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La pensée de Dieu implique l'existence de Dien, parce que si j'existe, moi imparfait, je ne puis supposer un seul instant, si j'applique ma pensée au parfait, qu'il n'existe point. Qu'est-ce qu'un être imparfait, sinon un être qui n'a point en soi de raison d'être et qu'est-ce qu'un être parfait, sinon un être qui possède en soi sa raison d'être? et s'il en est ainsi, qui accorde sa propre existence, c'est-à-dire l'existence d'un être imparfait, ne peut songer à l'existence de l'être parfait sans l'accorder immédiatement. Là est la puissance par laquelle l'idée de Dieu engendre la croyance à Dieu; ce n'est pas une donnée purement logique, mais une idée, un jugement, une conception appropriée au moi, et renfermant, comme toute pensée humaine, dans l'unité de la conscience, la conception du moi et la conception de l'être parfait, les deux pôles nécessaires de toute pensée. Or, la supposition de la non-existence de Dieu, si j'y applique sérieusement ma pensée, sans même recourir à la notion de cause, rend má propre existence contradictoire et impossible; c'est-à-dire ruine l'autorité de la conscience, qui pourtant échappe à tout scepticisme. Donc si je suis, et si je ne suis pas Dieu, Dieu est. Donc il faut dire avec Descartes : De cela seul que je suis et que j'ai la pensée de Dieu, il s'ensuit que Dieu existe; et, quelques difficultés que l'on puisse faire sur la forme, la pensée de Dieu, qui est dans l'homme, prouve à elle seule l'existence de Dieu.

DES RAPPORTS DE DIEU ET DU MONDE.

Dieu une fois démontré, surgit la question de ses rapports avec le monde. Or, les rapports de Dieu avec le monde, la nature des substances créées, l'influence réciproque de l'esprit sur la matière et de la matière sur l'esprit, et les formes logiques de l'entendement humain, dans lequel chaque série d'idées contin

gentes se rattache à une des catégories de la raison pure, ce sont des questions qui dépendent des mêmes principes, et qui ne doivent pas être séparées dans l'étude d'un système qui a de la conséquence. Pour Descartes, toutes les théories sur ces différentes questions se concluent de la doctrine psychologique des idées innées.

La psychologie est la condition de la science, et la métaphysique en est le fond. Descartes, ayant fondé dès le début l'autorité de la conscience, a le droit de considérer les idées comme des jugements concrets, de regarder même le jugement abstrait comme impliquant un jugement concret qui le met en rapport avec le moi, et de faire ensuite une métaphysique réelle, et non pas seulement une métaphysique logique ou conditionnelle. En effet, dans les jugements abstraits la conscience se retrouve comme condition psychologique; le fait se complique, la pensée se dédouble; et le moi, s'appropriant l'idée abstraite par un jugement concret, est encore là pour illuminer la connaissance et lui donner la véritable forme de pensée humaine. Une réalité objective est trompeuse et chimérique s'il n'y a point au dehors de réalité formelle; mais s'il n'y a point de sujet pensant, elle est un non-être ; et si ce sujet pensant ne sait pas qu'il pense, elle est comme si elle n'était pas; elle est une pensée ou réalité objective possible, elle n'est pas une pensée actuelle. La conscience, qui fait que la pensée, est ma pensée, est donc la condition de toute pensée et de toute connaissance; et par conséquent je pense à moi, je me connais et je m'aperçois moimême toutes les fois que ma pensée s'exerce. Mais s'il est de la nature de l'intelligence d'avoir un sujet pensant ayant conscience de lui-même, elle se perdrait en quelque sorte dans le vide, et ne serait plus une lumière s'il ne se rencontrait quelque chose qui la terminât à la façon d'un objet. Or les idées auxquelles s'applique la pensée sont de deux sortes les unes

contingentes, les autres nécessaires; ou, pour parler plus rigoureusement, les unes de choses contingentes, parmi lesquelles je me range moi-même, quoique je ne puisse pas ne pas penser à moi; et les autres de choses nécessaires. Mais de même que je suis le centre de toutes mes pensées, les idées nécessaires sont comme la circonférence qui borne mon horizon dans toutes les directions; et quel que soit le phénomène auquel je pense, je conçois en même temps une certaine idée nécessaire qui l'arrête et le domine. Ainsi toute idée de chose contingente est sujette à la quantité, et nulle quantité n'est conçue que l'esprit ne conçoive nécessairement quelque chose de plus grand qui la dépasse. Prenons pour exemple l'espace ou le temps: il ne se peut que l'esprit conçoive une mesure de temps ou d'étendue sans concevoir quelque chose dont cette mesure est privée et qui s'étend au delà; et comme on peut augmenter indéfiniment la mesure, ce quelque chose a évidemment dans son espèce la nature positive par excellence, et possède pleinement et sans restriction l'essence qui lui est commune avec les mesures ou choses mesurées qui ne la possèdent que partiellement et d'une façon négative. Mais ces idées de la raison pure ne sont pas miennes; et quoique je les aperçoive clairement, elles ne dépendent ni de ma volonté, ni de ma nature, ni de la volonté de quelque esprit que ce soit, mais de la nature de Dieu, et elles sont de sa substance1: en sorte que je ne vois aucune chose sans penser à quelqu'une des perfections de Dieu; et ainsi l'illusion de Malebranche se conçoit Si nous ne voyons pas tout en Dieu, nous ne voyons rien sans voir Dieu en même temps. Et de fait, il n'est pas étonnant, si nous venons de lui, que nous lui demeurions unis intimement.

