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Cet aveu ne me surprit point, mais il me jeta dans une perplexité profonde nous sortions d'un abime pour nous plonger dans un autre; de Charybde, nous tombions en Scylla. Avec son imagination féconde en chimères, notre poète ne doutait de rien et ne supposait pas le plus léger obstacle. Une noble jeune fille, pure comme un ange, souriante comme un matin de mai, s'offrait à ses regards, et lui, fasciné par ces rares attraits, il trouvait tout simple que le charme descendit de ses yeux à son cœur, et il se mettait à l'aimer de toute la puissance de ce cœur ardent, qui bondissait d'aise d'avoir enfin rencontré l'idéal tant désiré ! - Mais les suites de cette folle passion? - Ah! l'on n'y songeait guère : - Aimons d'abord, Dieu fera le reste!

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L'apparence, en effet, que M. et Mme Dumont, tout bienveillants et indulgents qu'ils fussent par nature, consentissent à mettre la main de leur fille, douée de tous les biens ceux de la beauté comme ceux de la fortune dans la main d'un pauvre régent de collége communal, du fils d'un ancien garde-chasse, qui, loin de recevoir une dot de ses parents, était obligé de les aider de sa bourse, et n'avait enfin pour toute richesse que sa haute intelligence et ses généreux sentiments!

Je n'avais jamais, pour ma part, accordé grande confiance au dicton L'on a vu des rois épouser des bergères; mais rien ne m'étonnerait à présent, je suis converti, et je crois la jeunesse et l'amour capables de triompher de tout, depuis que j'ai vu, à l'automne de 1790, Mlle Marguerite Dumont devenir la légitime et bienheureuse épouse de Georges Blondel, à la satisfaction de la famille entière, sans oublier son vieil ami et presque son second père, celui qui vous raconte avec émotion ce miracle du cœur !

(La suite au prochain numéro.)

EMILE GRIMAUD.

LE CHATEAU DE LAMBALLE.

Au commencement du siècle dernier, les ruines du château de Lamballe étaient encore assez importantes. Voici ce que l'on trouve dans un mémoire contemporain : « Les fortifications de ce château > sans parler des deshors consistoient dans un renfort nommé » Villemarquer à l'orient, près duquel estoit une platte-forme > extrêmement élevée où l'on mettoit une batterie de canon pour >> commander une hauteur qui estoit de ce costé là assez près de »ce fort; tirant vers midy est l'église de Notre-Dame dont tout le >> chœur en dehors est dispozé pour servir de fortification et > commande cette mesme hauteur: on y voit encore les échau> guettes, les guerittes, un parapet, des embrazures et des loge>> mens pour les soldats, pratiqués sur les voutes des recherches 1 » de l'églize; il y avoit de plus un ravelin du costé du midy, et le > reste estoit flanqué de six tours, une desquelles qui joignoit la > porte du château renfermoit huict estages, dont le premier estoit > de douze pieds de hauteur. La ville avoit autres fois aussi ses >> murailles dont on voit encore des restes, et où il y avoit trois

1 La valeur de ce mot n'a pas encore été fixée; je pense qu'il doit être rapproché des chapelles de la Cherche ou Recherche qui existaient dans quelques églises de Bretagne et de Normandie. M. Fr. Michel suppose que cherche vient de l'anglais church, église. M. le Héricher se rapproche, je crois, davantage de la vérité en y retrouvant une partie de l'église, et non pas l'église tout entière: il pense que c'est la circata, l'abside avec le tour de ses chapelles.

> grandes portes et deux petittes qui ouvroient sur six fauxbourgs » qui l'environnent. Il y avoit aussy plusieurs tours. >> Cinquantedeux, suivant le chanoine Jean Chapelain.

Aujourd'hui il ne reste plus que les fortifications de l'église Notre-Dame, ancienne collégiale et chapelle castrale; une maison de mince apparence et relativement moderne occupe une partie de l'emplacement du château 1; le reste est converti en jardins et en promenades publiques dont la création remonte à Julien Chomel, syndic des bourgeois en 1643, et le complément, au maire Bisuchet en 1800. Le bâtiment jadis construit pour conserver les archives des ducs de Penthièvre, est vide depuis que tous les titres qui y étaient déposés ont été classés dans des salles réservées des Archives départementales, à Saint-Brieuc.

J'ai pensé que les lecteurs de la Revue de Bretagne et de Vendée me permettraient de mettre ici en ordre toutes les notes que j'ai pu réunir sur cet antique donjon dont le nom appartient à l'histoire de France.

Sur le grand chemin de Rennes à Saint-Brieuc, via Redonensis, non loin du point où cette voie traversait la rivière de Goissan, s'élève un rocher au pied duquel était jadis un oratoire construit en l'honneur de saint Paul 2. Etait-ce un souvenir du premier évêque de Léon, ou d'un ermitage habité par quelque pieux anachorète dont la légende est oubliée? Je ne puis répondre à cette double question. Il m'est seulement permis d'affirmer que ce rocher et le territoire qui l'entourait faisaient primitivement partie de la paroisse de Maroué 3; la chapelle de Lanna-Pauli donna son nom à cette petite circonscription qui plus tard s'appela Lamballe.

1 Cette maison, pendant quelques années, a servi d'asile aux sourds-muets recueillis par M. l'abbé Garnier, avant que ce respectable ecclésiastique, à force de persévérance, eût fondé le bel établissement qui s'élève auprès de Saint-Brieuc.

2 Ecclesiam eciam sancti Michaëlis apud Monte consulare, cum terris et decimis et possessionibus suis, capellam de Lanna-Pauli rum decimis suis et possessionibus, Coetmaioch, etc. (D. M. 1. 616. Arch. de Rennes.)

