Images de page
PDF
ePub

§ 33.

De la franchise de l'hôtel du ministre.

Le privilége de l'exterritorialité fictive accordé au ministre et aux personnes attachées à sa mission s'étend aussi à son hôtel en tant qu'il s'agit de l'exempter des perquisitions ou visites de la police et de celles des employés des douanes auxquelles peuvent se trouver assujetties les habitations des régnicoles et des étrangers (2).

(1) Nous n'avons rien à ajouter à ce qui a été dit plus haut, au sujet de l'inviolabilité du domicile de l'ambassadeur. Celui de tout habitant, quel qu'il soit, doit être sacré. Par conséquent, il n'y a rien que de très-naturel à ce qu'on entoure d'égards tout particuliers la demeure de l'Envoyé, afin d'écarter tout soupçon d'investigation indiscrète, et même parce que le gouvernement ne saurait prendre trop de précautions pour empêcher que des agents subalternes ne compromettent la bonne intelligence des deux pays, en se portant envers l'agent diplomatique à des actes attentatoires à ses prérogatives. Car il n'est pas toujours facile, en pareil cas, de donner après coup des explications satisfaisantes, et qui éloignent tout soupçon de complicité de la part du gouvernement qu'on présumerait intéressé à chercher des prétextes pour pénétrer les secrets de la politique étrangère. Tellé est la véritable raison qui a fait établir l'immunité en question et qui justifie, dans ce cas, la fiction de l'exterritorialité.

--Voy. dans les Causes célèbres, T. II, p. 409, l'insulte faite, en 1749, à l'hôtel du ministre de Hollande à Paris, et la satisfaction qui en fut donnée. Sur les difficultés qui s'élevèrent, en 4680, à Madrid touchant les priviléges de l'ambassadeur de France, voy. le même ouvrage, T. II, p. 376.

(2) Dáns le XVe chapitre de son traité De foro legatorum competenti, BYNKERSHOEK pose le principe que « la famille du ministre, les personnes de sa suite et les domestiques sont, d'après l'usage des > nations, également exempts de la juridiction civile du pays. » Il étend même ce privilége aux domestiques qui sont les sujets du sou

Quant à la franchise des quartiers (Quartier Freyheit), en vertu de laquelle toutes les maisons situées dans le voisinage de l'hôtel d'un ministre étranger devenaient exemptes de la juridiction du pays, en y arborant les armes du souverain de ce ministre, cet usage, quoique toléré autrefois dans plusieurs États par un abus manifeste ('), peut être considéré, aujourd'hui, comme universellement aboli dans tous les pays qui ont reconnu et adopté les principes consacrés par le droit des gens moderne (2).

§ 34.

Du droit d'asile.

Ce serait attenter à l'indépendance des nations que de vouloir étendre le privilége de l'exterritorialité jusqu'à permettre au ministre étranger, d'arrêter le cours ordinaire de la justice du pays, en donnant asile dans son hôtel à des individus, nationaux ou

verain territorial, par cette raison que le domicile du ministre, qui, par fiction, est censé résider dans son pays natal, attire à lui le domicile de ses gens, quoique sujets de l'État où le ministre est accrédité. En entrant à son service, ils changent de nationalité.

(1) Notamment à Rome, à Madrid, à Venise, et à Francfort-surle-Mein, au couronnement de l'empereur d'Allemagne.

[ocr errors]

(2) A Rome, cependant, quelques légations, telles que celles de France et d'Espagne, jouissent encore d'une certaine franchise de quartier, au moyen des armoiries nationales placées, comme indice de protection, sur le portail de l'hôtel. — En 1759, les ministres de France à Gênes étaient en possession du droit de ne point permettre aux hommes de la police de passer devant leur hôtel; droit ridicule, et insultant pour le gouvernement qui le souffrait. En Espagne, ces sortes de franchises sont abolies depuis la fin du XVIIe siècle..

étrangers, poursuivis à raison d'un délit ou d'un crime. Aussi a-t-on sagement fait de supprimer ce prétendu droit, dont on a tant abusé jadis, et à la faveur duquel tout individu poursuivi par la justice pouvait, en se réfugiant dans l'hôtel du ministre d'une cour étrangère, se soustraire à l'action judiciaire des autorités locales (1).

