Images de page
PDF
ePub

sion étendue, indiquait des économies urgentes, selon lui, comme le seul moyen de préserver la France de la crise financière dont elle était menacée. Le total des réductions signalées par l'honorable membre n'allait pas à moins de 500 millions.

Sans proposer des économies aussi radicales, M. Pagès, profondément pénétré de la détresse générale, était convaincu que nous étions placés entre la misère et la révolte, et, conséquemment, entre la nécessité d'immenses sacrifices, exigés par la gravité des conjonctures, et l'imminence de grands dangers. Après avoir établi que le budget de 1832, en y joignant 24 millions 400,000 francs de dépenses supplémentaires déjà votées, 50 millions de crédits complémentaires demandés par le gouvernement, et les 12 millions de la liste civile, s'élevait à 1 milliard, 184,108,012 francs, l'orateur ajoutait que, si la Chambre se rappelait les 80 millions de l'indemnité, les 50 millions de forêts, les 300 millious de bons royaux, elle verrait que l'année 1832, en impôts, emprunts ou ventes, roulait sur un chiffre de 1,614,108,012 francs. A ce groupe de chiffres, à la misère du pays, au défaut de sécurité, d'union et d'avenir, il était permis, suivant M. Pagès, de porter un œil scrutateur, une économie ombrageuse, dans tous les mystères de ce déplorable budget. Commençant par la dette publique, l'honorable membre reconnaissait qu'il fallait remplir les promesses de l'État :

Quand on emprunte, il faut payer: voilà le droit: mais on ne paie qu'autant qu'on le peut: voilà le fait. La possibilité finit toujours par manquer dans les monarchies, et jusqu'ici tontes ont toujours fini par la banqueroute. La république des Etats-Unis est le seul État qui ait payé ses dettes une première fois, et qui touche au moment de les payer une seconde. Tâchons de ressembler air gouvernement républicain, du moins par la fidélité à nos engagements. » \

Quels étaient ces engagements? de ne pas diminuer l'intérêt et de maintenir l'amortissement. Hors de ces deux seules promesses, les prèteurs n'avaient plus rien à demander à l'Etat. Jusque-là ils étaient dans le droit commun, et le droit

est toujours inattaquable chez les peuples qui se respectent.

Mais, ajoutait M. Pagès, à l'époque où les financiers avaient toute la valeur de l'argent, et où l'argent valait d'autant plus qu'il était plus rare, le droit commun ne leur a pas suffi, et ils ont abusé du besoin qu'on avait d'eux pour former dans l'Etat des propriétés privilégiées; et si je les respecte dans le droit commun, c'est dans le privilége que je les attaque.

[ocr errors]

Jadis les propriétés féodales jouissaient d'immunités particulières : elles étaient exemptes d'impôts, insaisissables, ne devaient ni droits de succession, ni droits de mutation. Eh bien! la féodalité financière possède exactement les mêmes priviléges, et si vous voulez être justes, vous les ferez rentrer sous la loi commune.

D'abord, pour faire hausser la valeur de leur capital, ils consacrèrent à l'amortissement l'intérêt des rentes rachetées. Souvenez-vous que la loi s'est réservé le droit d'annuler ces rentes; voyez l'état actuel de la France, la misère si générale et si profonde, les impôts si onéreux et si mal assis; et, la main sur la conscience, dites si le temps n'est pas venu d'user de la faculté que la loi a laissée au législateur.

N'oubliez pas que cette somme ne leur est pas due, que PÉtat ne la leur a pas promise, qu'elle forme un privilége surabondant; qu'ils restent toujours dans le droit commun avec l'amortissement qui leur est légalement conservé, avec les intérêts payés aux taux que la loi a fixés, et nhésitez pas à consacrer aux souffrances réelles cette somme exorbitante de 41 millions 705,821 fr.

Il est un second privilége qu'il importe encore de détruire, parce qu en France chacun doit vivre sous la loi commune. Les propriétés territoriales supportent le fardeau de l'impòt; à chaque beson nouveau et pressant, c'est à la propriété foncière que l'on s'adresse; elle souffre de toutes les catastrophes politiques, de tous les orages de la guerre, de toutes les intempéries des saisons; elle est frappée d'interdit par tous les monopoles de culture, et de stérilité par des droits indirects; et cependant l'impoi est toujours là pesant de tout son poids.

