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Tentre vous ne soit que le serviteur des autres. Et c'est pour obéir à cette noble et touchante leçon, que le premier pouvoir de la chrétienté s'intitule servitur des serviteurs de Dieu, et c'est son plus beau titre.

CHAPITRE IX.

DU SUJET DANS LA SOCIÉTÉ publique.

Comme tout se fait dans la société publique pour l'utilité des sujets, ils n'y ont proprement rien à faire. C'est pour eux, en effet, que le pouvoir fait des lois, que les magistrats jugent, que les guerriers combattent, que les prêtres instruisent, etc. Les sujets n'ont de pouvoir et de fonctions que dans la société domestique, petit Etat où ils sont rois, où ils sont ministres; et leur devoir comme leur intérêt est d'y maintenir l'ordre et la paix,

de veiller sur leurs familles, d'en accroître la considération par leurs vertus, et la fortune par leur travail; et c'est d'eux que l'on pourrait dire avec vérité:

O fortunatos nimium, sua si bona norint!

(VIRG., Georg. lib. 11, vers. 458.)

Les sujets, dans la convocation générale de tous les ordres de l'Etat, appelée états généTaux, avaient pris la dénomination de tiers état, mot que les ignorants ont cru une injure, ce qui était synonyme de troisième ordre de l'Etat.

Qu'est-ce que le tiers état ? demandait l'abbé Sieyès aux premiers jours de la révolution. Il répondit, je pense, que c'était la partie de la ration la plus nombreuse, la plus forte, la plus laborieuse, la plus industrieuse, et sans doute la plus éclairée en politique, puisqu'elle comprenait les avocats, les médecins, les fabricants et les négociants. Avec d'autres principes politiques et plus de jugement, il aurait répondu que le tiers état était la partie de la nation qui, n'étant pas encore sortie de l'état domestique de société, par lequel ont commencé plus tôt ou plus tard toutes les familles, même les familles royales (1), travaillait pour arriver à l'état public, et prendre rang parmi les familles dévouées au service politique, tendance natu

(1) Comme l'a dit Coulanges:

L'un a dételé le matin,
L'autre l'après-dinée.

(2) Du sein de ce tiers état, si avili, si opprimé, si méprisé, dit-on, sont sorties, dans l'espace d'un siècle, quinze familles honorées de la pairie (an

relle, car toute famille tend, et doit tendre à s'élever.

Cette ambition honorable, la monarchic, où tout allait régulièrement et sans secousse (car la nature, dit Leibnitz, ne fait jamais de sauts), l'avait inspirée aux familles, et même souvent elles y parvenaient trop tôt et avant d'avoir acquis une fortune qui leur permit de servir l'Etat, comme le dit Montesquieu, avec le revenu ou même le capital de leur bien.

La démocratie, où tout va par sauts et par bonds, a soufflé cette ambition dans le cœur

de tous les individus, et a mis à découvert, pour le malheur du plus grand nombre, ce résultat inévitable dans une société populeuse, que, sur tant d'admissibles, il ne peut y avoir que très-peu d'admis.

individu, même des plus hauts emplois. La Cependant la monarchie n'excluait aucun constitution du royaume de France est si excellente, dit le président Hénault, d'après un ancien auteur, qu'elle n'a jamais exclu et n'exclura jamais les citoyens nés dans le bas étage, des dignités les plus relevées (2). Mais si les exemples de ces élévations étaient rares, c'est que les hommes nés pour s'élever ainsi et franchir de si grands intervalles, sont encore plus rares que les exemples. La révolution cependant en a fourni un grand nombre; mais Mme de Staël remarque que c'est presque uniquement dans la carrière militaire, et elle en donne une raison que je m'abstiens de répéter.

Un des plus grands maux qu'ait fait à l'E-! tat et à la famille la révolution, a été d'inspirer l'ambition des places et des honneurs, disons mieux, la fureur de sortir de leur condition, à une foule d'individus, heureux jusque-là dans la vie privée, tourmentés aujourd'hui par des désirs, que la loi d'admissibilité générale ne leur donne ni les moyens ni l'occasion de satisfaire, et d'avoir ainsi encombré toutes les carrières de médiocrités mécontentes, inutiles à leurs familles, à charge à l'Etat, qui ne peut cependant laisser sans moyens de subsistance ce nombre immense de jeunes gens à qui l'éducation des arts et des lettres qu'ils ont reçue, et presque toujours aux frais du public, ne permet plus

cienne) à laquelle n'ont point été élevées tant d'autres familles dont l'antique éclat remonte aux premiers temps de la monarchie, et qui ont mêlé leur sang avec celui de nos rois. (Du Gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la ré volution, par M. SENAC DE MEILLAN, aucien inten dant de Valenciennes; chez Maradan, libraire.)

