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» 418, les Romains établis dans la Grande-Bretagne, appréhendant ▷ les menaces et la fureur des Pictes, abandonnèrent l'île et se > retirèrent dans les Gaules, et qu'il y a tout sujet de croire que plusieurs Bretons les accompagnèrent dans leur retraite et » vinrent dès-lors en Armorique..... On ne peut encore s'empêcher » de croire que plusieurs familles abandonnèrent aussi leur pays » lorsque, la légion que l'empereur Honorius y avait envoyée » l'an 422 s'en étant retirée, les Pictes firent un dégât épouvan> table dans les provinces du nord, tuant impitoyablement ceux » qui résistaient..... Les Pictes revinrent encore l'an 431, ren> versèrent le mur de pierre qu'une autre légion romaine avait fait » bâtir, et s'emparèrent d'une grande partie du pays des Bretons. > On ne compte pas ordinairement cette époque pour une de celles » du passage des Bretons dans l'Armorique; mais il n'y a pas lieu » de douter qu'un très-grand nombre d'habitants n'y soit venu dans › ce temps-là, puisque, selon Gildas, plusieurs s'embarquèrent pour » passer au-delà de la mer..... Selon ces conjectures, ou plutôt selon > ces preuves, des troupes de Bretons septentrionaux, c'est-à-dire » des Otadènes, des Horestes, etc., furent les premiers qui vinrent » dans l'Armorique. Ce furent les inhumanités des Pictes et des Scots, » la famine et la peste, qui les chassèrent à différentes reprises » avant que les Saxons, Angles et Jutes, fussent venus dans l'île 2. >>> M. de Courson n'ajoute rien, d'ailleurs, aux arguments de dom Le Gallois.

Je connaissais depuis longtemps ce passage, je ne m'y étais pas arrêté, voici pourquoi. Quant aux émigrations prétendues de 418 et de 424, dom Le Gallois lui-même les avoue purement conjecturales par les formes mêmes de son langage: Il y a tout sujet de croire ; on ne peut s'empêcher de croire. Il serait aisé de fournir des conjectures différentes, tout aussi croyables et vraisemblables.

L'émigration mise par D. Le Gallois sous l'an 431 serait assurément mieux appuyée, et nous n'hésiterions pas à l'admettre, si Gildas, à cette occasion, nous disait effectivement que << plusieurs

1 En 424, selon les mémoires manuscrits de dom Le Gallois.

2 Ibid., pp. CCCXLIII et CCCXLIV, et Blancs-Manteaux, vol. XLIV, pp. 190-191.

TOME IV. 2e SÉRIE.

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Bretons insulaires s'embarquèrent alors pour passer au-delà de la mer. Aussi D. Le Gallois en parle-t-il d'un ton un peu plus affirmatif que de celles de 418 et de 422. Malheureusement, vérification faite, il est sûr que D. Le Gallois s'est trompé. Entre l'expédition de Maxime et l'invasion saxonne, on ne trouve dans le texte de Gildas, aucune allusion à un passage quelconque des Bretons insulaires sur le continent.

Au contraire, dans l'histoire des incursions scoto-pictiques telle que la raconte Gildas, on trouve un texte célèbre, qui nous semble repousser implicitement, mais très-fortement, toutes ces conjectures d'émigrations. C'est la lettre des Bretons à Aétius. En 446, pressés plus que jamais par les Scots et les Pictes, les Bretons adressèrent à ce général, pour en obtenir du secours, une lettre où ils résumaient en ces deux lignes énergiques les angoisses de leur triste situation : « Les barbares nous repoussent vers la mer, et la » mer nous repousse vers les barbares; il ne nous reste que le choix › entre deux genres de mort, ou le fer ou les flots'. » Si une portion quelque peu notable de la nation avait dès-lors pris le parti de se soustraire aux barbares en passant en Gaule, les Bretons se fussent bien gardés de dire à Aétius que la mer les repoussait vers les barbares et ne leur offrait qu'une voie de plus vers la mort, car ce général n'eût pas manqué, avec raison, de leur répondre qu'elle leur offrait au contraire une précieuse voie de salut. C'est justement parce que les Bretons, malgré les ravages des Pictes, n'avaient pu encore se résigner à déserter leur patrie, que la mer les repoussait vers les barbares autrement, ce mot eût été un non-sens, une

contre-vérité.

Loin donc de prêter appui aux conjectures formulées par D. Le Gallois, le texte de Gildas en montre le mal fondé.

N'eussent-elles pas ce texte contre elles, nous ne les admettrions pas encore. Si habilement qu'on les fasse, des conjectures sont, en bonne critique, un fondement trop incertain, trop fragile, pour y

Aetio ter consuli gemitus Britonum: Repellunt nos barbari ad mare, repellit mare ad barbaros; inter hæc oriuntur duo genera funerum; aut jugulamur, aut mergimur >> Gildas, Historia, § 20.

poser la première assise de l'histoire d'une nation. Une conjecture en vaut aisément une autre; une fois lancé dans cette voie, où s'arrêter? De quel droit repousser, dès-lors, les conjectures qu'on nous présentera en faveur de Conan Mériadec et du prétendu établissement de 383, d'autant que celles-là, au lieu d'avoir Gildas contre elles, peuvent au contraire s'y appuyer de quelque façon ? Sur des faits secondaires, quand on ne peut mieux, qu'on supplée à la certitude par une conjecture prudente, soit. Maist pour établir des faits de premier ordre et des dates fondamentales, il faut plus, il faut des textes certains et des témoignages irrécusables.

En plaçant de 455 à 460 le commencement de nos émigrations bretonnes, nous avons tout cela.

