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leresque, ayant l'habitude de convier à ses expositions tous les artistes, quelle que soit leur nationalité, et traitant souvent les étrangers avec une partialité généreuse.

Il n'est pas jusqu'au monde antédiluvien, avec ses paysages et sa faune fantastique, que la peinture n'ait essayé, à son tour, de reconstruire, par la main téméraire de M. Hugard. Emules des voyageurs, des géographes et des archéologues, nos artistes rivalisent ainsi également avec les géologues et les paléontologistes. Si, comme il a été dit, les sciences sont sœurs, les arts ne sont-ils pas leurs frères ?

Pour en revenir aux peintres bretons et vendéens, si à ceux que nous avons passés en revue, nous ajoutons les noms de M. Bidon (de Napoléon-Vendée) (fleurs); de M. Birotheau (portrait de l'auteur); de M. Delhumeau, autre jeune peintre vendéen, qui dans le Portrait de M. T., a montré un faire vigoureux et plein de relief, avec un peu de raideur toutefois; de Mlle L. Hautier, de Rennes (Catherine de Médicis chez René le Florentin); de M. Jobbé-Duval, de Carhaix, artiste distingué qui peut se passer de nos éloges; de M. Jugelet, de Brest (paysage); de M. Marionneau (Les dernières feuilles); de M. Bournichon, de Nantes ( Intérieur mauresque et dessins); de M. Henri Dubois, de Nantes (portrait); de M. Tillier, du Boupère (La Fable et la Vérité); de Mme Marielle, de Nantes (émaux); de M. Loué, de NapoléonVendée (dessins et plan d'architecture), nous aurons à peu près épuisé la liste, pour ce qui est du moins de la peinture et de l'architecture. N'oublions pas toutefois de mentionner les eauxfortes de MM. O. de Rochebrune et de Wismes (dont le double talent artistique et littéraire est trop bien connu et apprécié de nos lecteurs, pour que nous ayons besoin d'appuyer davantage.

Reste la sculpture, dont il nous faut dire un mot en terminant. L'Aristée pleurant la mort de ses abeilles, de M. Caillé, de Nantes, pleure vraiment; la pose est naturelle et le corps, délicatement modelé, est bien celui de l'éphèbe des Géorgiques: ce plâtre, à mon sens, mérite de devenir marbre un jour. M. de Bay, de Nantes, dont l'art regrette la mort récente, a exposé une Vierge au

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pressentiment qui respire un sentiment pieux, mais avec quelque recherche dans l'attitude et dans la physionomie. Le buste en terre cuite de M. Hippolyte Lucas, par M. Gourdel, de Rennes, a obtenu le succès d'une spirituelle charge de Daumier. Les portraits du vice-amiral Charner et de M. de Coster, par M. Durand, de SaintBrieuc, ont été également remarqués, ainsi que le Zouave de M. Raffegeaud, de Nantes.

Toutefois, des œuvres exposées par les sculpteurs bretons et vendéens, le morceau capital, à mon sens, est l'Hypathie de M. Gaston Guitton, de Napoléon-Vendée. Ampleur des formes, savante proportion des contours, tout attire et frappe dans ce beau corps suspendu au gibet; sous l'habile ciseau de l'artiste le marbre animé palpite. Un romantique, un sculpteur de l'avenir de l'école de M. Préault, le fougueux auteur de ce bloc informe qui a nom Hécube, n'aurait pas manqué de torturer la suppliciée, de la lacérer de blessures béantes, au risque d'en faire un spectacle repoussant. M. Gaston Guitton a évité cet excès de zèle mélodramatique, et s'est borné à nous montrer aux pieds de son héroïne les pierres qui vont tout à l'heure servir à son supplice; c'est à peine s'il a imprimé à la physionomie les signes d'une douleur contenue et discrète. Je me demande néanmoins si l'antiquité n'eût pas évité de traiter un semblable sujet, elle qui s'abstenait avec un soin si scrupuleux de faire gémir le marbre, et qui se bornait à représenter l'homme dans sa calme et sereine beauté. Le Laocoon lui-même n'est qu'un produit, magnifique il est vrai, de la décadence de l'art antique.

Mais pourquoi le livret, canonisant sans façon la célèbre néo-platonicienne d'Alexandrie, l'appelle-t-il sainte Hypathie et en fait-il une martyre? Cela me remet en mémoire certaine conversation dont je fus un jour l'auditeur involontaire et dont les interlocuteurs étaient deux jeunes gens distingués par la mise, en train de regarder la Françoise de Rimini de Gustave Doré. — << Comment ose-t-on offrir aux regards du public une sainte Françoise dans une aussi indécente nudité? disait l'un d'eux sur le ton d'une indignation sincère. Ne vois-tu pas, répond l'autre tout fier de

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sa sagacité et faisant allusion à Paolo, que la sainte est emmenée au ciel par son bon ange? » O Dante Alighieri!