de reprendre les travaux utiles et lucratifs de la maison paternelle. Aujourd'hui que les particuliers ne sont plus assez riches ou assez généreux pour payer les chefs-d'œuvre des arts, l'Etat, pour faire vivre les artistes, Commande des tableaux aux uns, des modèles en plâtre aux autres, des projets de monuments d'architecture; qu'on n'exécutera jamais, et se ruine ainsi pour faire éclore des talents malgré la nature, comme on fait venir en serre chaude des fruits qui n'ont ni couleur ni saveur. Les écoles ont tué ces études solitaires que fait le génie, et qui le font à leur tour.

Sans doute, pour en revenir au tiers état, l'Etat est plus que la famille, et la profession de magistrat ou de guerrier, plus honorable que celle d'artisan, même d'avocat ou de médecin, parce qu'il y a plus de dignité à servir le public que le particulier. Mais le tiers état en corps, ou, comme l'on disait alors, l'ordre du tiers état, dans la convocation des trois sociétés, la société religieuse, la société politique, la société domestique, qui composent l'Etat tout entier, était autant élevé en dignité politique que chacun des deux autres ordres, et son consentement était aussi nécessaire que le leur pour former les résolutions de l'assemblée des états généraux.

Il faut même remarquer que le premier corps (je ne dis pas le premier ordre) de l'Etat politique, la magistrature souveraine, et la première dignité du royaume, celle de chancelier, appartenaient au tiers état, quoique ceux qui en étaient revêtus pussent, de leurs personnes, appartenir aux autres ordres.

Les partisans vaniteux d'une égalité chimérique se sont offensés de quelques distinctions d'étiquette et de costume entre les ordres; ils n'ont pas compris que, si l'égalité personnelle consiste à être actuellement aussi fort d'esprit et de corps que tout autre, l'égalité politique ne peut être qu'éventuelle, c'est-à-dire qu'elle consiste à pouvoir, selon ses dispositions naturelles ou acquises, être dans l'Etat autant que tout autre, et que la liberté politique dont on fait tant de bruit, n'est autre chose que la liberté pleine et entière de se servir, pour parvenir, de toutes ses facultés. Il n'y a pas d'autres libertés publiques, et les sujétions, et les contraintes du jury et de la conscription, et même la licence de la presse, fussent-elles des nécessités, ne sont pas des libertés.

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Il faut, en terminant ce chapitre, remarquer qu'autrefois, en France, si la noblesse appartenait à la constitution comme ministère du pouvoir royal, l'administration appartenait au tiers état ; et c'est là que la partie démocratique de l'Etat est bien placée. Quand la monarchie pure est dans la constitution, la démocratie peut et doit être dans l'administration; et en France les municipalités, les assemblées provinciales, même lesi pays d'états avec leurs comtes et leurs barons, étaient et faisaient de la démocratie, mais! sans danger, contenue qu'elle était par la force de la constitution. Si, au contraire, il y a de la démocratie dans la constitution, il faut placer la monarchie dans l'administration; car il y aurait trop de démocratie, si elle était à la fois dans l'une et dans l'autre. De là est venue la grande autorité des maires dans toutes les révolutions. Aujourd'hui, qu'il y a de la démocratie dans notre constitution, la force des choses a placé la monarchie dans l'administration, et cette concentration administrative, dont on se plaint depuis si longtemps avec plus de chaleur que de raison, n'est pas autre chose que le monarchisme de l'administration. Il est possible que le positif de cette administration monarchique pesât sur le particulier, bien plus que ne le feraient les principes théoriques de la constitution dont il ne s'occupe guère; mais l'Etat ne résisterait pas à la double action d'une législation démocratique et d'une administration populaire, si toutefois cette combinaison, qui nulle part n'a existé, pouvait jamais se réaliser. Jamais, en France, l'administration n'a été plus despotique que lorsque la constitution a été, sous la convention, plus démocratique.

CHAPITRE X.

DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE SOCIÉTÉS
POLITIQUES.

Nous avons vu que la famille peut être) monogame ou polygame; la société politique tique, c'est-à-dire monarchique ou popupeut être aussi monocratique ou polycra

laire.

Il y a trois sortes de monarchies : la monarchie royale, la monarchie despotique et la monarchie élective.

Dans la monarchie royale, les trois personnes qui forment, comme nous l'avons dit, toute la constitution de la société et sou

tempérament politique, sont distinctes et homogènes.