Cf. Bayle, t. II de la continuation des Pensées diverses, ch. 152, et Leibniz, Théodicée, Essai sur la bonté de Dieu, part. 1, § 175 sqq. b.

En résumé: il n'est point de pensée qui n'implique la conscience et la raison pure, et durant toute ma vie intellectuelle je rattache tout nécessairement à Dieu et à moi-même. Il y a dans toute pensée un élément personnel et un élément impersonnel, et de là les disputes de ceux qui ne comprennent pas la complexité du fait. Il n'y a de fait simple que pour l'analyse; mais pour la réalité, dans le monde, tout est complexe.

Si l'on met d'une part toutes les pensées de choses finies ou idées adventices, et de l'autre les idées innées, le caractère générique des idées adventices est de recevoir la quantité; et le caractère générique des idées innées, de l'exclure. La dispute entre Descartes et Gassendi touche au véritable noeud de la philosophie quand Gassendi soutient que l'infini même est une quantité; et Descartes, que la quantité participe du néant par la divisibilité, et que l'infini est le positif par excellence, l'urité et la simplicité même. Il n'y a point en Dieu, c'est-à-dire dans la substance infiniment infinie, de quantité, de multiplicité, de divisibilité : il n'y a donc point d'étendue ni de durée. Quand on oppose Dieu au monde, le caractère propre de Dicu, c'est l'unité absolue; le caractère générique du monde, c'est la multiplicité. Dieu est la cause du monde, l'unité a produit la multiplicité : comment cela a-t-il pu se faire? comment cela s'est-il fait ? Et d'abord, pour produire le monde, Dieu l'a conçu: comment at-il pu concevoir le multiple? La multiplicité étant ce qui distingue le fini de l'infini, en concevant le multiple Dieu a conçu l'être limité, c'est-à-dire l'être accompagné de négation : il a donc indirectement conçu le néant 1? Là commence une difficulté qui

1 Il faut songer que les panthéistes le deviennent par la difficulté d'expliquer que l'on crée le multiple; grande difficulté en effet, car créer est une opération dont notre esprit ne connaît point l'analogue; de plus, on ne voit pas le motif, ni comment il y a du rapport entre l'éternité et l'esprit, d'une part ; l'étendue et la durée, de l'autre. Enfin, il semble que

accompagne ensuite tous les pas que fait la science, depuis Dieu, l'unité même, jusqu'à l'individu le plus multiple, le plus borné, le plus négatif. La théorie de Platon que le monde est par participation de Dieu n'a nulle valeur comme explication du comment de la création; mais elle est philosophique en ce sens que dans cette théorie tout ce qui est tient son être de Dieu et de lui seul. En ce sens tout participe de Dieu, et a d'autant plus de réalité et une réalité d'autant plus grande qu'il se rapproche davantage de l'unité divine, et s'écarte de la multiplicité, caractère du fini, marque de l'inanité du fini comparé à la plénitude d'être de l'infini. Descartes a donc raison de dire qu'il y a des degrés de réalité. Il a le droit de dire qu'il y a plus de réalité dans ce qui se rapproche plus de Dieu, c'est-à-dire, en un sens très-réel, de l'unité. Toute chose créée a de l'unité par son fond, qui vient de Dieu. Que l'on songe au procédé de la science : la science généralise; elle arrive à des généralisations de deux sortes : les unes sont l'expression, les autres la loi des faits particuliers. Plus elle avance dans la connaissance des choses, plus elle se simplifie; plus elle découvre d'harmonie et de rapports, plus elle aperçoit la vanité des différences; bientôt à ses yeux le monde entier dépend de quelques lois, et ces lois mêmes dépendent d'un Dieu, et ce Dieu, centre commun, unique, un de toute espèce et de toute forme d'unité, fait sortir de lui, c'està-dire non de sa substance, mais de sa volonté, la vie, qui, à

ce soit une imperfection en Dieu de créer. Mais que le monde soit Dieu, toutes ces mêmes difficultés, celle même de la création, la moins réelle de toutes, subsistent; car les panthéistes ne nient pas l'unité et l'absolu, ce qui les distingue des athées : et s'ils disent que le monde n'est pour Dieu qu'un spectacle, s'ils font de tout ce qui est multiple des phénomènes subjectifs de la pensée divine, ils n'échappent pas pour cela à la difficulté, et il faut toujours se demander comment Dieu conçoit le multiple et le divers. C'est un point que les alexandrins ont définitivement établi. Il faut en prendre son parti, et demeurer éléate, ou, si on admet que Dieu pense au monde, admettre tout aussitôt la création.

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