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verser les détroits aux stationnaires se rendant au Pirée, le chancelier s'adressa de nouveau aux ambassadeurs de Russie à Constantinople et à Londres, en leur demandant leur avis.

L'aide de camp général Ignatiew énonça (1) que le passage par les détroits de nos batiments de guerre, ayant pour destination le Pirée, n'est pas prévu par le traité de Londres. Il n'appartient qu'au ministère de juger de l'opportunité, qu'il y aurait à soulever de nouveau la question des détroits, ou bien d'admettre la violation du traité récemment conclu. Ce dernier moyen paraissait à l'ambassadeur très dangereux, car il pouvait engendrer de grandes complications. C'est pourquoi, le général Ignatiew conseillait de se tenir aux stipulations du traité de Londres. Le comte Brunnow émit (2) le même avis, en disant qu'il était de toute nécessité d'éviter, par une scrupuleuse observation du traité de 1870, des précédents, qui seraient toujours retournés contre nous pour justifier d'autres violations préjudiciables à nos intérêts. La fermeture des détroits nous avait rendu de grands services, en prémunissant contre toute influence étrangère la sécurité de notre littoral asiatique de la mer Noire. En 1870, le maintien de la fermeture nous était venue en aide pour déconcerter la tentative, faite par Vienne dans le but d'assurer aux puissances occidentales une station navale à Sinope en face de Sébastopol. « Il importe, dit Brunnow, désormais à la Russie de maintenir la durée de cette transaction, tandis qu'il serait absolument contraire à nos intérêts d'en compromettre l'existence. Dans le temps où nous vivons, les traités parviennent rarement à un grand àge. On s'expose_mal à propos au danger de les invalider chaque fois qu'on essaye de les interpréter dans un sens, qui se trouve en désaccord avec la lettre des engagements contractés de part et d'autre. Nous commettrions donc une grande faute, si nous donnions à nos adversaires un prétexte pour remettre en question les résultats, qui nous sont formellement acquis par traité. »

(1) Constantinople. IV. Réc. N. 1543, dép. 14/26 novembre, N. 260. (2) 1871. Londres. II. Réc. N. 1493, dép. 4/16 novembre, N. 96.

CHAPITRE XIII

LA PRUSSE SE RAPPROCHE DE LA MONARCHIE AUSTRO-HONGROISE.

RAPPORTS PLUS INTIMES DE CELLE-CI AVEC LA RUSSIE.
DES TROIS EMPEREURS A BERLIN EN 1872.

PUISSANCES DU NORD.

ENTREVUE

ALLIANCE DES TROIS

ENTREVUES DES EMPEREURS ALEXANDRE II

ET FRANCOIS-JOSEPH A VIENNE EN 1873.

Le prince Bismarck, prévoyant la possibilité de la lutte des Slaves avec le monde germanique et de la dissolution de l'Autriche, chercha à rapprocher la Prusse de la monarchie austro-hongroise Entrevue des empereurs Guillaume et François-Joseph à Ischl, Gastein et Salzbourg en 1871. Le prince Bismarck s'efforce à atteindre le rapprochement de la Russie et de l'Autriche par son intermédiaire. Entrevue des trois empereurs à Berlin en 1872. - L'alliance des trois cours du Nord. Le triomphe du prince Bismarck: il a sauvé l'Autriche de la dissolution, il tient la France en soumission et tâche de se concilier la Russie en lui promettant son concours en Orient. Pour se dégager des bons offices de la Prusse, la Russie entre dans des relations plus intimes avec l'Autriche-Hongrie, à quoi contribue principalement le comte Andrassy. Entrevue des empereurs Alexandre II et François-Joseph à Vienne en 1873. Changement du point de vue du cabinet de Saint-Pétersbourg sur les relations de l'Autriche avec les populations slaves des provinces limitrophes de l'empire ottoman. La nouvelle direction de la politique russe admet l'influence de l'Autriche dans ces contrées, ce que le cabinet de Vienne met à son profit pour ne pas perdre l'occasion de reculer les frontières de la monarchie, en vue de la prochaine dissolution de la Turquie d'Europe.