Les temps sont malheureux, et je ne demande aucun allégement à ces souffrances. Mais il faut aussi que d'autres propriétés viennent au secours de l'Etat. Les rentes immobilisées sur le grand-livre, ou insaisissables dans les mains des porteurs, sont, comme les fiefs de l'ancien régime, à l'abri de tout impôt.

Le capitaliste jouit toujours d'un intérêt égal, sans aucune avance d'exploitation, sans aucune appréhension sur la vente de ses produits; jusqu'ici l'impôt n'a pu l'atteindre. Il est temps que cette prérogative cesse ; et si nous consentons à l'inégalité des faveurs, produite par la différence des richesses, nous réclamons que le poids des charges publiques pèse également sur les deux. L'impôt sur les fonds publics n'exige aucun frais de perception. Il suffit d'une retenue à l'époque du paiement des intérêts, et, en le portant seulement au dixième du revenu, il s'élèverait à une somme de 17 millions 400,000 fr.

Il est encore un privilége dont jouissent les capitalistes. A chaque transmission d'héritage, toute propriété mobilière ou immobilière est aaanjettie à des droits de succession; les fonds publics seuls passent aux hé. ritiers sans être frappes par le fisc. Si les droits de succession sont justes, il faut qu'ils pèsent également sur toutes les personnes et sur toutes les

propriétés. S'ils sont nécessaires aux dépenses de l'administration, il faut que chacun supporte le poids de cette nécessité, et le privilége dont les fonds publics sont gratifiés rend plus frappant, par le contraste, le poids qui pèse sur la propriété foncière. Il faut les ranger sous la loi commune, et si les capitalistes tiennent absolument au privilége, quoique leur rente soit immobilisée sur le grand-livre, on pourra n'exiger d'eux que le droit ́ de succession fixé pour les propriétés mobilières, et ce droit, ils ne peuvent tenter de s'y soustraire.

[ocr errors]

Il est encore un privilége qu'il importe aussi de plier à la loi commune. Lorsque le propriétaire opère une mutation quelconque de sa propriété mobilière ou immobilière, lors même qu'il prête ou emprunte de l'argent, il lui faut un notaire, du papier timbré et un droit de mutation. Les fonds publics, au contraire, se transfèrent comme l'on veut, et passent de main en main sans que le fisc puisse les imposer au passage. Il est de toute justice que la loi soit égale à tous, et si les agents de change sont les notaires des fonds publics, il faut que chaque transfert s'opère sur un papier timbré, et qu'un droit de mutation frappe chaque transfert de rente.

L'orateur abordait ensuite le chapitre des pensions, dont il exigeait la révision, au nom de la moralité. Il exprimait la certitude que ce travail, fait avec conscience, produirait une économie de plus de 15 millions. Il supprimait la dotation de la pairie, faute de concevoir la grande aristocratic française vivant d'une taxe des pairs payée par les pauvres. Il trouvait la dépense des services généraux des huit ministères au-dessus des forces actuelles de la nation, et déclarait que, dans le moment présent, il lui était impossible de ne pas réclamer des réductions assez nombreuses pour être un soulagement réel, assez modérées pour ne frapper que le superflu, assez prudentes pour n'entraver aucun des services publics.

Dans son opinion, la monarchie pouvait, en conservant le même système, économiser 145 millions; en changeant de système, elle pouvait réduire les dépenses de 100 millions, et faire, en passant de l'état de guerre à l'état de paix, une épargne de 141 millions. Si ces réductions s'opéraient, le budget se trouverait réduit aux proportions qu'il avait sous l'empire comparé aux revenus du pays, combinés avec sa population, il serait dans une égalité parfaite avec le budget de la Grande-Bretagne.

