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rière-pensée, à son genre favori, à celui qui lui promet de nouveaux succès.

La maîtresse d'école.

(N° 68.)

Une vieille maîtresse d'école de village, tablier bleu, serre-tête bleu sur des cheveux grisonnans, est assise dans un bon et large fauteuil, devant une table. De la main gauche elle indique, dans un A B C ouvert, la lettre qu'un jeune paysan doit lire; de l'autre main, elle tient une poignée de verges, toute prête à punir la paresse du lecteur. Celui-ci, debout, le corps penché en avant, le regard fixe, les mains derrière le dos, semble suivre à la fois des yeux le mouvement que va faire le fatal instrument des supplices classiques, et celui de la main avec laquelle son bourreau lui désigne les lettres à déchiffrer; ces deux figures, en regard l'une de l'autre, sont d'une vérité charmante; on voit que la vieille ne serait pas fâchée d'avoir l'occasion d'user du bras droit, et que le jeune garçon est moins préoccupé de sa leçon que de la peine qui, comme l'épée de Damoclès, n'est suspendue

qu'à un fil. L'expression de l'enfant rend fort bien cet espèce d'hébétement, qui paralyse tous les moyens d'un écolier, lorsque, devant son maître, il a la conscience de la négligence qu'il a apportée à étudier sa tâche, et la certitude de la peine qui l'attend. Il s'y trouve aussi de cet ennui insurmontable, que l'obligation de rester longtemps en place et immobile, inspire à ces jeunes créatures, qui ont besoin d'exercices vifs et continuels.

De l'autre côté de la table, en face, un second enfant regarde le premier avec un sourire un peu moqueur, mais qui n'est pas exempt d'une certaine appréhension pour ce qui va lui arriver à lui-même, quand son tour sera venu. Dans le fond, quelques petits garçons et quelques petites filles, assis sur leurs bancs.

Rien ne manque à ce charmant tableau: dessin gracieux, couleur chaude et harmonieuse, ombres transparentes, clair-obscur plein de charmes. L'idée est rendue tout entière, sans répétition, sans charge; les draperies sont souples, et les détails sont sobrement distribués. Ici le peintre est à l'aise, il est maître de son sujet, il en fait ce qu'il veut, son pinceau facile semble se jouer sur la toile, il produit tout naturellement ; point d'effort, point de prétention. C'est l'esprit, le naturel et le comique qui font le caractère de ce talent; aussi partout où un pareil tableau se produira, il sera compris et apprécié.

ÉCOLE DE M. DE BRAEKELEER.

M. de Braekeleer a déjà fait un certain nombre d'élèves. Ne parlons d'abord que de ceux qui se sont tenus à son genre spécial et qui s'appliquent à le copier.

Dans les arts d'imitation, il y a un modèle constant, qui se produit sans cesse, sous des formes si variées, que mille copistes peuvent, en lui restant fidèle, le rendre d'une manière différente. La nature, si riche dans ses aspects, est là pour tout le monde ; chacun peut en faire son profit, suivant ses dispositions particulières. En suivant ce maître, on est original, parce que l'on a vu par ses propres yeux et non par ceux d'un autre.

Il n'en est pas ainsi de ceux qui s'attachent à une école ils se privent de leur individualité, acceptant comme règle des idées qui peuvent être excellentes pour celui qui les a lui-même recueillies par l'expérience d'une longue pratique, mais qui ne font qu'épargner au commençant un travail pénible, condition indispensable à l'acquisition d'un talent quelconque.

Sans doute l'art resterait stationnaire, si nous ne profitions aujourd'hui des observations faites

par nos devanciers. Si chaque artiste devait inventer son art et venir

de Ditubade à Raphaël, le nombre de ceux qui surmonteraient les difficultés de la pratique serait bien petit. Aussi sommes-nous loin de prétendre que l'élève ne doive pas faire son profit de l'expérience acquise par son maître et par ceux qui l'ont précédé dans la carrière. Il a loin toutefois de l'emploi sage et raisonné des procédés acquis, à la copie servile de toute la manière d'un homme; et c'est malheureusement la manière seule la plupart des élèves s'attachent à imiter.

que

Parcourez un salon d'exposition, vous reconnaîtrez quelques chefs d'école, et, après eux, la foule des imitateurs, servum pecus.

Cette copie servile de la manière du maître est dangereuse par sa facilité même; combien ne devra-t-elle pas paralyser les moyens de l'élève, dès qu'il voudra marcher sans lisières; ne nous laissons pas surprendre au mérite, souvent bien remarquable, de certains tableaux de jeunes gens, qui ne peuvent avoir encore qu'un talent d'emprunt.

Nous citerons, par exemple, une toile de M. A. Pez, no 396, Une partie de cartes. Si l'on présentait cet ouvrage comme de M. de Braekeleer, plus d'un amateur y serait trompé.

Nous avons vu des artistes habiles, de bons connaisseurs, qui ne se servent point du livret pour reconnaî

tre les pièces de chaque peintre, attribuer longtemps Une partie de cartes à M. de Braekeleer. En effet, toute la manière du maître y est parfaitement saisie. Même étude d'intérieur, même ameublement, même genre de costumes, même ton de couleur, un peu fade, même effet, même touche, composition tout à fait analogue, expressions rendues par les mêmes procédés de dessin. Si M. A. Pez avait fait ce tableau sans avoir vu ceux de son maître, nous ne balancerions pas à lui donner un rang fort distingué parmi nos artistes.

Cependant nous ne refuserons pas nos éloges aux débuts d'un jeune homme qui, après tout, a fait un charmant tableau ; les réflexions que nous avons cru devoir placer ici ne s'adressent pas à lui seul, et nous aurons plus d'une fois l'occasion d'y revenir. Nous croirions être injuste envers les maîtres, qui se doivent à eux-mêmes leur originalité, si nous n'établissions une différence entre eux et ceux qui les copient, même avec le plus de bonheur.

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