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née. Cette princesse refusa d'abord le breuvage; mais le roi insistant, elle le prit, et bientôt elle expira, au milieu d'horribles souffrances. >>

Voilà l'argument que l'artiste a fourni elle-même au Catalogue.

L'instant choisi est celui où Philippe II engage la reine à boire. Celle-ci, jeune et belle, est dans son lit ; elle s'est soulevée pour prendre le fatal breuvage; mais l'expression qu'elle remarque dans la figure de son époux lui inspire des soupçons, qui motivent son geste pour repousser la

coupe.

Sans le secours du livret, il serait difficile de comprendre ce sujet, qui ne nous a pas paru suffisamment caractérisé. L'artiste, rendons-lui d'abord la justice qu'elle mérite, a fait preuve d'une grande habileté d'exécution; sa peinture est bonne et moelleuse; son coloris a un éclat remarquable; la pose de la jeune reine est belle et gracieuse; mais on est forcé de convenir que cette scène royale de ménage réunit peu des caractères que réclame la peinture historique. Les expressions ne sont pas assez marquées. La figure, si connue, de Philippe n'est pas même exacte. Ce même exacte. Ce personnage est d'ailleurs posé d'une manière fort difficile à comprendre. La perspective n'est pas bien observée; à voir le bras de la reine, il semblerait que le prince est der

rière le lit, et cependant il est sur le premier plan, ou pour mieux dire son buste n'est pas au même plan que ses jambes.

Ce tableau, manqué comme tableau d'histoire, n'en est pas moins une œuvre de beaucoup de mérite, et il renferme des parties que nos meilleurs peintres ne désavoueraient point. La reine est surtout une fort belle étude, dont le modèle a été choisi avec goût. Elle est posée sur son lit avec une gracieuse décence, dont mademoiselle Kindt a dû sans doute l'intention à la délicatesse particulière à son sexe. Sa chevelure blonde ondoie avec grâce, sur ses épaules nues et d'une belle et fraîche carnation. Le front, légèrement plissé par la pensée qui traverse instantanément l'esprit de la malheureuse femme, exprimerait bien, avec les yeux, la naissance du soupçon funeste, si le jeu du reste de la physionomie était d'accord avec cette intention, si plus de pâleur couvrait ces joues, encore trop roses pour une femme qui ne serait même qu'indisposée.

S'il nous était permis de donner un conseil à mademoiselle Kindt, nous lui adresserions celui de s'en tenir à des sujets plus simples et moins passionnés. Les autres ouvrages qu'elle a exposés viennent à l'appui de notre opinion. Voyez plutôt cette jeune fille, portant sur la tête une corbeille de fruits (no 278); c'est, à coup sûr, une

des bonnes études de l'Exposition, c'est une imitation pleine de vérité et de grâce. La physionomie est ouverte, le regard est pur, la pose est aisée. Comme ce bras est bien relevé ; comme cette main est délicatement peinte! On serait tenté de trouver cette main trop belle, trop belle, trop blanche; mais quand on réfléchit à la position qui fait descendre le sang, on reconnaît au contraire que l'artiste a exactement rendu la nature, qu'elle a observé avec beaucoup de tact une circonstance vraie, et qu'elle a su en tirer parti pour l'avantage de son œuvre.

La marchande d'ananas, no 279, a plusieurs des qualités de la précédente étude.

Il y a au Salon peu de portraits plus vrais et peints avec plus de talent que ceux de mademoiselle Adèle Kindt; nous signalerons surtout le portrait de femme no 280, et le portrait d'homme, no 283. Les nos 281 et 282 nous ont paru moins dignes d'éloges. En général, mademoiselle Kindt néglige ses fonds, et leur donne à tous une couleur lie de vin uniforme, qui ne prête pas toujours à l'effet. Dans le grand portrait de femme, la draperie et les accessoires sont agencés de manière à rehausser la figure, à en faire ressortir la carnation, à faire valoir les mains remarquablement belles. Ce portrait est un tableau, il fait le plus grand honneur à l'artiste, d'autant plus qu'à tous ses autres mérites, il joint celui d'une parfaite res

semblance. Celui du no 283 doit être aussi très-ressemblant; il est trop vrai de ton et d'expression pour ne pas être une copie exacte de la nature.

Nous sommes donc heureux de pouvoir féliciter mademoiselle Adèle Kindt sur les progrès constans que fait son talent; c'est pour nous un motif de plus qui nous porte à l'engager à bien reconnaître le genre dans lequel elle a le plus de chances de succès, et à ne pas s'obstiner dans une route où elle n'aurait guère que de la critique à recueillir.

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