• Voilà, Messieurs, disait, en terminant, l'honorable membre, les réformes salutaires qui peuvent affermir le trône et satisfaire la nation. Pendant quinze ans une opposition courageuse a demandé l'économie aux ministères de la restauration, et pendant quinze ans des majorités qui cachaient la corruption de la vénalité sous le masque du royalisme et du déVouement ont voté la prodigalité. A chaque session, les hommes de l'économie ont été traînés d'outrages en outrages par ces hommes du budget qui, assis tranquillement sur le trésor public, vivaient de traitements, de pensions, de fournitures, de spéculations, d'espérance de places ou d'expectative de pairie.

Ces hommes ont pu faire leurs affaires privées; ils ont perdu les affaires publiques (Sensation); ils ont conduit le peuple à la révolte et la monarchie dans l'abîme. Mais, Messieurs, vous étiez de l'opposition; aujourd'hui, vous donnerez un grand exemple à la France et à la royauté; vous leur prouverez qu'en changeant d'intérêts vous n'avez pas changé de principes.

Séance du 17. Ce discours, écouté avec une approbation marquée, avait produit une si profonde impression que, dès le lendemain, M. Thiers, contrairement aux usages parlementaires qui n'appellent de nouveau le rapporteur à la tribune que pour résumer la discussion, jugea nécessaire de répondre à M. Pagès. Cependant plusieurs orateurs furent d'abord entendus, qui insistèrent également sur le danger qu'il y aurait à ne pas diminuer les taxes publiques et à ne pas adopter un système plus favorable aux intérêts des masses. Ils s'accordèrent aussi en ce point, que les réductions proposées par la commission étaient illusoires, et que l'amortissement devait être réduit à sa dotation ordinaire. (MM. de Civry, Reallier-Dumas.)

M. Pagès avait porté le budget à 1,614,000,000. Les faits exacts, disait M. Thiers, pris dans les états joints aux budgets imprimés et dans les propositions de lois faites à la Chambre, élèvent, en définitive, le budget de 1831 à 1 milliard 233 millions. Le budget de 1832, fixé d'abord à 1 milliard 97 millions, montait, avec les 13 millions de la liste, civile et les 2 millions 800,000 francs pour les places fortes, à la somme de 1,112,300,000 francs, qui diminuerait encore de 10 millions, si les réductions proposées par la commission étaient adoptées.

Après avoir critiqué cette habitude qu'on prend de consi

dérer toujours la dette flottante comme un des besoins de l'année, et de l'ajouter ainsi au chiffre des budgets; après après avoir dit qu'une dette flottante de 300 millions n'est pas un péril, qu'elle est au contraire une ressource utile qui existe dans tous les pays, M. Thiers entrait plus spécialement dans la réfutation des discours prononcés par MM. Audry de Puyraveau et Pagès.

Ici M. le rapporteur se livrait à des calculs, relativement aux pensions, dont il résultait que M. Pagès avait raisonné sur un chiffre beaucoup plus élevé que celui qui était accessible aux réductions. Les seules pensions dans cette dernière catégorie étaient, suivant M. Thiers, celles de la pairie, s'élevant à 1 million 600,000 francs. Les économies indiquées par M. Pagès sur la dette et les divers ministères étaient également combattues par l'orateur, qui s'attachait à en démontrer l'impossibilité.

Arrivant à la question des rentes et de l'amortissement, il rappelait que son honorable collègue avait dit qu'il fallait respecter ses engagements. I demandait si ce serait les respecter que de frapper les rentes d'un impôt, lorsqu'elles en sont formellement exemptes par la loi de leur création. Ce privilége est d'ailleurs partagé par d'autres créances, telles que les fonds sur hypothèques, les valeurs en portefeuilles : il a sa raison dans la nécessité de ne pas mettre les capitaux prêtés à l'État dans une situation pire que celle de ces derniers. Au surplus M. Thiers contestait que les deux impôts à établir sur les rentes et les transferts pussent rapporter 35 millions.

Ces considérations, présentées avec un talent très-remarquable, n'empêchèrent point M. Legendre de se prononcer aussi contre l'amortissement, dont il soumettait les résultats matériels, depuis sa création, à une analyse qui nous a parų devoir trouver place ici :

» La caisse d'amortissement, depuis 1816 jusqu'au 31 décembre 18301

« PrécédentContinuer »