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» différentes de leurs effets, ou qui les précèdent en temps; tant » parce que ce serait une chose frivole et inutile, puisqu'il n'y a >> personne qui ne sache qu'une même chose ne peut pas être dif»férente de soi-même ni se précéder en temps, que parce que » l'une de ces deux conditions peut être ôtée de son concept, la >> notion de la cause efficiente ne laissant pas de demeurer tout en» tière. » Car qu'il ne soit pas nécessaire qu'elle précède en temps son effet, il est évident, puisqu'elle n'a le nom et la nature de cause efficiente que lorsqu'elle produit son effet, comme il a déjà été dit. Mais de ce que l'autre condition ne peut pas aussi être ôtée, on doit seulement inférer que ce n'est pas une cause efficiente proprement dite, ce que j'avoue, mais non pas que ce n'est point du tout une cause positive, qui par analogie puisse être rapportée à la cause efficiente; et cela est seulement requis en la question proposée. Car par la même lumière naturelle par laquelle je conçois que je me serais donné toutes les perfections dont j'ai en moi quelque idée, si je m'étais donné l'être, je conçois aussi que rien ne se le peut donner en la manière qu'on a coutume de restreindre la signification de la cause efficiente proprement dite, à savoir : en sorte qu'une même chose, en tant qu'elle se donne l'ètre, soit différente de soimême en tant qu'elle le reçoit; parce qu'il y a de la contradiction entre ces deux choses, être le même, et non le même, ou différent. C'est pourquoi, lorsqu'on demande si quelque chose se peut donner l'être à soi-même, il faut entendre la même chose que si l'on demandait, savoir, si la nature ou l'essence de quelque chose peut être telle qu'elle n'ait pas besoin de cause efficiente pour être ou exister.

Et lorsqu'on ajoute: si quelque chose est telle, elle se donnera toutes les perfections dont elle a les idées, s'il est vrai qu'elle ne les ait pas encore, cela veut dire qu'il est impossible qu'elle n'ait pas actuellement toutes les perfections dont elle a les idées; d'autant que la lumière naturelle nous fait connaître que la chose dont l'essence est si immense qu'elle n'a pas besoin de cause efficiente pour être, n'en a pas aussi besoin pour avoir toutes les perfections dont elle a les idées, et que sa propre essence lui donne éminemment tout ce que nous pouvons imaginer pouvoir être donné à d'autres choses par la cause efficiente.

Et ces mots: si elle ne les a pas encore, elle se les donnera, servent seulement d'explication; d'autant que par la même lumière naturelle nous comprenons que cette chose ne peut pas avoir, au moment que je parle, la vertu et la volonté de se donner quelque chose de nouveau; mais que son essence est telle, qu'elle a eu de

toute éternité tout ce que nous pouvons maintenant penser qu'elle se donnerait si elle ne l'avait pas encore.

Et néanmoins toutes ces manières de parler, qui ont rapport et analogie avec la cause efficiente, sont très-nécessaires pour conduire tellement la lumière naturelle, que nous concevions clairement ces choses; tout ainsi qu'il y a plusieurs choses qui ont été démontrées par Archimède touchant la sphère et les autres figures composées de lignes courbes, par la comparaison de ces mêmes figures avec celles qui sont composées de lignes droites; ce qu'il aurait eu peine à faire comprendre s'il en eùt usé autrement. Et comme ces sortes de démonstrations ne sont point désapprouvées, bien que la sphère y soit considérée comme une figure qui a plusieurs côtés, de même je ne pense pas pouvoir être ici repris de ce que je me suis servi de l'analogie de la cause efficiente pour expliquer les choses qui appartiennent à la cause formelle, c'est-à-dire à l'essence même de Dieu.

Et il n'y a pas lieu de craindre en ceci aucune occasion d'erreur, d'autant que tout ce qui est le propre de la cause efficiente, et qui ne peut être étendu à la cause formelle, porte avec soi une manifeste contradiction, et partant ne pourrait jamais être cru de personne, à savoir, qu'une chose soit différente de soi-même, ou bien qu'elle soit ensemble la même chose, et non la même.

Et il faut remarquer que j'ai tellement attribué à Dieu la dignité d'ètre la cause, qu'on ne peut de là inférer que je lui aie aussi attribué l'imperfection d'ètre l'effet: car, comme les théologiens, lorsqu'ils disent que le Père est le principe du Fils, n'avouent pas pour cela que le Fils soit principié, ainsi, quoique j'aie dit que Dieu pouvait en quelque façon être dit la cause de soi-même, il ne se trouvera pas néanmoins que je l'aie nommé en aucun lieu l'effet de soimême, et ce d'autant qu'on a de coutume de rapporter principalement l'effet à la cause efficiente, et de le juger moins noble qu'elle, quoique souvent il soit plus noble que ses autres causes.

