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blouse même ne devraient-elles pas être autrement froissées, quelque moiteur ne devrait-elle pas se montrer sur cette peau? Nous voudrions aussi plus de désordre dans cette chevelure, peignée comme pour un bal.

L'ensemble du monument mérite une mention spéciale. M. Geefs y a montré beaucoup de goût et de discernement. C'est dans une espèce de chapelle gothique que le tombeau, gothique lui-même, est placé ; la statue est étendue au-dessus. Cette heureuse alliance d'un costume moderne avec l'architecture d'une époque reculée, indique que le personnage qui occupe cette place appartenait, par ses ancêtres glorieux, aux temps du moyen âge, et, par ses sentimens généreux, aux progrès de notre siècle. C'est le volontaire plébéien de 1830, qui vient reprendre, dans le caveau de ses nobles aïeux, la place que sa naissance lui avait assignée, place qu'il rend à jamais illustre.

Deux charmantes figurines, exécutées en pierre, et nichées dans les angles du tombeau, y sont agenouillées avec grâce. Elles rappellent les belles sculptures du moyen âge. Ce sont de toutes jeunes filles pleurant et jetant des fleurs sur la terre. Leurs longs et pudiques vêtemens accusent des formes pleines de noblesse et de suavité; leurs figures sont d'une expression touchante, et de types charmans.

De la cathédrale passons au Salon: un morceau d'une grande importance se présente, c'est le groupe de Geneviève de Brabant, avec son enfant et sa biche '.

L'histoire des malheurs de Geneviève de Brabant est aussi intéressante qu'elle est populaire. Tout le monde a entendu chanter ces ballades, ces complaintes où l'aventure de l'infortunée duchesse de Brabant est racontée en style dont la naïveté est quelquefois triviale. Cependant le fait lui-même est si touchant, que le souvenir que l'on a gardé de cette pauvre femme persécutée est, dans tous les esprits, parmi les plus gracieux souvenirs. On conçoit que l'imagination d'un artiste éminemment sensible se soit enthousiasmée pour un tel sujet, qu'il s'en soit occupé avec amour.

D'abord, il était sûr d'être compris de la foule. La jeune femme, le petit enfant et la biche, dispensent de toute explication, de tout commentaire. Ce marbre parle au public: il lui raconte des douleurs, des misères dont il a mille fois entendu le récit; chacun se plaît à y reconnaître le sentiment qu'il y cherche.

Tandis que la foule, qui se laisse aller à ses sensations sans raisonner les impressions qu'elle reçoit, admirait cette belle production du ciseau de Geefs, la con

1 Grandeur naturelle.

troverse la plus animée s'établissait, entre les artistes et les amateurs, sur l'exécution de cet ouvrage, que les uns exaltaient, et auquel les autres niaient toute espèce de valeur artistique.

Fatale influence des préventions! Au lieu de rechercher dans le groupe du statuaire les beautés inhérentes à son sujet, et qui avaient instantanément frappé les yeux du vulgaire, les connaisseurs ont réuni le plus de points de comparaison possible, et se sont étonnés que l'artiste n'eût pas précisément les qualités qu'ils sont habitués à admirer dans leur type classique. Celui-ci aurait voulu que la jeune femme de dix-sept ans, abandonnée dans les bois, où elle a mis au monde la pauvre créature qui dort maintenant sur ses genoux, eût les bras de la Madelaine de Canova, de ces beaux bras ronds et faits au tour, comme ceux des jolies femmes de vingt-cinq à trente ans. Celui-là s'étonne que le sein de la Vénus de Médicis ne s'arrondisse point sur la poitrine de la pauvre enfant épuisée. Les jambes luit paraissent trop fortes comparativement aux bras. Nous ferons tout à l'heure quelques remarques critiques sur certaines parties de l'exécution de ce morceau; mais nous croyons, avant tout, de notre devoir de développer les idées d'après lesquelles l'artiste a travaillé. Nous démontrerons, pensons-nous, que la plupart des

observations qui ont été adressées à cet ouvrage, comme reproches, sont réellement des éloges pour l'artiste.

Avant de décider si la Geneviève a bien les formes et les caractères physiques qui lui conviennent, nous nous sommes demandé : Quel âge peut-elle avoir? Quel genre d'éducation a-t-elle reçu? Dans quelle situation se trouve-t-elle ? Nous savons que la Jeune duchesse n'avait pas seize ans quand elle s'est mariée, elle n'en a donc pas dix-sept. Une jeune femme, élevée dans le luxe des palais, ne présentera pas les caractères de la constitution des femmes du peuple ou de la campagne. Elle sera plus frêle et ne ressemblera pas aux modèles que les statuaires grecs ont dû employer pour exécuter leur Vénus. L'habitude d'exposer les bras, la poitrine et les épaules au grand air, donnait nécessairement à ces parties, chez les femmes grecques, des formes qui doivent différer de celles des femmes du moyen âge dans les contrées septentrionales, où d'amples vêtemens les couvraient tout entières. Enfin, Geneviève a souffert cruellement, seule dans les forêts, exposée aux intempéries des saisons et à tous les besoins. Il serait done absurde de s'attendre à trouver en elle les beautés particulières aux femmes jouissant de tout le bien-être possible et dans l'état le plus florissant. Le sculpteur devait, sous peine d'être rangé parmi les esprits les plus médio

cres, nous faire sentir, dans la personne de Geneviève, toutes les circonstances dont nous venons de parler, sans cesser toutefois d'être gracieux et correct; car ces dernières conditions sont rigoureusement exigées dans une statue de femme jeune et belle. Nous nous bornerons donc à examiner si, pour avoir voulu être dans la vérité historique et relative, M. Geefs n'a pas violé la règle qui lui commandait avant tout d'être pur et correct.

Quant à nous, trois choses seulement nous ont choqué dans cet ouvrage : les bras, non à raison de leur maigreur, que nous ne trouvons pas assez marquée pour manquer de grâce, mais parce que le droit surtout est plié d'une manière physiquement impossible, à moins que l'os n'en soit brisé; en second lieu, le sein gauche semble rentrer dans le bras, tandis qu'il devrait en être refoulé vers le creux de la poitrine, et enfin la courbe formée par les lignes du cou et des clavicules est trop convexe, et donne au coffre de la poitrine, mesuré de l'épine dorsale au sternum, une épaisseur trop considérable. Quant aux jambes, nous ne les trouvons pas trop fortes; surtout à raison de la pression que leur fait éprouver le poids du corps qui porte sur elles. Peutêtre l'artiste pourrait-il avec avantage diminuer l'enflure des pieds et du bas de la jambe; mais le reste nous paraît trop bien d'accord avec la chute des reins et

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