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piquer de marquer leur taille, ce qui ne fert qu'à la déformer. Leurs défauts du corps & de l'efprit viennent prefque tous de la même caufe; on les veut faire hommes avant le tems.

Il y a des couleurs gaies & des couleurs triftes; les premieres font plus du goût des enfans; elles leur fiéent mieux auffi, & je ne vois pas pourquoi l'on ne confulteroit pas en ceci des convenances fi naturelles; mais du moment qu'ils préferent une étoffe parce qu'elle eft riche, leurs cœurs font déjà livrés au luxe, à toutes les fantaifies de l'opinion, & ce goût ne leur eft fûrement pas venu d'eux-mêmes, On ne fauroit dire combien le choix des vêtemens & les motifs de ce choix influent fur l'éducation. Non-feulement d'aveugles meres promettent à leurs enfans des parures pour récompense; on voit mê me d'infenfés Gouverneurs menacer leurs Eléves d'un habit plus groffier & plus fimple, comme d'un châtiment. Si vous n'étudiez mieux, fi vous ne confervez mieux vos hardes, on vous habillera comme ce petit Payfan. C'eft comme s'ils leur difoient; Sachez que l'homme n'eft rien que par fes habits. que votre prix eft tout dans les vôtres. Faut-il s'étonner que de fi fages leçons profitent à la Jeuneffe, qu'elle n'eftime que la parure, & qu'elle ne juge du mérite que fur le feul extérieur?

Si j'avois à remettre la tête d'un enfant ainfi gåté, j'aurois foin que fes habits les plus riches fuffent les plus incomodes; qu'il y fut toujours gêné, toujours contraint, toujours affujetti de mille ma

nieres s:

âge. Il fuffit d'éviter l'inconvénient des fortes ligatures. Le Pruffien eft bien plus ferré, & pour ainfi dire, fanglé que le François; s'en porte t-il plus mal? Eft-il moins difpos & vi goureux, que ceux qui portent des habits lâches, ou de longs vêtemens ?

nieres: je ferois fuir la liberté, la gayété devant fa magnificence: s'il vouloit fe mêler aux jeux d'autres enfans plus fimplement mis, tout cefferoit, tout difparoîtroit à l'instant. Enfin, je l'ennuyerois, je le raffafierois tellement de fon faste, je le rendrois tellement l'esclave de fon habit doré, que j'en ferois le fléau de fa vie, & qu'il verroit avec moins d'effroi le plus noir cachot que les apprêts de fa parure (*). Tant qu'on n'a pas affervi l'enfant à nos préjugés, être à fon aife & libre est toujours fon premier défir; défir; le vêtement le plus fimple, le plus comode, celui qui l'affujettit le moins, est toujours le plus précieux pour lui.

Il y a une habitude du corps convenable aux exercices, & une autre plus convenable à l'inaction. Celle-ci, laiffant aux humeurs un cours égal & uniforme, doit garantir le corps des altérations de l'air; l'autre, le faifant paffer fans ceffe de l'agitation au repos, & de la chaleur au froid, doit l'accoûtumer aux mêmes altérations. Il fuit de là que les gens cafaniers & fédentaires doivent s'habiller chaudement en tout tems, afin de fe conferver le corps dans une température uniforme, la même à-peu-près dans toutes les faifons & à toutes les heures du jour. Ceux, au contraire, qui vont & viennent, au vent, au foleil, à la pluye, qui agiffent beaucoup, & paffent la plupart de leur tems fub dio, doivent être toujours vêtus légérement, afin de s'habituer à tou

tes

(*) M. F. Il verroit avec moins d'effroi le plus noir cachot que les apprêts de fa parure.] Il y a une parure innocente qui, affortie à l'état, & qui eft compagne de la propreté. Il s'agit toujours d'éviter les deux extrêmes. La fimplicité peut être affectée tout comme la parure: on voit des gens qui fe plai fent à être mal mis & mal propres, qui cherchent à fe distin

guer par-là.

(**) M. F. Ne point changer d'habit felon les faifons.] Ce

соде

tes les viciffitudes de l'air, & à tous les dégrés de température, fans en être incomodés. Je confeillerois aux uns & aux autres de ne point changer d'ha bits felon les faifons (**), & ce fera la pratique constante de mon Emile, en quoi je n'entends pas qu'il porte l'été fes habits d'hiver, comme les gens fédentaires, mais qu'il porte l'hiver fes habits d'été, comme les gens laborieux. Ce dernier ufage a été celui du Chevalier Newton pendant toute fa vie, & il a vécu quatre-vingts ans.