3 Lamballe était cerné complétement par Maroué et les trèves de cette ancienne paroisse, presque jusqu'aux fossés. D'après une tradition, les recteurs de Lamballe furent longtemps obligés de remplir le devoir pascal dans l'église de Maroué.

TOME IV. 2e SÉRIE.

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Une agglomération d'habitations était groupée autour de cette chapelle, sur la gauche du chemin actuel qui se dirige vers Moncontour; l'emplacement de ce village, depuis longtemps livré à la culture, s'appelait au XIe siècle Vetus Lambala, plus tard les vieilles Lamballes'. Dans toute cette partie du territoire la charrue met au jour des débris anciens qui remontent jusqu'à l'époque gallo-romaine; il y a lieu de croire que la chapelle de LannaPauli s'éleva sur l'emplacement de quelque bourgade antique ruinée par les invasions normandes. Il existe de nombreux exemples analogues sur tout le littoral du diocèse de SaintBrieuc.

Je suis porté à penser que Geoffroi Boterel I, fils du comte Eudes, dans le dernier quart du XIe siècle, construisit le château de Lamballe; après la forteresse il fonda le prieuré de Saint-Martin dont les archives nous ont été conservées. Geoffroi Boterel, toujours en guerre avec les aînés de sa maison, dut chercher à défendre ses domaines du côté de Rennes. Ce qui pouvait encore subsister du Velus Lambala fut abandonné, et les habitants se rapprochant des remparts du comte, formèrent le burgum du nouveau Lamballe, appelé en 1144 Lambalum opidum 3.

Les plus anciens actes fournissent peu de détails sur cette ancienne forteresse; une charte de 1084 mentionne un moulin situé devant sa porte, ainsi que le marché public qui s'y tint quelque

1 « Dedit Deo et beato Martino veterem Lambalam... et totam illam terram que est inter novam Lambalam et aquam que vocatur Goissan. (Acl. de SaintMartin de 1084). Dans un aveu de 1741, on lit: « Autre pièce de terre appelée la » Vieille Lamballe, contenant deux journaux de terre ou environ, joignant à la terre » de la seigneurie de Mouexigné, d'autre à terre d'Ollivier Bertho. » Il faut rapprocher ce texte de la mention des Grands et petits Saint-Pal, ainsi que du pré du même nom relatés dans l'aveu de Penthièvre de 1682.

2 Feu M. Cornillet, qui s'occupait avec tant de zèle des antiquités de Lamballe, avait recueilli plusieurs de ces débris qui sont aujourd'hui déposés au musée de Saint-Brieuc. Dans la chronique du chanoine Jean Chapelain on lisait : « Le vieux Lamballe est au» dessous du tertre où est la justice. Mrançais Fruot, hoste de la Corne-de-Cerf à » Saint Mélaine, en a fait tirer quantité de beaux mêrains et pierres. »

3 Quineciam quicunque manserit in elemosina que est inter cenobium eorum et Lambalum opidum. (Act. de Saint-Martin de Lamballe.)

4 Dedit eciam predictus comes (Goffredus) molendinum quemdam ante portam ipsius castri situm. (Id.)

temps1; vers la même époque on constate encore l'existence d'une autre porte qui paraît avoir fait partie de l'enceinte du bourg 2.

Le Penthièvre étant tombé au pouvoir du duc Pierre Mauclerc, la forteresse de Lamballe fut épargnée. Si ce prince était porté à détruire les tours des barons, il savait se servir des positions stratégiques qui, dans ses mains, servaient utilement à consolider son système de centralisation despotique. Aussi il conserva les forteresses de Lamballe et de Jugon. En 1213 nous voyons Pierre Mauclerc fixer à huit livres la redevance que le prieur de SaintMartin était tenu d'acquitter pour la garde du château'.

Il n'est plus question du château de Lamballe ensuite jusqu'au milieu du XIVe siècle. Pendant sa longue lutte contre Jean de Montfort, Charles de Blois en fit compléter les fortifications; sans le prévenir, ses officiers enclavèrent l'église Notre-Dame dans le système de défense, et le pieux duc, pour soulager sa conscience, crut devoir faire une aumône : il donna au recteur une rente annuelle de trente florins, et à « l'œuvre » de l'église quatre-vingtdix florins. Quelques années plus tard, le château de Lamballe était la résidence habituelle du connétable de Clisson et de Beaumanoir, pendant la guerre qu'ils faisaient au duc. Livré à celui- ci par le traité du 20 juin 1387, Bertrand Gouyon, qui y commandait, s'y laissait surprendre, le 10 juillet suivant, par Beaumanoir, qui « échella et entra de nuict dans la ville et dans le chasteau. »

Chaque siècle avait dû apporter au vieux donjon du Penthièvre des modifications et surtout des augmentations, principalement à dater de Guy de Bretagne. Aux barons des XIVe et XVe siècles, à

1 Convenit eciam inter eum (comitem) el monachos ut ipse, mercatum suum de terra illa quam eis donaverat alibi transferret quod quidem ita fecit, et eum in castrum transtulit. Nec multo post hominibus patrie illius mercatum ipsum infra castrum propter incomoditatem loci ferre non volentibus, accessit sepedictus comes ad monachos.... et peciit ab eis quatinus mercatum ipsum in terra sancti Martini iterum trans ferri permitterent. (Id.)

2 Quamdam terram ante portam Lambauli que vulgari sermone vocatur Guarda, quia in medio ejusdem terre quidam parvus mons insurgil. (Id ) 3 Mihi nihil retinens propter ejusdem domus beneficia et oraciones exceptis octo libris mihi per manum prioris ejusdem domus in quadragesima Domini de gardagio annuatim reddendis. (Act. de Saint Martin.)

4 D. Morice, II, 33.

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