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M. Dupont ne jugeait pas avec moins de sévérité la liste civile proprement dite, et finissait par ces paroles, qui forment la substance de son discours:

Messieurs, je me plaignais tout à l'heure de l'insuffisance des documents fournis par la commission; il en est un qui est à notre portée à tous, c'est la détresse publique, en présence de laquelle je n'aurais jamais le courage d'être prodigue de la fortune publique, quand même je n'aurais pas été de tout temps partisan des gouvernements à bon

marché.

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Je sais, Messieurs, que ce mot gouvernement à bon marché sonne mal à l'oreille de certaines personnes; permis à chacun de penser d'une autre manière que moi; mais je crois pourtant pouvoir dire que le pres tige qui s'attachait autrefois aux gouvernements fastueux et dépensiers s'est considérablement affaibli dans l'esprit des peuples, et que le meilleur conseil à donner aux rois, c'est de coûter le moins cher qu'ils pourront à ceux qui leur ont confié le soin de les gouverner, et qui leur feront en affection et en reconnaissance les meilleures listes civiles qu'il y ait au monde.

« D'après ce que je viens de dire, vous croyez bien, Messieurs, que je ne voterai le chiffre ni de l'une ni de l'autre partie de votre commission; car je suis profondément convaincu que 12 millions, tout compris, suffisent grandement à tous les besoins de la liste civile du roi.

Si par malheur la dotation de la couronne reste maintenue telle qu'elle existe aujourd'hui, et si le roi en réunit le revenu à ceux de ses biens personnels et de l'apanage d'Orléans, je voterai six millions de liste civile.

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Si vous réduisez la dotation de la couronne aux palais des Tuileries, du Louvre, de l'Elysée-Bourbon, du Palais-Royal, et des palais de SaintCloud et de Fontainebleau, avec toutes leurs dépendances, je voterai neuf millions.

Dans l'un et l'autre cas, je voterai 500,000 fr. pour la dotation du prince royal, sauf à doubler cette somme lors de son mariage.

Dans le cas enfin où la Chambre voterait l'une ou l'autre somme proposée par la commission, je demanderai que les 27 millions précédemment touchés du trésor public soient réduits dans les proportions de la liste civile actuelle, et précomptés par douzièmes sur ies paiements qui seront faits à l'avenir. »

Jusqu'alors le projet de loi tel que le ministère l'avait présenté ou qu'il était sorti des mains de la commission, n'avait encore rencontré aucun défenseur. M. le ministre de l'instruction publique fut le premier qui prit ce rôle. Répondant d'abord à M. Marschal qui avait dit qu'il s'agissait uniquement de fixer les besoins d'une famille et les dépenses d'une maison, le ministre déclarait qu'il n'était nullement de cette opinion, qu'il

s'agissait, au contraire, non d'une maison ou d'une famille, mais d'un principe, de la royauté.

Après avoir développé cette idée, M. de Montalivet entrait dans des détails historiques sur la manière dont la liste civile avait été votée par nos différentes assemblées législatives, en 1791, en 1814, en 1825. Il fit observer que ces trois assemblées, à des époques si éloignées, dans des circonstances si différentes, sous l'influence de passions si diverses, avaient pris des résolutions semblables, avaient doté la royauté avec munificence, et laissé au monarque les antiques demeures de Henri IV et de Louis XIV. Il en inférait que l'histoire, d'accord avec la raison, nous montrait dans cette uniformité de résultats un principe commun de justice et de raison politique.

Comment se fait-il, continuait l'orateur, qu'en 1791, au milieu de tant de passions impatientes de détruire, en face d'une royauté affaiblie qui excitait tant de défiance, dans une crise de réformes si générales et si rigoureuses, parmi tant de suppressions qui frappaient le clergé et la noblesse, une assemblée si hardiment novatrice se soit arrêtée unanimement à ce chiffre de 25 millions pour doter la couronne ?

Comment se fait-il qu'en 1814, à une époque où toutes les plaies de la France, épuisée par vingt cinq ans de guerres et de victoires, se rouvraient sous les nouveaux désastres d'une invasion étrangère, dans une Chambre où siégeaient déjà quelques-uns des défenseurs des deniers et des libertés du peuple que la révolution de 1830 a retrouvés dans cette enceinte et dans les rangs d'une opposition nouvelle, pas une voix ne se soit élevée contre une liste civile de 34 millions?