La guerre franco-allemande démontra aux Slaves la nécessité de se garer de leur ennemi traditionnel. En face du mouvement unitaire germanique, qui menaçait d'envahir l'Autriche et de faire disparaître les Tchèques de la carte ethnographique de l'Europe, ils cherchèrent avant tout à raffermir les bases de leur intégrité nationale et secouer le joug allemand. L'initiateur de l'idée de la fédération des Slaves, le docteur Rieger, dans

son entretien avec le ministre de Russie à Vienne, Novikow (1), lui confia son intention de réunir à Pesth ou à Belgrade un congrès slave, où les Tchèques auraient joué le rôle d'intermédiaires modérateurs entre les Russes et les Polonais. Rieger considérait la réconciliation de la Russie et de la Pologne, comme une condition indispensable au succès de la lutte avec l'empire germanique, qui fera tous ses efforts pour s'allier les Polonais. D'après l'idée de Rieger, le monde slave marchait vers un système fédėratif inévitable, qui devait également transformer la Russie. Mais, pour le moment, elle devait prendre sous sa protection le monde slave, en commençant par se réconcilier avec les Polonais.

Le prince Bismarck, lui-même, prévoyait l'approche de la lutte entre les Germains et les Slaves; il comprenait la nécessité de prêter son appui à l'organisme chancelant de la monarchie autrichienne, qui risquait de s'écrouler au premier choc des combattants. L'entrevue des empereurs Guillaume et FrançoisJoseph, du prince Bismarck et du comte Beust à Ischl, Gastein et Salzbourg, en août 1871, fut combinée par le chancelier d'Allemagne pour réconcilier les deux souverains et amener l'Autriche à un rapprochement des plus intimes avec l'Allemagne, dans le but de prolonger son existence. Lorsque Novikow interrogea Schweinitz, ambassadeur d'Allemagne à Vienne, sur le résultat de cette entrevue, celui-ci dit : «Si on me demandait ce que nous avions promis à l'Autriche, en retour de son amitié, je répondrais : « la vie. » C'est uniquement à notre bon vouloir qu'elle doit sa conservation, car nous avons intérêt à maintenir son intégrité, plus nécessaire, selon nous, à l'équilibre européen que celle même de l'empire ottoman (2). >> Beust était prêt à faire toute sorte de concessions à Bismarck, mais l'empereur François-Joseph repoussa l'offre du chancelier allemand, qui avait proposé une union télégraphique, une convention postale et une extension du traité de commerce. Les deux chanceliers s'entendirent, en concluant un pacte pour la décision en commun de toute grande question internationale et pour

(1) 1871. Vienne. I. Réc. N. 355, dép. 24 février/8 mars, N. 34. III. Exp. N. 73, lettre 1er mars. Réc., lettre 13/25 mars.

(2) Id. II. Réc. N. 2253, dép. 2|1% septembre, N. 111.

le maintien de la paix, car il était avantageux à Bismarck de se réserver un allié dans l'éventualité d'une guerre de revanche, que la France serait tentée de faire à l'Allemagne dans un avenir plus ou moins rapproché. Quant aux relations avec la Russie, la Prusse, d'après l'expression de Bismarck, faisait le trait d'union entre la Russie et l'Autriche. « Nos rapports avec vous, dit le comte Beust à Novikow (1), ne peuvent qu'en devenir meilleurs, puisque nous ne saurions être les ennemis d'amis de nos amis. « L'empereur d'Allemagne, lui-même, déclara au chargé d'affaires de Russie à Carlsruhe, Koloshine, lors d'une entrevue à Bade, qu'il n'avait pas caché au comte Andrassy, qui lui exposa à Salzbourg toutes les difficultés de la Hongrie vis-à-vis de la Russie, que toutes les traditions de sa famille et ses idées personnelles l'attachaient à la Russie (2). De son côté, le prince Bismarck avoua au ministre de Russie à Berlin, d'Oubril, qu'il rêvait le rétablissement de l'entente des trois cours qui, en maintenant la paix de l'Europe, lui assurait les résultats acquis depuis 1864 (3).