Mais, lorsque je prends l'essence entière de la chose pour la cause formelle, je ne suis en cela que les vestiges d'Aristote; car, au livre II de ses Anal. poster., cap. xvi, ayant omis la cause matérielle, la première qu'il nomme est celle qu'il appelle citiz To Ti v εite, ou, comme l'ont tourné ses interprètes, la cause, formelle, laquelle il étend à toutes les essences de toutes les choses, parce qu'il ne traite pas en ce lieu-là des causes du composé physique, non plus que je fais ici, mais généralement des causes d'où l'on peut tirer quelque connaissance.

Or, pour faire voir qu'il était malaisé dans la question proposée

de ne point attribuer à Dieu le nom de cause, il n'en faut point de meilleure preuve que, de ce que M. Arnauld ayant tâché de conclure par une autre voie la même chose que moi, il n'en est pas néanmoins venu à bout, au moins à mon jugement. Car, après avoir amplement montré que Dieu n'est pas la cause efficiente de soimême (parce qu'il est de la nature de la cause efficiente d'être différente de son effet), ayant aussi fait voir qu'il n'est pas par soi positivement (entendant par ce mot positivement une influence positive de la cause), et aussi qu'à vrai dire il ne se conserve pas soi-même (prenant le mot de conservation pour une continuelle reproduction de la chose), de toutes lesquelles choses je suis d'accord avec lui, après tout cela il veut derechef prouver que Dieu ne doit pas être dit la cause efficiente de soi-même; «< parce que, » dit-il, la cause efficiente d'une chose n'est demandée qu'à raison » de son existence et jamais à raison de son essence or est-il qu'il » n'est pas moins de l'essence d'un être infini d'exister qu'il est de >> l'essence d'un triangle d'avoir ses trois angles égaux à deux droits; >> donc il ne faut non plus répondre par la cause efficiente lorsqu'on >> demande pourquoi Dieu existe, que lorsqu'on demande pourquoi » les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits. >> Lequel syllogisme peut aisément être renvoyé contre son auteur en cette manière quoiqu'on ne puisse pas demander la cause efficiente à raison de l'essence, on la peut néanmoins demander à raison de l'existence; mais en Dieu l'essence n'est point distinguée de l'existence, donc on peut demander la cause efficiente de Dieu. Mais, pour concilier ensemble ces deux choses, on doit dire qu'à celui qui demande pourquoi Dieu existe il ne faut pas à la vérité répondre par la cause efficiente proprement dite, mais seulement par l'essence même de la chose, ou bien par la cause formelle, laquelle, pour cela même qu'en Dieu l'existence n'est point distinguée de l'essence, a un très-grand rapport avec la cause efficiente, et partant peut être appelée quasi cause efficiente.

Enfin il ajoute « qu'à celui qui demande la cause efficiente de >> Dieu il faut répondre qu'il n'en a pas besoin; et derechef à celui >> qui demande pourquoi il n'en a pas besoin, il faut répondre: >> Parce qu'il est un Être infini duquel l'existence est son essence; >> car il n'y a que les choses dans lesquelles il est permis de dis>> tinguer l'existence actuelle de l'essence qui aient besoin de cause >> efficiente. » D'où il infère que ce que j'avais dit auparavant est entièrement renversé; c'est à savoir: « si je pensais qu'aucune >> chose ne peut en quelque façon être à l'égard de soi-même ce » que la cause efficiente est à l'égard de son effet, jamais en cher

>> chant les causes des choses je ne viendrais à une première; » ce qui néanmoins ne me semble aucunement renversé, non pas même tant soit peu affaibli ou ébranlé; car il est certain que la principale force non-seulement de ma démonstration, mais aussi de toutes celles qu'on peut apporter pour prouver l'existence de Dieu par les effets, en dépend entièrement. Or presque tous les théologiens soutiennent qu'on n'en peut apporter aucune si elle n'est tirée des effets. Et partant, tant s'en faut qu'il apporte quelque éclaircissement à la preuve et démonstration de l'existence de Dieu, lorsqu'il ne permet pas qu'on lui attribue à l'égard de soi-même l'analogie de la cause efficiente, qu'au contraire il l'obscurcit et empêche que les lecteurs ne la puissent comprendre, particulièrement vers la fin, où il conclut que « s'il pensait qu'il fallût récher» cher la cause efficiente ou quasi efficiente de chaque chose, il >> chercherait une cause différente de cette chose. >>