Comment se fait-il qu'en 1825, lorsque depuis trois ans pesait sur la France un ministère hostile à toutes nos libertes, sous un roi plus hostile encore, et, on le savait, en présence de cette minorité courageuse, organe infatigable de la France constitutionnelle, et qui, toujours sur la brèche, défendait pied à pied ses intérêts aussi bien que sa constitution, une liste civile de 32 millions n'ait pas trouvé un seul contradicteur ?

C'est qu'à ces trois époques, Messieurs, malgré la différence des temps, des circonstances et des hommes, une même pensée présidait aux délibérations. Tous voulaient la monarchie constitutionnelle, et ils savaient que, dans cette forme de gouvernement, il faut à la royauté une haute influence qu'elle n'emprunte pas seulement au concours et à l'action des pouvoirs politiques, mais qu'elle doit puiser aussi dans l'indépendance et la dignité de sa situation personnelle.

Le ministre passait ensuite en revue les opinions qui avaient été émises, hors de la Chambre, par les divers partis, sur la question à l'ordre du jour, et annonçait qu'il voulait s'adresser seulement aux représentants de l'opinion qui a fondé en mème

temps la Charte et la royauté de 1830, aux constitutiounels de la monarchie de juillet, c'est-à-dire à tous les membres de la Chambre. Il poursuivait en ces termes:

Si je voulais discuter la suffisance des chiffres, beaucoup de motifs se présenteraient, mais la question n'est point là, Messieurs. A mon avis, ce n'est point pour la royauté une question de chiffres, mais une question de dignité et d'avenir.

Il ne s'agit pas de supputer avec plus ou moins de parcimonie les dépenses du roi, et de restreindre tel service, de retrancher tel domaine. Si vous ne vouliez accorder que les sommes rigoureusement nécessaires à ses besoins, Louis-Philippe ne demanderait rien à la France; il continuerait sur le trône cette vie modeste et simple qui conviendrait mieux peutêtre à ses habitudes et à ses goûts.

Et si quelque malheureux venait frapper à la porte de son palais, si un vieux soldat venait lui montrer ses blessures et les outrages de la restauration, si un artiste venait lui demander protection et appui, il leur dirait, en gémissant de pouvoir si peu pour de grandes infortunes: Ces faibles secours, c'est le duc d'Orléans qui vous les offre, le roi des Français n'a rien à vous donner. Le duc d'Orléans est riche, le roi des Français ne l'est pas.

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Votre commission vous l'a dit, Messieurs, par l'organe de son rapporteur, la dot nationale dont la France veut honorer son roi doit être digne d'elle et de lui c'est à vous de juger si la somme qu'elle vous propose remplit ce vou. Pour moi, je ne puis le croire. Il faut que le représentant de 32 millions d'hommes soit le premier, autant par l'influence de ses richesses que par sa dignité. Il faut que toutes les industries ne puissent demander à un autre des encouragements et une puissante impulsion; il faut que les arts ne puissent aller chercher loin du trône une protection plus efficace; il faut que le luxe qui fait la prospérité des peuples civilisés pas banni de l'habitation du roi de France, car il le serait bientôt de celle de ses sujets... »

ne soit

A ces mots de roi de France et de sujets, éclata un des plus violents orages d'interruptions et d'exclamations dont les sessions législatives aient offert l'exemple. Les apostrophes les plus véhémentes furent adressées au ministre des deux extrémités de la salle. Les uns protestaient énergiquement contre cette qualification de sujets, dans laquelle ils voyaient une insulte à la Chambre et à la nation; les autres demandaient avec instance que le ministre fût rappelé à l'ordre. D'autre part on réclamait pour M. de Montalivet la faculté de s'expliquer. Il répéta sa phrase qui excita une nouvelle et plus forte explosion de clameurs. On n'entendait que ces cris à gauche et à droite : à l'ordre, à l'ordre le ministre! qu'il se rétracte ! Il n'y a plus de sujets

en France depuis la révolution de juillet; il n'y a plus que des citoyens! En vain le président déclara qu'il serait obligé de se couvrir sí le calme ne se rétablissait pas. Il suspendit la séance et invita la Chambre à se retirer dans les bureaux, aux termes du règlement. Cependant la séance ne tarda pas à se rouvrir. M. de Montalivet remonta à la tribune.