Le pouvoir, en France, était héréditaire par ordre de primogéniture, de mâle en mate, à l'exclusion des femmes, et l'on n'a qu'à jeter les yeux sur des Etats voisins pour voir les troubles qu'y a produits un ordre différent de succession.

Le ministère, sous le nom de noblesse, était aussi héréditaire, et même, dans la plus grande partie des coutumes, les fiefs qui obligeaient au service militaire étaient masculins et appartenaient à l'aîné.

Le sujet participait de cette hérédité, et, dans aucun autre Etat, il n'avait une sécurité plus entière pour la possession et la transmission héréditaires de ses propriétés.

Le pouvoir, en France, était indépendant et définitif, tout entier entre les mains du roi, mais du roi en son conseil. Il avait le jugement par les officiers de magistrature qu'il instituait, et le combat ou la suprême direction de la paix ou de la guerre, par ses autres officiers. La noblesse ou le ministère avait donc le conseil ou droit de remontrance, et il était tenu, actuellement ou éventuellement, au service militaire. Le conseil et le service avaient été séparés, comme nous l'avons dit, et avaient formé deux ordres de noblesse, noblesse de robe et noblesse d'épée. Toute division dans un ordre est un mal, et celui-là se faisait sentir depuis longtemps. Cependant, cette division, que l'étiquette de la cour contribuait à entretenir, tendait à s'effacer, et souvent, dans les mêmes familles, l'aîné était membre d'une cour souveraine de magistrature, et les puîDés étaient dans la milice et même dans les plus hauts emplois.

La noblesse, en France, s'était toujours montrée digne de sa haute destination, soit dans le conseil, soit dans le service militaire, malgré les altérations qu'avait subies sa constitution naturelle, par sa division en noblesse magistrale et en noblesse militaire, en gens de qualité et en simples gentilshommes; par la diminution de son nombre, qui n'était plus en proportion avec ses fonctions; enfin, par son appauvrissement, toutes choses qui venaient à la fois de sa propre faute et de la faute du pouvoir; car les Etats périssent par l'altération de la constitution du ministère, plutôt que par l'altération de la constitution du pouvoir. Les pouvoirs en Europe, avaient trop oublié qu'il faut gouverner les sujets en masse, et le mi

OFUYRES COMPL DE M. DE BONALD. I

nistère ou la noblesse, en détail, et, si j'oze
le dire, par individus.

La distinction de noblesse ancienne et de
noblesse récente n'était pas dans la consti-
tution, mais elle était dans les mœurs, qui ac-
cordaient aux familles anciennement vouées
au service public, et qu'on pouvait regarder
comme les vieillards de la société politique,
le respect que l'on accorde aux hommes
avancés en âge, dans la société domestique.

Comme la noblesse était soumise à l'impôt personnel du service militaire, où elle servait même avec le capital de son bien, dit Montesquieu, et du service de magistrature, si faiblement rétribué, ses propriétés étaient affranchies de quelques impôts matériels. Dans ce siècle d'argent, on lui en a fait un crime, et cependant le même publiciste, qu'un certain parti ne cite jamais que lorsqu'il se trompe, dit que les terres nobles doivent avoir des priviléges comme les personnes.

Les sujets, comme nous l'avons dit, n'étaient exclus d'aucun avancement, et le reproche fait à une ordonnance du ministre de la guerre, M. de Ségur, porte à faux. Le jeune homme du tiers état qui voulait embrasser la profession des armes, pouvait commencer par être soldat, comme le jeune homine issu d'une famille noble, qui aujourd'hui voudrait entrer dans la carrière du commerce, commencerait par être commis. D'ailleurs on n'a qu'à consulter les états militaires de cette époque, pour se convaincre que la moitié au moins des emplois militaires, surtout dans l'infanterie, étaient occupés par des personnes qui n'étaient pas nobles; le tiers état n'avait pas à craindre la concurrence de la noblesse dans les spéculations de commerce et d'industrie, et il paraissait assez naturel qu'il lui laissât le service militaire, qui assurément ne l'enrichissait pas.

Toute distinction entre les ordres cessait aux états généraux; ils étaient convoqués de loin en loin par le roi, ou plutôt par les circonstances, pour sonder les plaies que le temps, les passions des hommes, et les erreurs ou les fautes du gouvernement, avaient pu faire à la constitution de l'Etat ou à son administration, et en avertir celui qui devait y porter remède. Ils étaient, si on peut le dire, les médecins consultants de l'Etat, et, sous ce rapport, les états généraux no devaient pas plus être periodiques que la médecine ordinaire pour un homme en santé. Les états généraux n'avaient que le droit

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X.

