Tours, que sa vie et sa couronne pouvaient être menacées, il se proposait d'aller lui offrir le secours de son épée et de son régiment. Seulement, pour éviter les tracasseries et les formalités abusives qu'il ne manquerait pas de rencontrer dans son voyage, sous le costume d'officier du roi ou de bourgeois, alors forts suspects, il avait jugé à propos de revêtir des habits d'ouvrier. Ceux qui l'avaient arrêté ne manquèrent pas, à la vue de son déguisement, de le soupçonner de faire partie du grand complot dont tout le monde parlait et qui, en réalité, n'existait que dans l'imagination si fertile des Jacobins. On emmène le colonel au corps de garde de l'hôtel de ville, et le Conseil général est averti sans retard de l'arrestation importante qui vient d'être opérée. Grand émoi au Conseil ! Il est décidé que le prisonnier sera immédiatement amené à la séance pour y être interrogé. En même temps, deux membres de l'administration départementale sont chargés de se rendre au domicile de M. de Suffren pour y mettre les scellés et saisir ses papiers. Un instant après, le Conseil apprend par un membre de la municipalité, qu'il est imposible d'amener le prisonnier au département, parce que le peuple, rassemblé en masse devant l'hôtel de ville, est dans une irritation qui peut faire craindre pour la vie du colonel. La place de l'Hôtel-de-Ville est, en effet, couverte d'une foule compacte, mais plutôt curieuse que menaçante. Le membre de la municipalité, qui vient de faire son rapport au conseil général, s'est évidemment mépris sur l'attitude de cette foule. Ce que l'on doit redouter, en réalité, c'est l'effervescence d'un grand nombre de soldats du régiment de Bassigny, mêlés au peuple, et qui, émus, furieux de l'arrestation de leur chef, parlent de l'arracher des mains de la garde nationale. Sur l'avis d'un de ses membres, le Conseil du département, rapportant son premier ordre, décide que M. de Suffren restera à l'hôtel de ville, et qu'après avoir subi un interrogatoire, il sera écroué à la maison d'arrêt. L'interrogatoire ne dévoila absolument rien de relatif à l'enlèvement du roi, ni au grand complot contre la sûreté de l'Etat. M. de Suffren avait appris l'arrestation du roi comme tout le monde, par la publication du billet du citoyen Nérac; son départ pour Paris lui avait été inspiré, comme nous l'avons dit, par son seul dévouement à Louis XVI. Les recherches faites à son domicile furent également sans résultat. Un portefeuille contenant des lettres d'intérêt privé, des brochures, une somme de 2,500 livres, fut tout ce que l'on trouva à saisir. Argent, brochures et portefeuille lui furent rendus et on le mit en liberté, mais par une inconséquence que l'on ne s'explique pas après le résultat négatif de l'enquête, on lui enjoignit de quitter immédiatement la ville. Par le fait, c'était dépouiller ce brave officier du commandement de son régiment. 1 Dans quelle loi, dans quelles instructions avait-on puisé le droit d'empiéter d'une façon si étrange sur les attributions de l'autorité militaire? C'est ce que nous ignorons; et l'administration elle-même aurait été sans doute fort embarrassée si on lui eût demandé des explications à cet égard. Toujours est-il que cette mesure regrettable dont était victime un des officiers les plus distingués de l'armée, et jouissant à Tours de l'estime générale, fut énergiquement blâmée par l'opinion publique, qui voyait avec tristesse le pouvoir entrer dans la voie de l'arbitraire où le poussait de toutes ses forces la faction des Jacobins. A toutes les époques de la Révolution, la question des subsistances fut une cause de désordre et de troubles. Les agitateurs, qui visaient soit à la dictature pour un de leurs chefs, soit à l'établissement d'une espèce de monarchie constitutionnelle au profit de Philippe d'Orléans, y trouvèrent une arme puissante et très-propre à faciliter l'accomplissement de leurs projets. C'est en vain que l'on a voulu rejeter sur les royalistes la responsabilité des désordres auxquels cette question donna lieu et dont ils auraient été infailliblement les premières victimes, Le reproche et l'injure sont retombés sur leurs auteurs, et il a été nettement établi que l'affreuse disette qui marqua ces temps malheureux fut entretenue d'une façon odieuse par des révolutionnaires dont l'insatiable ambition ne craignit point de spéculer sur les souffrances et les larmes du peuple. Aux documents qui ont déjà été publiés à ce sujet, nous allons joindre le récit d'une sédition de 1792, dont les circonstances et les causes sont peu connues. Organisée dans le département de la Sarthe, elle eut son dénouement dans l'Indreet-Loire, aux portes même de Tours. On jugera, par ces détails, lequel fut le plus coupable, ou du peuple poussé à bout par la misère et ne faisant que céder aux insinuations perfides d'agents provocateurs, ou de la main qui, prudemment cachée dans l'ombre et dirigeant à son bénéfice les fils du complot, exploitait indignement la bonne foi de la foule. Bien qu'on n'eût qu'à se louer des résultats de la récolte en 1792, les blés manquaient cependant sur tous les marchés. Cette disette était la conséquence toute naturelle des troubles politiques, du mauvais état du commerce, des inquiétudes que chacun avait pour l'avenir, des mesures inspirées par une prévoyance exagérée, et, enfin, de l'abondance des assignats. |