Messieurs, dit-il, je ne m'explique pas les motifs de l'interruption prolongée dont a été l'objet le discours que j'ai eu l'honneur de prononcer dans cette enceinte. Permettez-moi de revenir sur le mot qui a paru blesser une partie de l'assemblée, je veux parler du mot sujets. Pour mon compte, Messieurs, je ne comprends pas ce qui a pu causer les si vifs murmures que ce mot a causés dans l'assemblée.... Tout dépend de la manière d'entendre ce mot. Tous les Français sont égaux entre eux ; ils sont égaux devant la loi. Le roi plane au-dessus de toute la nation, comme un grand principe, et ce principe se trouve dans la Charte. Par rapport à lui, tous les Français sont inférieurs ( rumeurs nouvelles ), et sous ce rapport on peut dire qu'ils sont sujets.» (Non! non! non!)

Cette explication, loin d'apaiser le tumulte, ne fit que lui donner un nouvel aliment. Les cris à l'ordre! rétractez-vous! recommencèrent. Des interpellations contradictoires partirent de tous les coins de la Chambre. «Nous sommes sujets de la loi et non d'aucune volonté individuelle. - Les Anglais sout tout aussi constitutionnels que nous, et cependant les membres de la Chambre des communes se disent les fidèles sujets du roi. -Le mot de sujet n'est pas dans la Charte. Les sujets sont restés ensevelis sous les barricades de juillet. - C'est une séance de la Convention. C'est une contre- révolution. C'est une émeute. » Telles sont les differentes exclamations que les députés de la gauche, de la droite et du centre se renvoyaient mutuellement. Dans ce désordre, le ministre, qui était resté à la tribune, persista à soutenir que le mot dont il s'était servi n'avait pas la signification qu'on voulait lui attribuer; il refusa de se rétracter. Les membres les plus animés prirent le parti de se retirer en protestant, et le ministre acheva enfin sa phrase qu'il avait reprise pour la troisième fois. « Il faut, dit-il, que le luxe, qui fait la prospérité des peuples civilisés, ne soit pas banni de l'habitation du roi de France; car il le serait bientôt de celle de ses sujets, au détriment de dix millions de familles

et de nos grandes cités; il faut que tous les malheureux, que toutes les infortunes privées ou publiques ne puissent tourner leurs regards vers une autre demeure. >>

Dans le reste de son discours M. de Montalivet réfutait une objection qui s'était souvent renouvelée, que M. Dupont (de l'Eure) venait encore de présenter, et qui corisistait à dire que c'était assurer et fortifier la royauté que d'en réduire l'existence extérieure aux plus étroites limites.

M. Lherbette fut le dernier orateur que la Chambre entendit dans cette séance. Il rechercha s'il était bon qu'il y eût un domaine de la couronne, et s'il n'était pas plus avantageux, de toutes manières, qu'il n'y eût qu'une allocation annuelle en argent. Mais l'assemblée encore émue des débats tumulteux qui l'avaient agitée n'écoutait qu'avec distraction les paroles de l'honorable membre.

Séance du 5. Le lendemain, après la lecture du procès-verbal, M. de Tracy prit la parole pour demander qu'il fût constaté que, nonobstant l'explication donnée la veille par M. de Montalivet, le mot sujets répété par lui avait trouvé dans la Chambre la même opposition, et que la Chambre repoussait cette appellation comme ne pouvant plus avoir lieu entre le souverain de la France, le chef de la nation, celui que tous les Français doivent et veulent respecter, et les citoyens qui composent la grande famille française. Aussitôt le débat recommença sur la propriété ou l'inconvenance de cette expression. M. le garde des sceaux prétendit qu'elle n'avait rien de contraire aux principes. Il cita comme un précédent décisif le rapport fait au roi le 8 août 1830 par la commission municipale de Paris, et où se trouvait le mot de sujets. « Représentant du pays, ajoutait le ministre, exécuteur suprême de la loi, le roi est la loi vivante; on ne peut séparer la Charte du roi; on jure à la fois fidélité au roi et fidélité à la Charte. » Cette assertion éprouva de nombreuses contradictions. M. Odilon-Barrot répondit que ce n'était pas sans dessein que la qualification de roi des Français avait été substituée dans la Charte de 1830, à

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