Car, d'une part, Gildas, sitôt après avoir retracé les débuts et les désastres de l'invasion saxonne, nous dit que, pour y échapper, une partie des Bretons insulaires passaient sur le continent', et, selon la Chronique saxonne, c'est en 455 que les Anglo-Saxons livrèrent aux Bretons leur première bataille. D'autre part le concile de Tours de 461, où figure un évêque des Bretons, nous montre qu'il y avait dès-lors en Armorique un groupe d'émigrés assez nombreux pour avoir ses évêques particuliers. Ainsi en mettant le début de la colonisation bretonne dans notre péninsule non en 465 (car je n'ai jamais adopté cette date), mais de 455 à 460, on est sur un terrain sûr, au lieu qu'en le faisant remonter trente ans plus haut, et en lui donnant pour cause les incursions pictiques, comme le veut aujourd'hui M. de Courson à la suite de D. Le Gallois, on n'a pour appui que des conjectures ni solides, ni nécessaires, ni utiles.

Ceci soit dit sans manquer de respect à la science bénédictine. Personne n'admire plus que moi la critique et les travaux de D. Le Gallois, de D. Lobineau et de leurs collaborateurs 2; personne n'a

1 << Alii trensmarinas petebant regiones cum ululatu magno, ceu celeusmatis vice, boc modo sub velorum sinibus cantantes : « Dedisti nos tanquam oves escarum et in » gentibus dispersisti pos » Gildas, Historia, § 25.

? C'est-à-dire, dom Audren de Kerdrel, dom Brient et dom Roguier; car dom Morice,

plus contribué à remettre leurs opinions en honneur. Mais si j'adopte leurs principes et tous les traits généraux de leur théorie historique, je crois aussi qu'il est permis de les contrôler et de les rectifier sur plus d'un point. Je crois même, agissant ainsi, les respecter mieux qu'en suivant servilement sans examen toutes leurs opinions.

Et d'ailleurs, il faut s'entendre. D. Le Gallois me semble loin d'avoir attaché autant d'importance que M. de Courson aux émigrations conjecturales antérieures à l'invasion saxonne. Car, ayant dit ce qu'il en pense, le prudent bénédictin ajoute aussitôt : < Toutefois, puisque ces premières bandes ne firent pas d'Etat » différent et qu'elles se confondirent avec les Armoricains, on ne » doit y avoir aucun égard et ne considérer la transmigration des » Bretons que lorsqu'ils vinrent deçà la mer en si grand nombre » qu'ils y formèrent une république à part, composée de plusieurs

états, séparés et indépendants des Gaulois. Ce fut indubitable»ment vers l'an 456 que cet événement arriva, et il n'y a guère de » vérité historique plus certaine que cet établissement de la > nation bretonne dans l'Armorique 1. »

Et plus bas « Gildas le Sage dit expressément, après une » triste mais fidèle peinture du pitoyable état où la Bretagne insulaire fut réduite par l'ingrate et perfide cruauté des Saxons, » qu'une partie de la nation prit alors la fuite et alla s'établir au» delà de la mer...... Or il n'y a pas d'autre pays deçà la mer » où l'on puisse dire que le fort de la nation se soit établi que

l'Armorique occidentale. L'établissement des Bretons s'est donc » fait dans l'Armorique à cette occasion, car on ne peut dire qu'il > ait commencé plus tard, et l'on ne peut aucunement prouver » qu'il se soit fait plus tôt 2. »

Enfin il conclut : « Ce doit être désormais un point fixe dans

très inférieur à ces cinq bénédictins, ne fut jamais leur collaborateur; il profita seulement de leurs travaux, et quelquefois assez mal.

1 Cartul. de Redon, p. CCCXLIV, et Collection manuscrite des Blancs-Manteaux. vol. XLIV, p. 191.

2 Blancs-Manteaux, XLIV, p. 193.

> l'histoire de Bretagne, que les Bretons ne vinrent deçà la mer > en état d'y faire un corps de république et d'y être considérés » comme une nation distincte que vers 456 '.

>>

Dom Le Gallois ne considérait donc les émigrations conjecturales antérieures à l'invasion saxonne que comme un fait très-minime et d'un caractère purement privé. A chaque fois c'étaient quelques familles, dix, vingt, trente au plus, qui s'expatriaient, comme de nos jours, après les révolutions et les troubles civils, on voit un certain nombre de particuliers compromis ou effrayés passer la frontière. Aussi D. Le Gallois est conséquent; n'attribuant à ces émigrations qu'un caractère tout individuel, il avoue que l'histoire ne doit y avoir aucun égard. C'est pour cela que nous n'en avons tenu ni n'en tiendrons compte, nous conformant mieux par là aux intentions de dom Le Gallois que si nous essayions d'ériger ces simples conjectures en théorie historique.

II.

Après avoir cité l'extrait de D. Le Gallois auquel nous venons de répondre, M. de Courson ajoute :

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Ce passage de dom Le Gallois nous paraît remarquable. Il en > ressort (et c'était là notre thèse contre M. Varin, il y a quelque vingt ans), il en ressort qu'avant l'époque où les Saxons eurent › forcé une grande partie des populations de l'île de Bretagne à ▷ chercher un refuge sur le continent, d'autres Bretons, vaincus > par les Pictes et par les Scots, avaient été contraints, eux aussi, » [vers 418, 424, 431] de passer dans l'Armorique 2. »

En 1840, le savant doyen de la Faculté des lettres de Rennes, M. Varin, publia en tête de la nouvelle édition du Dictionnaire de Bretagne d'Ogée, un Examen de l'opinion de Gallet relative à la colonisation de l'Armorique par les Bretons. L'abbé Gallet, qui

1 Blancs-Manteaux, XLIV, p. 194.

2 Cartul. de Redon, p. cccXLIV.

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