sa cuisse dont il a brisé l'os. La force du coup l'a renversé. Il se relève cependant et cherche du regard un ennemi à qui il puisse adresser la balle que récèle l'arme qu'il tient encore dans sa main. L'ennemi s'enfuit: la dernière charge de son pistolet sera donc inutile. La contraction des muscles de la face, le gonflement des veines du front expriment bien la douleur physique, tandis qu'un sentiment de généreuse satisfaction commence à briller dans ses yeux qui contemplent le triomphe du drapeau national. La conception de cet ouvrage est aussi sage que forte point de contorsions, point de mouvemens désordonnés; le calme et le sang-froid d'un homme qui, avant de prendre les armes, en avait calculé les chances et les affrontait sans arrière-pensée. Cette blessure, il la reçoit avec résignation, il offre son sang en sacrifice sur l'autel

de la patrie. Ce sang noble qui coule de ses veines, est versé pour le bien-être du peuple, pour son affranchissement. La douleur qu'il éprouve lui semble bien secondaire en comparaison des résultats de l'œuvre qu'il aura aidé à accomplir.

L'exécution de cette statue répond complétement à l'espérance que le modèle exposé en 1833 avait fait concevoir. Le nu est palpitant de vie, les draperies sont d'un bon style et présentent de jolis détails sans manière. Ce marbre vous reproduit bien distinctement la toile de la blouse, le drap du manteau, le cuir des guêtres, avec les plis qui les caractérisent. L'ensemble des lignes a de la grandeur et de l'élégance; le blessé se soulève en s'appuyant sur la main gauche; ses jambes sont bien posées l'une sur l'autre. L'artiste a fait sentir, par la saillie des veines et des muscles, l'effort de la main qui soutient le poids du corps, tandis que l'autre est à l'aise et presque sans action. Le cou est plein de vigueur et de noblesse; nous regrettons que la poitrine ne présente pas plus de nu: nous aurions voulu retrouver le sein gonflé, l'animosum pectus de Virgile, ce que le modèle en plâtre avait promis. Un linge artistement plissé, et comme sortant tout frais des mains de la repasseuse, nous cache aujourd'hui cette poitrine. La vérité n'a-telle pas perdu à cette modification? Cette chemise, cette

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