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esprits qui sont dans le cerveau à lui en représenter l'image, et ar rête tous les mouvements de la glande qui ne servent point à cet effet. Et il faut remarquer touchant le désir que la propriété que je lui ai attribuée de rendre le corps plus mobile ne lui convient que lorsqu'on imagine l'objet désiré être tel qu'on peut dès ce ́temps-là faire quelque chose qui serve à l'acquérir; car si au contraire on imagine qu'il est impossible pour lors de rien faire qui y soit utile, toute l'agitation du désir demeure dans le cerveau sans passer aucunement dans les nerfs, et, étant entièrement employée y fortifier l'idée de l'objet désiré, elle laisse le reste du corps languissant,

à

Art. 121. Qu'elle peut aussi être causée par d'autres passions.

Il est vrai que la haine, la tristesse, et même la joie, peuvent causer aussi quelque langueur lorsqu'elles sont fort violentes, à cause qu'elles occupent entièrement l'âme à considérer leur objet, principalement lorsque le désir d'une chose à l'acquisition de laquelle on ne peut rien contribuer au temps présent est joint avec elle. Mais pour ce qu'on s'arrête bien plus à considérer les objets qu'on joint à soi de volonté que ceux qu'on en sépare et qu'aucuns autres, et que la langueur ne dépend point d'une surprise, mais a besoin de quelque temps pour être formée, elle se rencontre bien plus en l'amour qu'en toutes les autres passions,

Art. 122. De la pamoison,

La pamoison n'est pas fort éloignée de la mort, car on meurt lorsque le feu qui est dans le cœur s'éteint tout à fait, et on tombe seulement en pamoison lorsqu'il est étouffé en telle sorte qu'il demeure encore quelques restes de chaleur qui peuvent par après le rallumer, Or il y a plusieurs indispositions du corps qui peuvent faire qu'on tombe ainsi en défaillance, mais entre les passions il n'y a que l'extrême joie qu'on remarque en avoir le pouvoir et la façon dont je crois qu'elle cause cet effet est qu'ouvrant extraor dinairement les orifices du cœur, le sang des veines y entre si à coup et en si grande quantité qu'il n'y peut être raréfié par la chaleur assez promptement pour lever les petites peaux qui ferment les entrées de ces veines au moyen de quoi il étouffe le feu, lequel il a coutume d'entretenir lorsqu'il n'entre dans le cœur que par

mesure.

Art. 123. Pourquoi on ne pâme point de tristesse,

Il semble qu'une grande tristesse qui survient inopinément, doit tellement serrer les orifices du cœur qu'elle en peut aussi éteindre

le feu, mais néanmoins on n'observe point que cela arrive, ou s'il arrive c'est très-rarement; dont je crois que la raison est qu'il ne peut guère y avoir si peu de sang dans le cœur qu'il ne suffise pour entretenir la chaleur lorsque ses orifices sont presque fermés.

Art. 124. Du ris,

Le ris consiste en ce que le sang qui vient de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, enflant les poumons subitement et à diverses reprises, fait que l'air qu'ils contiennent est contraint d'en sortir avec impétuosité par le sifflet, où il forme une voix inarticulée et éclatante; et tant les poumons en s'enflant, que cet air en sortant, poussent tous les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge, au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage qui ont quelque connexion avec eux; et ce n'est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu'on nomme le ris.

Art. 125. Pourquoi il n'accompagne point les plus grandes joies.

Or, encore qu'il semble que le ris soit un des principaux signes de la joie, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu'elle est seulement médiocre et qu'il y a quelque admiration ou quelque haine mêlée avec elle: car on trouve par expérience que lorsqu'on est extraordinairement joyeux, jamais le sujet de cette joie ne fait qu'on éclate de rire, et même on ne peut pas si aisément y être invité par quelque autre cause que lorsqu'on est triste; dont la raison est que, dans les grandes joies, le poumon est toujours si plein de sang qu'il ne peut être davantage enflé par reprises.

Art. 126. Quelles sont ses principales causes.