Car comment est-ce que ceux qui ne connaissent pas encore Dieu rechercheraient la cause efficiente des autres choses pour arriver par ce moyen à la connaissance de Dieu, s'ils ne pensaient qu'on peut rechercher la cause efficiente de chaque chose? Et comment enfin s'arrêteraient-ils à Dieu comme à la cause première, et mettraient-ils en lui la fin de leur recherche, s'ils pensaient que la cause efficiente de chaque chose dût être cherchée différente de cette chose? Certes, il me semble que M. Arnauld a fait en ceci la même chose que si, après qu'Archimède, parlant des choses qu'il a démontrées de la sphère par analogie aux figures rectilignes inscrites dans la sphère même, aurait dit : Si je pensais que la sphère ne pût être prise pour une figure rectiligne ou quasi rectiligne, dont les côtés sont infinis, je n'attribuerais aucune force à cette démonstration, parce qu'elle n'est pas véritable, si vous considérez la sphère comme une figure curviligne, ainsi qu'elle est en effet, mais bien si vous la considérez comme une figure rectiligne dont le nombre des côtés est infini, si, dis-je, M. Arnauld, ne trouvant pas bon qu'on appelât ainsi la sphère, et néanmoins désirant retenir la démonstration d'Archimède, disait : Si je pensais que ce qui se conclut ici se dût entendre' d'une figure rectiligne dont les côtés sont infinis, je ne croirais point du tout cela de la sphère, parce que j'ai une connaissance certaine que la sphère n'est point une figure rectiligne. Par lesquelles paroles il est sans doute qu'il ne ferait pas la même chose qu'Archimède, mais qu'au contraire il se ferait un obstacle à soi-même et empêcherait les autres de bien comprendre sa démonstration.

Ce que j'ai déduit ici plus au long que la chose ne semblait peut

être le mériter, afin de montrer que je prends soigneusement garde à ne pas mettre la moindre chose dans mes écrits que les théologiens puissent censurer avec raison.

Enfin j'ai déjà fait voir assez clairement, dans les réponses aux secondes objections, que je ne suis point tombé dans la faute qu'on appelle cercle, lorsque j'ai dit que nous ne sommes assurés que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies qu'à cause que Dieu est ou existe, et que nous ne sommes assurés que Dien est ou existe qu'à cause que nous concevons cela fort clairement et fort distinctement, en faisant dis-. tinction des choses que nous concevons en effet fort clairement d'avec celles que nous nous ressouvenons d'avoir autrefois fort clairement conçues. Car, premièrement, nous sommes assurés que Dieu existe, pour ce que nous prêtons notre attention aux raisons qui nous prouvent son existence; mais après cela, il suffit que nous nous ressouvenions d'avoir conçu une chose clairement pour être assurés qu'elle est vraie, ce qui ne suffirait pas si nous ne savions que Dieu existe et qu'il ne peut être trompeur.

Pour la question savoir s'il ne peut y avoir rien dans notre esprit, en tant qu'il est une chose qui pense, dont lui-même n'ait une actuelle connaissance, il me semble qu'elle est fort aisée à résoudre, parce que nous voyons fort bien qu'il n'y a rien en lui, lorsqu'on le considère de la sorte, qui ne soit une pensée ou qui ne dépende entièrement de la pensée, autrement cela n'appartiendrait pas à l'esprit, en tant qu'il est une chose qui pense; et il ne peut y avoir en nous aucune pensée de laquelle, dans le même moment qu'elle est en nous, nous n'ayons une actuelle connaissance. C'est pourquoi je ne doute point que l'esprit, aussitôt qu'il est infus dans le corps d'un enfant, ne commence à penser, et que dès lors il ne sache qu'il pense, encore qu'il ne se ressouvienne pas par ́après de ce qu'il a pensé, parce que les espèces de ses pensées ne demeurent pas empreintes en sa mémoire. Mais il faut remarquer que nous avons bien une actuelle connaissance des actes ou des opérations de notre esprit, mais non pas toujours de ses puissances ou de ses facultés, si ce n'est en puissance; en telle sorte que, lorsque nous nous disposons à nous servir de quelque faculté, tout aussitôt, si cette faculté est en notre esprit, nous en acquérons une actuelle connaissance : c'est pourquoi nous pouvons alors nier assurément qu'elle y soit, si nous ne pouvons en acquérir cette connaissance actuelle.

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