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OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.

de conseil ou de doléance; et, quand ils ont voulu sortir de leur sphère, ils ont été inutiles ou funestes.

On n'a pas assez connu la nature de cette convocation générale des trois sociétés, religieuse, politique et domestique, qui composaient l'édifice social, représentées par le ciergé ou les ministres de la religion, par la noblesse ou les ministres de la politique, et par le tiers état, qui appartenait à la société domestique.

Ces trois ordres représentaient les trois choses qui constituent toute société, et sans lesquelles une société d'êtres intelligents et physiques ne saurait subsister: les lumières, la propriété, le travail; les lumières dans les ministres de la religion, de qui leur divin chef a dit: Vous êtes la lumière du monde, « vos estis lux mundi.» (Matth. v, 14.) C'est, en effet, dans la religion que se trouvent toutes les lumières morales et même politiques; car toutes les sciences humaines ne sont pas des lumières, mais des connaissances plus ou moins utiles, et sans influenco au moins directe sur le vrai bonheur de l'homme et le bon ordre des Etats; la propriété dans la noblesse, riche en grandes et franches propriétés, si elle avait su les conserver; le travail et l'industrie dans le tiers état, avec lesquels il pouvait acquérir la propriété et la noblesse, et les lumières par l'éducation.

Aux derniers états généraux, devenus depuis l'assemblée nationale, tout a été confondu. Au lieu de voir chaque ordre comme le représentant d'une société, et comme une seule personne, on n'y a vu que des individus qu'on a comptés un à un et par tête, et jamais l'adage ancien, tot capita, tot sensus, n'a été plus complétement vérifié. Les hommes du travail et de l'industrie ont égalé en nombre et surpassé en force matérielle les hommes des lumières et de la propriété; la religion et la royauté, le clergé et la noblesse, ministres de l'une et de l'autre, ont souffert la persécution la plus cruelle; les lumières se sont affaiblies, la propriété a été envahie, le travail seul et l'industrie ont dominé et dominent encore, et se perdront par leur excès.

Je n'en dirai pas davantage sur ce chapitre. Je n'ai voulu faire ni l'apologie du temps passé, ni la satire du temps présent, mais exposer des faits trop ignorés aujourd'hui, et en déduire les conséquences naturelles.

La monarchie royale, je le répète, est

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donc celle où les trois personnes sociales sont parfaitement distinctes, et dans laquelle le pouvoir et les ministres sont homogènes.

Cela s'expliquera mieux par les applications aux deux autres espèces de monarchie dont nous avons parlé, la monarchie despotique et la monarchie élective.

CHAPITRE XI

DE LA MONarchie deSPOTIQUE ET DE LA MONARCHIE ÉLECTIVE.

Un exemple qui est sous nos yeux mettra dans le plus grand jour cette distinction entre ces deux monarchies; car il n'y a de vraie et de bonne théorie politique que celle qu'on peut sur-le-champ réduire en application.

La monarchie légalement despotique, telle qu'elle existe en Orient, et plus près de nous en Turquie, et la monarchie élective telle qu'elle existait en Pologne, sont celles où deux des trois personnes, le pouvoir et ses ministres, sont distinctes, mais ne sont pas homogènes.

Ainsi, en Turquie, le pouvoir est héréditaire, et les ministres, officiers ou agents, comme on voudra les appeler, sont amovibles, et rentrent par un caprice du sultan dans les conditions privées d'où un autre caprice les a fait sortir.

En Pologne, au contraire, le pouvoir était électif ou viager, et ses ministres ou la noblesse étaient héréditaires.

Ces deux causes diamétralement opposées ont conduit ces deux Etats au même résultat faiblesse du gouvernement et oppression des peuples, en Turquie, par la violence de l'administration: en Pologne, par sa faiblesse ou sa nullité.

L'éligibilité du roi, qui avait en Pologne remplacé l'hérédité, ne s'y était pas introduite sans motifs. Entourée de voisins bar bares toujours armés et perpétuellement agresseurs, la Pologne avait continuellement besoin moins d'un roi que d'un général d'armée; et les chances de la minorité, de la jeunesse ou de la faiblesse de caractère de son souverain, était pour elle un danger de plus. Ces mêmes chances, autrefois sans conséquences décisives dans les Etats mieux situés, sont devenues plus menaçantes pour les monarchies, là où une politique étroite et jalouse a, sous de vains prétextes, supprimé le lieutenant perpétuel et inamovible de la royauté, le premier officier mila

taire de la couronne, généra! né de ses armées, dictateur perpétuel, ie connétable, et que les rois se sont ainsi coupé le bras qui tenait leur épée; cette épée, qui, entre les mains de simples gentilshommes, avait plus d'une fois sauvé la France, et entre les mains du premier prince du sang, révolté contre son souverain, n'avait pu l'entamer. L'office de connétable était une institution purement défensive, et c'est en cela qu'elle était tout à fait monarchique : aussi il est à remarquer que c'est à la veille des longues guerres et des grandes conquêtes de Louis XIV qu'elle a été abolie.

pouvait que la jeter dans de nouveaux abfmes, eussent consulté la nature, qui, par les désordres mêmes où leur pays était tombé, leur indiquait le besoin d'une royauté héréditaire, et leur en montrait la force et les bienfaits chez les nations voisines!