Et je ne puis remarquer que deux causes qui fassent ainsi subitement enfler le poumon. La première est la surprise de l'admiration, laquelle, étant jointe à la joie, peut ouvrir si promptement les orifices du cœur, qu'une grande abondance de sang, entrant tout à coup en son côté droit par la veine cave, s'y raréfie, et, passant de là par la veine artérieuse, enfle le poumon. L'autre est le mélange de quelque liqueur qui augmente la raréfaction du sang; et je n'en trouve point de propre à cela que la plus coulante partie de celui qui vient de la rate, laquelle partie du sang étant poussée vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l'admiration, et s'y mêlant avec le sang qui vient des autres endroits du corps, lequel la joie y fait entrer en abondance, peut faire que ce sang s'y dilate beaucoup plus que l'ordinaire : en

même façon qu'on voit quantité d'autres liqueurs s'enfler tout à coup étant sur le feu lorsqu'on jette un peu de vinaigre dans le vaisseau où elles sont; car la plus coulante partie du sang qui vient de la rate est de nature semblable au vinaigre. L'expérience aussi nous fait voir qu'en toutes les rencontres qui peuvent produire ce ris éclatant qui vient du poumon, il y a toujours quelque petit sujet de haine, ou du moins d'admiration. Et ceux dont la rate n'est pas bien saine sont sujets à être non-seulement plus tristes, mais aussi, par intervalles, plus gais et plus disposés à rire que les autres d'autant que la rate envoie deux sortes de sang vers le cœur, l'un fort épais et grossier, qui cause la tristesse: l'autre fort fluide et subtil, qui cause la joie. Et souvent, après avoir beaucoup ri, on se sent naturellement enclin à la tristesse, pour ce que, la plus fluide partie du sang de la rate étant épuisée, l'autre, plus grossière, la suit vers le cœur.

:

Art. 127. Quelle est sa cause en l'indignation.

Pour le ris qui accompagne quelquefois l'indignation, il est ordinairement artificiel et feint; mais, lorsqu'il est naturel, il semble venir de la joie qu'on a de ce qu'on voit ne pouvoir être offensé par le mal dont on est indigné, et, avec cela, de ce qu'on se trouve surpris par la nouveauté ou par la rencontre inopinée de ce mal : de façon que la joie, la haine et l'admiration y contribuent. Toutefois je veux croire qu'il peut aussi être produit, sans aucune joie, par le seul mouvement de l'aversion, qui envoie du sang de la rate vers le cœur, où il est raréfié et poussé de là dans le poumon, lequel il enfle facilement lorsqu'il le rencontre presque vide; et généralement tout ce qui peut enfler subitement le poumon en cette façon cause l'action extérieure du ris, excepté lorsque la tristesse la change en celle des gémissements et des cris qui accompagnent les larmes. A propos de quoi Vivès écrit de soi-même que lorsqu'il avait été long-temps sans manger, les premiers morceaux qu'il mettait en sa bouche l'obligeaient à rire; ce qui pouvait venir de ce que son poumon, vide de sang par faute de nourriture, était promptement enflé par le premier suc qui passait de son estomac vers le cœur, et que la seule imagination de manger y pouvait conduire avant même que celui des viandes qu'il mangeait y fût parvenu.

Art. 128. De l'origine des larmes.

Comme le ris n'est jamais causé par les plus grandes joies, ainsi les larmes ne viennent point d'une extrême tristesse, mais seule

ment de celle qui est médiocre et accompagnée ou suivie de quelque sentiment d'amour, ou aussi de joie. Et, pour bien entendre leur origine, il faut remarquer que bien qu'il sorte continuellement quantité de vapeurs de toutes les parties de notre corps, il n'y en a toutefois aucune dont il en sorte tant que des yeux, à cause de la grandeur des nerfs optiques et de la multitude des petites artères par où elles y viennent; et que comme la sueur n'est composée que des vapeurs qui, sortant des autres parties, se convertissent en eau sur leur superficie, ainsi les larmes se font des vapeurs qui sortent des yeux.

Art. 129. De la façon que les vapeurs se changent en eau.