Avec la retraite du comte Beust, suivie de la nomination du comte Andrassy au poste de ministre des affaires étrangères (27 octobre 1871), les relations entre l'Autriche-Hongrie et la Russie devinrent plus cordiales. D'abord (4), le comte Andrassy avait été mal disposé pour la Russie; à l'entrevue de Gastein, il avait même voulu gagner le prince Bismarck par un projet d'opposition à la Russie. Mais lorsque Bismarck détruisit catégoriquement cette illusion, Andrassy, après s'être entretenu avec l'empereur Guillaume, changea d'idées et chercha à se rapprocher du grand empire slave. A sa première entrevue avec Novikow, le nouveau ministre lui dit que du moment que l'empereur Alexandre ne poursuivait pas une politique d'agrandissement, et qu'à son tour l'Autriche ne saurait être suspectée raisonnablement d'aspirer à l'annexion des principautés de la Bosnie, ou de toute autre province turque, il ne voyait pas non plus de question, sur laquelle les intérêts des deux empires

(1) 1871. Vienne. II. Réc. N. 2156, dép. 2/14 septembre. N. 109.
2) Id. Carlsruhe. Réc. N. 2344, dép. 24 septembre/6 octobre, N. 24.
3) Id. Berlin. III. Réc. N. 2371, dép. 1er/13 octobre, N. 211.
4) 1872. Doklades. Berlin, 28 août/9 septembre.

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eussent pu entrer en conflit (1). Le rapprochement des cours d'Autriche et de Russie s'exprima en cela que l'archiduc Guillaume assista, avec cinq officiers autrichiens, aux manœuvres de Krasnoie-Selo, en juin 1872 (2).

En automne 1872, eut lieu l'entrevue des trois empereurs et de leurs ministres à Berlin. La rencontre des souverains de Prusse et d'Autriche à Ischl fut ménagée, l'année précédente, par l'initiative du prince Bismarck; en 1872, le comte Andrassy, à son tour, eut soin auparavant de se renseigner sur l'époque, qui aurait pu être fixée pour le voyage de l'empereur FrançoisJoseph à Berlin, en réponse aux visites d'Ischl et de Salzbourg. Bismarck tenait beaucoup à cette visite, car l'Allemagne aurait imposé à la France par une affirmation périodique de ses alliances européennes. Il fut décidé, d'abord, que Guillaume recevrait François-Joseph aux manœuvres près de Berlin, du 4 au 11 septembre (3). Le 26 juillet 1872, le conseiller intime Westmann écrivit au chancelier, qui était en congé à Interlaken, que, le 12/24 juillet, l'empereur lui avait pour la première fois confié son projet de se rendre à Berlin. « Tous les gens bien pensants, dit-il à l'adjoint du ministre, désirent que je fasse ce voyage, et j'ai la conviction que l'effet en sera salutaire pour les éléments d'ordre et de conservation (4). » A la nouvelle de la prochaine entrevue des trois empereurs à Berlin, Andrassy communiqua sa joie à Novikow, car il nourrissait l'espoir de voi disparaître les divergences, qui existaient, prétendait-on, entre les vues politiques des deux empires (5). D'après les propos de Vienne, c'était heureux qu'Alexandre II arrivât à Berlin, car François-Joseph sera moins gêné à trois et l'exhibition ne sera plus aussi amère pour le vaincu; entre lui et le vainqueur se trouvera un pacificateur généreux et puissant (6).

D'après une lettre du prince Gortchakow à Brunnow, l'en

(1) 1871. Vienne. II. Réc. N. 2525, dép. 9/21 novembre, N. 150.

(2) 1872. Id. I. Réc., lettre 20 mai; Réc. N. 811, dép. 2/14 juin, N. 76; Réc., tél. 23 juin.

(3) Id., tél. 6/18 juin.

(4) Id. Chancelier. Exp., lettre 26 juillet.

(5) Id. Vienne. I. Réc. N. 970, dép. 6/18 juillet, N. 92. Réc. N. 10, dép., 17/29 juillet, N. 103.

(6) Id., lettre 31 juillet/12 août.

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