Peu ou point de coëffure en toute faifon. Les anciens Egyptiens avoient toujours la tête nue; les Perfes la couvroient de groffes tiares, & la couvrent encore de gros turbans, dont, felon Chardin, l'air du pays leur rend l'ufage néceffaire. J'ai remarqué dans un autre endroit (18) la distinction que fit Hérodote fur un champ de bataille entre les crânes des Perfes & ceux des Egyptiens. Comme donc il importe que les os de la téte deviennent plus durs, plus compactes, moins fragiles & moins poreux pour mieux armer le cerveau non- feulement contre les bleffures, mais contre les rhumes, les fluxions, & toutes les impreffions de l'air, accoûtumez vos enfans à demeurer été & hiver, jour & nuit, toujours tête nue. Que fi pour la propreté & pour tenir leurs cheveux en ordre, vous leur voulez donner une coëffure durant la nuit, que ce foit un bonnet mince à claire voie, & femblable au

rezeau

(18) Lettre à M. d'Alembert fur les Spectacles. page 109. premiere Edition.

confeil fuppofe des Emiles tout faits, au lieu qu'il s'agit de commencer par en faire. D'ailleurs il y a des Contrées où les variations de l'air font fi fubites & fi pénétrantes, que les Emiles mêmes fe trouveroient mal de négliger toutes les pré cautions.

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rezeau dans lequel les Bafques enveloppent leurs cheveux. Je fais bien que la plupart des meres, plus frappées de l'obfervation de Chardin que de mes raifons, croiront ttouver par-tout l'air de Perfe; mais moi je n'ai pas choifi mon Elevé Européen pour en faire un Afiatique.

En général, on habille trop les enfans & fur-tout durant le premier âge. Il faudroit plutôt les endurcir au froid qu'au chaud; le grand froid ne les incomode jamais quand on les y laiffe expofés de bonne heure: mais le tiffu de leur peau, trop tendre & trop lâche encore, laiffant un trop libre paffage à la tranfpiration, les livre par l'extrême chaleur à un épuisement inévitable. Auffi remarque-t-on qu'il en meurt plus dans le mois d'Août que dans aucun autre mois. D'ailleurs, il paroît conftant, par la comparaifon des Peuples du Nord & de ceux du Midi, qu'on fe rend plus robufte en fupportant l'excès du froid que l'excès de la chaleur; mais à mefure que l'enfant grandit, & que fes fibres fe fortifient, accoûtumez-le peu-à-peu à braver les rayons du foleil; en allant par dégrés vous l'endurciriez fans danger aux ardeurs de la Zone torride.

Locke, au milieu des préceptes mâles & fenfés qu'il nous donne, retombe dans des contradictions qu'on n'attendroit pas d'un raisonneur auffi exact. Če même homme qui veut que les enfans fe baignent l'été dans l'eau glacée, ne veut pas, quand ils font échauffés, qu'ils boivent frais ni qu'ils fe couchent par terre dans des endroits humides (19). Mais puifqu'il veut que les fouliers des enfans prennent l'eau dans tous les tems, la prendront-ils moins quand l'enfant aura chaud, & ne peut-on pas lui fai

re

(19) Comme fi les petits Payfans choififfoient la terre bien féche pour s'y afféoir ou pour s'y coucher, & qu'on eût ja mais oui dire que l'humidité de la terre eût fait du mal à pas

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re du corps par rapport aux pieds les mêmes inductions qu'il fait des pieds par rapport aux mains, & du corps par rapport au vifage? Si vous voulez, lui dirois-je, que l'homme foit tout vifage, pourquoi me blâmez-vous de vouloir qu'il foit tout pieds?

Pour empêcher les enfans de boire quand ils ont chaud, il prefcrit de les accoûtumer à manger préa lablement un morceau de pain avant que de boire. Cela est bien étrange, que quand l'enfant a foif, il faille lui donner à manger; j'aimerois mieux, quand il a faim, lui donner à boire. Jamais on ne me perfuadera que nos premiers appétits foient fi déréglés, qu'on ne puiffe les fatisfaire fans nous expofer à périr. Si cela étoit, le genre-humain fe fût cent fois détruit avant qu'on eût appris ce qu'il faut faire pour le conferver.

Toutes les fois qu'Emile aura foif, je veux qu'on lui donne à boire. Je veux qu'on lui donne de l'eau pure & fans aucune préparation, pas même de la faire dégourdir, fût-il tout en nage, & fût-on dans le cœur de l'hiver. Le feul foin que je recommande, eft de diftinguer la qualité des eaux. Si c'eft de l'eau de riviere, donnez-la lui fur-le-champ telle qu'elle fort de la riviere. Si c'eft de l'eau de four

il la faut laiffer quelque-tems à l'air avant qu'il la boive. Dans les faifons chaudes, les rivieres font chaudes; il n'en eft pas de même des fources, qui n'ont pas reçu le contact de l'air. Il faut attendre qu'elles foient à la température de l'athmosphere. L'hiver, au contraire, l'eau de fource eft à cet égard moins dangereufe que l'eau de riviere. Mais il n'eft ni naturel ni fréquent qu'on fe mette l'hiver en fueur, fur-tout en plein air. Car l'air froid, frappant

un d'eux? A écouter là-deffus les Médecins, on croiroit les Sauvages tout perclus de rhumatifmes.

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