Or, comme j'ai écrit dans les Météores, en expliquant en quelle façon les vapeurs de l'air se convertissent en pluie, que cela vient de ce qu'elles sont moins agitées ou plus abondantes qu'à l'ordinaire, ainsi je crois que lorsque celles qui sortent du corps sont beaucoup moins agitées que de coutume, encore qu'elles ne soient pas si abondantes, elles ne laissent pas de se convertir en eau, ce qui cause les sueurs froides qui viennent quelquefois de faiblesse quand on est malade; et je crois que lorsqu'elles sont beaucoup plus abondantes, pourvu qu'elles ne soient pas avec cela plus agitées, elles se convertissent aussi en eau, ce qui est cause de la sueur qui vient quand on fait quelque exercice. Mais alors les yeux ne suent point, pour ce que, pendant les exercices du corps, la plupart des esprits allant dans les muscles qui servent à le mouvoir, il en va moins par le nerf optique vers les yeux. Et ce n'est qu'une même matière qui compose le sang pendant qu'elle est dans les veines ou dans les artères, et les esprits lorsqu'elle est dans le cerveau, dans les nerfs ou dans les muscles, et les vapeurs lorsqu'elle en sort en forme d'air, et, enfin, la sueur ou les larmes lorsqu'elle s'épaissit en eau sur la superficie du corps ou des yeux.

Art. 130. Comment ce qui fait de la douleur à l'œil l'excite à pleurer.

Et je ne puis remarquer que deux causes qui fassent que les vapeurs qui sortent des yeux se changent en larmes. La première est quand la figure des pores par où elles passent est changée par quelque accident que ce puisse être : car cela retardant le mouvement de ces vapeurs, et changeant leur ordre, peut faire qu'elles se convertissent en eau. Ainsi il ne faut qu'un fétu qui tombe dans l'œil pour en tirer quelques larmes, à cause qu'en y excitant de la douleur il change la disposition de ses pores en sorte que, quelques-uns devenant plus étroits, les petites parties des vapeurs

y passent moins vite, et qu'au lieu qu'elles en sortaient auparavant également distantes les unes des autres, et ainsi demeuraient séparées, elles viennent à se rencontrer, à cause que l'ordre de ces pores est troublé, au moyen de quoi elles se joignent, et ainsi se convertissent en larmes.

Art. 131. Comment on pleure de tristesse.

L'autre cause est la tristesse suivie d'amour ou de joie, ou généralement de quelque cause qui fait que le cœur pousse beaucoup de sang par les artères; la tristesse y est requise, à cause que, refroidissant tout le sang, elle étrécit les pores des yeux : mais, pour ce qu'à mesure qu'elle les étrécit elle diminue aussi la quantité des vapeurs auxquelles ils doivent donner passage, cela ne suffit pas pour produire des larmes si la quantité de ces vapeurs n'est à même temps augmentée par quelque autre cause; et il n'y a rien qui l'augmente davantage que le sang qui est envoyé vers le cœur en la passion de l'amour: aussi voyons- nous que ceux qui sont tristes ne jettent pas continuellement des larmes, mais seulement par intervalles, lorsqu'ils font quelque nouvelle réflexion sur les objets qu'ils affectionnent.

Art. 132. Des gémissements qui accompagnent les larmes.

Et alors les poumons sont aussi quelquefois enflés tout à coup par l'abondance du sang qui entre dedans et qui en chasse l'air qu'ils contenaient, lequel sortant par le sifflet engendre les gémissements et les cris qui ont coutume d'accompagner les larmes; et ces cris sont ordinairement plus aigus que ceux qui accompagnent le ris, bien qu'ils soient produits quasi en même façon dont la raison est que les nerfs qui servent à élargir ou étrécir les organes de la voix, pour la rendre plus grosse ou plus aiguë, étant joints avec ceux qui ouvrent les orifices du cœur pendant la joie et les étrécissent pendant la tristesse, ils font que ces organes s'élargissent ou s'étrécissent au même temps,

Art. 133. Pourquoi les enfants et les vieillards pleurent aisément.

Les enfants et les vieillards sont plus enclins à pleurer que ceux de moyen âge, mais c'est pour diverses raisons, Les vieillards pleurent souvent d'affection et de joie car ces deux passions jointes ensemble envoient beaucoup de sang à leur cœur, et de là beaucoup de vapeur à leurs yeux; et l'agitation de ces vapeurs est tellement retardée par la froideur de leur naturel qu'elles se convertissent aisément en larmes, encore qu'aucune tristesse n'ait précédé. Que si quelques vieillards pleurent aussi fort aisément

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