Images de page
PDF
ePub

Il se déguise en vain : je lis sur son visage

Des fiers Domitius l'humeur triste et sauvage:
Il mêle avec l'orgueil qu'il a pris dans leur sang
La fierté des Nérons qu'il puisa dans mon flanc.
Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices:
De Rome, pour un tems, Caïus fut les délices;
Mais, sa feinte bonté se tournant en fureur,
Les délices de Rome en devinrent l'horreur.
Que m'importe, après tout, que Néron plus fidèle
D'une longue vertu laisse un jour le modèle?
Ai-je mis dans sa main le timon de l'état
Pour le conduire au gré du peuple et du sénat?
Ah! que
de la patrie il soit, s'il veut, le père:
Mais qu'il songe un peu plus qu'Agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler
L'attentat que le jour vient de nous révéler?
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,
Que de Britannicus Junie est adorée :
Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit!

Que veut-il? Est-ce haîne, est-ce amour qui l'inspire?
Cherche-t-il sculement le plaisir de leur nuire?

Ou plutôt n'est-ce point que sa malignité
Punit sur eux l'appui que je leur ai prêté ?

ALBINE.

Vous leur appui, madame?

AGRIPPINE.

Arrête, chère Albine,
Je sais que j'ai moi seule avancé leur ruine;
Que du trône, où le sang l'a dû faire monter,
Britannicus par moi s'est vu précipiter.
Par moi seule éloigné de l'hymen d'Octavie,
Le frère de Junie abandonna la vie,
Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux,
Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux.
Néron jouit de tout: et moi, pour récompense,
Il faut qu'entre eux et lui je tienne la balance;
Afin que quelque jour par une même loi
Britannicus la tienne entre mon fils et moi.

Quel dessein!

ALBINE.

AGRIPPINE.

Je m'assure un port dans la tempête.

Néron m'échappera, si ce frein ne l'arrête.

ALBINE.

Mais prendre contre un fils tant de soins superflus?

AGRIPPINE.

Je le craindrais bientôt s'il ne me craignait plus.

ALBINE.

Une injuste frayeur vous alarme peut-être.

Mais si Néron pour vous n'est plus ce qu'il doit être, Du moins son changement ne vient pas jusqu'à nous; Et ce sont des secrets entre César et vous.

Quelques titres nouveaux que Rome lui défère,
Néron n'en reçoit point qu'il ne donne à sa mère.
Sa prodigue amitié ne se réserve rien:

Votre nom est dans Rome aussi saint que le sien;
A peine parle-t-on de la triste Octavie.
Auguste votre aïeul honora moins Livie :
Néron devant sa mère a permis le premier
Qu'on portât des faisceaux couronnés de laurier.
Quels effets voulez-vous de sa reconnaissance?

AGRIPPINE.

Un peu moins de respect, et plus de confiance.
Tous ces présens, Albine, irritent mon dépit:
Je vois mes honneurs croître, et tomber mon crédit.
Non, non,
le tems n'est plus que Néron jeune encore
Me renvoyait les vœux d'une cour qui l'adore;
Lorsqu'il se reposait sur moi de tout l'état;
Que mon ordre au palais assemblait le sénat;
que derrière un voile, invisible et présente,
J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante.
Des volontés de Rome alors mal assuré

Et

Néron de sa grandeur n'était point enivré.

Ce jour, ce triste jour, frappe encor ma mémoire, Où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire, Quand les ambassadeurs de tant de rois divers

Vinrent le reconnaître au nom de l'univers.

.

Sur son trône avec lui j'allais prendre ma place :
J'ignore quel conseil prépara ma disgrâce:

Quoi qu'il en soit, Néron, d'aussi loin qu'il me vit,
Laissa sur son visage éclater son dépit.

Mon cœur même en conçut un malheureux
augure.
L'ingrat, d'un faux respect colorant son injure,
Se leva par avance, et, courant m'embrasser,
Il m'écarta du trône où je m'allais placer.
Depuis ce coup fatal le pouvoir d'Agrippine
Vers sa chûte à grands pas chaque jour s'achemine.
L'ombre seule m'en reste, et l'on n'implore plus
Que le nom de Sénèque et l'appui de Burrhus.

ALBINE.

Ah! si de ce soupçon votre âme est prévenue,
Pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue?
Allez avec César vous éclaircir du moins.

AGRIPPINE.

César ne me voit plus, Albine, sans témoins:
En public, à mon heure, on me donne audience.
Sa réponse est dictée, et même son silence.
Je vois deux surveillans, ses maîtres et les miens,
Présider l'un ou l'autre à tous nos entretiens.
Mais je le poursuivrai d'autant plus qu'il m'évite:
De son désordre, Albine, il faut que je profite.
J'entends du bruit ; on ouvre. Allons subitement
Lui demander raison de cet enlèvement:
Surprenons, s'il se peut, les secrets de son âme.
Mais quoi ! déjà Burrhus sort de chez lui!

SCÈNE II.

AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE.

BURRHUS.

Madame,

Au nom de l'empereur j'allais vous informer
D'un ordre qui d'abord a pu vous alarmer,
Mais qui n'est que l'effet d'une sage conduite,
Dont César a voulu
que vous soyez instruite.

AGRIPPINE.

Puisqu'il le veut, entrons ; il m'en instruira mieux.

César

BURRHUS.

pour quelque tems s'est soustrait à nos yeux.
Déja par une porte au public moins connue
L'un et l'autre consul vous avaient prévenue,
Madame. Mais souffrez que je retourne exprès...

AGRIPPINE.

Non, je ne trouble point ses augustes secrets. Cependant voulez-vous qu'avec moins de contrainte L'un et l'autre une fois nous nous parlions sans feinte?

BURRHUS.

Burrhus pour le mensonge eut toujours trop d'horreur.

AGRIPPINE.

Prétendez-vous long-tems me cacher l'empereur?
Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune?
Ai-je donc élevé si haut votre fortune

« PrécédentContinuer »