Mais dès que les barbares voisins de la Pologne ont été repoussés de ses frontières par l'éloignement des Tartares, la décadence de l'empire ottoman et les conquêtes de la Russie, les troubles de l'élection d'un roi, et les facilités qu'ils donnaient à quelques puissances de lui imposer un maître, se sont fait sentir. La Pologne, dit J.-J. Rousseau, tombait en paralysie cinq à six fois par siècle. Sans roi qui ne mourût pas, sans direction uniforme et perpétuelle, sans indépendance, car l'indépendance d'une société n'est que l'indépendance de son pouvoir, comme l'indépendance d'un individu n'est que l'indépendance de sa volonté; sans gouvernement enfin, la Pologne était dans une véritable anarchie; elle n'était un royaume que sur la carte, et une république que sur les protocoles de sa chancellerie. Elle n'était à proprement parler ni monarchie, ni aristoeratie, ni démocratie; elle était tout cela, si l'on veut, ou plutôt elle n'était rien, et les puissances voisines s'en sont partagé le territoire comme un pays abandonné, et qui appartient au premier occupant. Heureuse l'Europe, si les puissances copartageantes, consultant la politique de la morale, plutôt que celle de leur ambition, se fussent accordées à imposer à la Pologne, et même s'il eat fallu, malgré elle, une famille royale, eussent consacré ainsi, par un grand acte politique, la loi fondamentale de la société, T'hérédité du pouvoir, et n'eussent pas donné au monde le fatal exemple d'effacer de la carte, et de réduire à l'état de province, ce vieil et noble enfant de la chrétienté! Heureuses les puissances, si elles eussent laissé entre elles ce grand corps dont l'interposition amortissait les coups qu'elles peuvent se porter! Heureuse, enfin, la Pologne, si ses grands, au lieu de demander une constitution à l'auteur du Contrat social, qui ne

Le magnat polonais, qui demandait au philosophe une constitution pour son pays, était tout aussi raisonnable que le serait un malade qui prierait son médecin de lui faire un tempérament, et rien ne prouve mieux que la demande de ce seigneur, l'ignorance où l'on était alors de la science politique.

Mais, si le défaut d'homogénéité entre un pouvoir électif et viager et une noblesse héréditaire, a conduit la Pologne au dernier degré de faiblesse et de dépendance, une cause tout opposée, un pouvoir héréditaire, et des ministres ou officiers publics amovibles, auraient depuis longtemps conduit la Turquie au même résultat, sans la chimère surannée de l'équilibre politique auquel les puissances chrétiennes ont cru la conservation de la Turquie nécessaire. Dans une monarchie élective, le roi est sous la dépendance des grands héréditaires qui l'ont nommé et lui ont imposé des conditions. Dans la monarchie despotique, les ministres ou agents du pouvoir sont sous la dépendance arbitraire du pouvoir, qui peut les révoquer, les dépouiller et les rejeter eux et leurs enfants dans les derniers rangs de la société, ou même leur ôter la vie et les biens. De là, dans la monarchie despotique, la violence du pouvoir, qui ne trouve de résistance que dans la révolte des soldats, qui lui coûte souvent le trône et la vie; et dans la monarchie élective, la faiblesse du pouvoir, dépendant de ceux qui l'ont élu.

Ainsi, là où le pouvoir est électif et où la noblesse ou les ministres sont héréditaires, il y a trop de force dans les ministres, et là où le pouvoir est héréditaire et les ministres amovibles, il y a trop de force dans le pouvoir. Le premier de ces états de société est anarchie ou absence de chef; le second est despotisme ou force excessive et déréglée du pouvoir.

On dira peut-être que dans la monarchie royale le souverain révoque aussi et destitue des emplois militaires ou administratifs; mais s'il révoque le fonctionnaire, il ne destitue pas le noble, qui ne peut perdre son caractère et le faire perdre à sa famille que par un jugement infamant et une dégradation judiciaire; or tout ce qui, dans la so

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