En somme, beaucoup de jolies choses et peu de belles et de grandes tel est, à dire d'expert, le bilan du salon de 1863. Dans le domaine de l'art, comme dans celui de la littérature, le talent foisonne et court les rues; mais le génie est rare, sinon absent. Nous assistons à la démocratisation de l'art et des lettres (pardon de l'expression, aux choses barbares il faut des noms barbares). Par ce temps de journaux quotidiens, de vapeur et de photographie, tout le monde écrit, dessine, sculpte ou peint peu ou prou; mais dans cette cohue pressée, où est le génie, où sont même les talents élevés? Le trésor du génie national, au lieu de se condenser comme autrefois dans quelques hommes et dans quelques œuvres, s'éparpille et se dépense en menue monnaie. Mais je m'aperçois que je me lance là dans un sujet qu'un volume n'épuiserait pas. Je n'ai déjà que trop abusé de la patience bienveillante de mes lecteurs, et j'ai hâte de me taire.

LUCIEN DUBOIS.

P.-S. La distribution des récompenses vient d'avoir lieu. Les artistes bretons et vendéens n'y ont pris part que dans une proportion restreinte; tout le monde a remarqué, d'ailleurs, combien le jury a été, cette année, avare de distinctions honorifiques.

Une médaille de deuxième classe a été décernée à M. Elie Delaunay, juste récompense des efforts et du talent de ce jeune et consciencieux artiste.

MM. Baader, Blin, Yan Dargent, Douillard, Tissot, Caillé et de Wismes ont obtenu chacun une mention honorable.

LES ANTONINS..

II*.

Je n'ai suivi jusqu'ici, dans l'étude des Antonins, que l'action latente du Christianisme, que le travail intérieur d'une société vieillie, à la chaleur subite d'un nouveau soleil qu'elle ne voit pas encore ou qu'elle s'obstine à ne pas voir. Les caractères s'élèvent, les mœurs s'adoucissent, la philosophie recouvre l'incohérence de ses idées d'un sentiment plus humain, plus élevé et qui s'exprime souvent en sentences sublimes. Mais cette renaissance n'est, comme celle des vieillards, qu'un répit d'un instant. Ce n'est pas la vie qui revient, c'est une santé perdue qui retrouve quelque force. Partout, d'ailleurs, dans le monde des Antonins, on sent l'imitation et la copie; les vertus nouvelles, la fraternité, l'humanité, ne sont qu'un pâle reflet de celles des Catacombes; la philosophie ne fait que balbutier ce que dit l'Evangile, et ses plus belles maximes manquent de sanction'. Quelle action puissante

Voir la livraison de Juillet, pp. 17-31.

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1 Thomas, le grand faiseur d'éloges du dernier siècle, dit de Marc-Aurèle, dans son parallèle entre ce prince et Julien, auquel il donne le titre de philosophe et non plus celui d'apostat :- « Marc-Aurèle agissait et pensait d'après lui; Julien, d'après les anciens philosophes, il imitait. » Si Thomas eût mieux lu Marc-Aurèle, il eût trouvé aussi dans ses œuvres des imitations fréquentes, non pas, il est vrai, des anciens, mais des apôtres tout nouveaux dont il persécutait les disciples; il eût pu y signaler des idées et même des expressions qui ne s'étaient fait jour dans le monde que depuis l'Evangile.

TOME IV. 20 SÉRIE.

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n'avait donc pas dès lors le Christianisme pour s'imposer ainsi, non-seulement à ceux qui voulaient de lui, mais à ceux même qui n'en voulaient pas ! Et comment s'était produite cette action? Comment s'était-elle développée ? Questions épuisées, ce semble, et cependant plus neuves que jamais, grâce aux vieilleries chaque. jour renouvelées par le rationalisme. La grande prétention des esprits raffinés de notre temps est, en effet, d'expliquer naturellement la conversion du monde; vains efforts! aux Celse et aux Porphyre du XVIIIe siècle ne manquent pas plus qu'à ceux d'autrefois les Tertullien et les Origène.

Le secret de la conversion du monde est tout entier dans quelques mots de l'Evangile que rappelle M. de Champagny : < Lorsqu'on demanda au Seigneur : Etes-vous celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? Il répondit: Allez et annoncez à Jean ce que vous avez entendu et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés, et heureux est celui qui ne sera pas scandalisé en moi. - Il donne ainsi, poursuit M. de Champagny, deux signes de la Rédemption qui se préparait et de la vie nouvelle du monde : les œuvres miraculeuses, d'un côté, l'évangélisation des pauvres, de l'autre 1. >

A moins donc de renier l'Evangile, tels sont les deux caractères que nous sommes obligés de chercher, avant tout, dans l'histoire, pour reconnaître le Christianisme et pour comprendre ses progrès.

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L'évangélisation des pauvres ! elle est patente, et, à elle seule, elle est toute une révolution dans ce monde idolâtre, où le pauvre était méprisé, délaissé, où il servait et mourait pour le plaisir du riche. «La philosophie n'entrait pas dans la boutique du pauvre ouvrier, dit très-bien M. de Champagny, encore moins dans l'ergastule de l'esclave; elle ne se fût jamais avisée de réunir, tous les dimanches, dans un grenier, ou, au besoin, dans un souterrain, une vingtaine d'esclaves et de pauvres, pour leur enseigner sa morale; elle n'eût pas écrit, tout exprès pour eux, des lettres

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Les Antonins, t. 1oo, p. 445.

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