S'il s'agit d'un individu accusé d'un crime d'État, et s'il est reconnu que cet accusé s'est réfugié dans l'hôtel du ministre d'une puissance étrangère, le gouvernement peut non-seulement, en faisant cerner l'hôtel, empêcher le coupable de s'évader, mais encore, dans le cas où le ministre, bien que dûment sollicité par l'autorité compétente, se refuserait à son extradition, l'en faire enlever sur-le-champ et même de force (2). Le

(1) Quelques publicistes ont prétendu que le droit d'asile des ministres publics est fondé sur les principes mêmes du droit des gens naturel. Voy. RÉAL, T. V, sect. 8; BYNKERSHOEK, chap. XXI; VATTEL, L. IV, chap. ix, § 448, et G. F. DE MARTENS, § 220.

« En consultant la raison seule, rien ne peut paraître plus absurde que ce prétendu droit de convertir la maison d'un ministre public en un lieu d'asile pour les personnes accusées d'avoir violé les lois du pays, bien que cette prétention monstrueuse ait été admise quelquefois.» (WHEATON, Progrès du droit des gens, 2o édition, p. 340.)

(2) Les opinions des publicistes diffèrent à ce sujet. Les uns veulent que les autorités du pays aient le droit de faire entourer de gardes l'hôtel du ministre dans lequel se serait réfugié le coupable, pour s'assurer qu'il ne puisse s'échapper; mais ils leur contestent celui de le faire enlever de l'hôtel à main armée; ils ajoutent qu'elles sont tenues de solliciter son extradition par l'intermédiaire du ministre des affaires étrangères, et en cas de refus du ministre de la solliciter de son souverain. D'autres veulent que la demande de l'extradition du criminel se fasse directement par les huissiers, qui, sur le refus du ministre, seraient autorisés à procéder à la visite de

8

droit des gens positif admettant au surplus bien des modifications sur ce que la sûreté de l'État peut exiger, et ce que le but de la mission et le rang de l'agent diplomatique peuvent permettre, il n'est pas possible

l'hôtel et à s'emparer du prévenu, en ayant soin toutefois d'éviter tout ce qui pourrait blesser les droits et les égards dus à la personne du ministre et à sa suite.

Quant à nous, nous pensons qu'en tout état de cause la maison d'un ministre étranger ne peut être visitée par les agents du souverain territorial contre la volonté de ce ministre si ce dernier résiste à toutes les sommations, que le gouvernement lui enjoigne de se retirer en lui envoyant ses passe-ports, et qu'il fasse cerner son hôtel jusqu'après le départ de l'ambassadeur, rien de mieux; mais tout acte de violence contre son domicile nous paraît être une atteinte positive au droit des gens. Si le coupable avait franchi la frontière ce serait uniquement par voie de correspondance diplomatique que son extradition pourrait être réclamée : donc, par analogie et comme conséquence d'une fiction qu'il faut respecter, on peut envisager la frontière comme franchie par l'inculpé quand il est parvenu à pénétrer dans l'hôtel d'un ministre étranger.

Plusieurs cas d'arrestation ou d'extradition de ce genre sont rapportés dans les Causes célèbres du droit des gens; entre autres :

Arrestation du duc de Ripperda, premier ministre disgracié du roi d'Espagne, enlevé de vive force, en 1726, de l'hôtel de l'ambassadeur d'Angleterre à Madrid, où il avait eu l'imprudence de se réfugier; T. I, p. 476; Perquisitions faites à Paris, en 1748, dans l'hôtel du prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne; T. I, p. 439 ; — Extradition d'un négociant accusé de haute trahison par le gouvernement suédois, et réfugié (1747) dans l'hôtel du ministre d'Angleterre; T. I, p. 326; Échange de notes entre l'ambassadeur de France et le gouvernement danois (1702), au sujet du comte de Schlieben, réfugié dans l'hôtel de ce ministre; T. II, p. 386.

D'après la déclaration du mois de septembre 4845, donnée, par ordre du pape, par le cardinal secrétaire d'État du Saint-Siége, le droit d'asile dont jouissaient jusqu'alors les ministres étrangers résidant à la cour de Rome a été limité, en ce qu'il ne leur est plus permis de donner asile qu'aux individus accusés de simples délits correctionnels.

de prononcer d'avance sur ce que les parties intéressées seraient, dans ces divers cas, en droit d'exiger les unes des autres (').

Quoique les équipages des ministres étrangers soient, comme nous l'avons dit, exemptés de toute visite, cette immunité est nécessairement limitée par les droits de haute police appartenant à l'État. Ainsi, un ministre ne pourrait pas se servir ou permettre qu'on se servît de ses équipages pour soustraire à la juridic

(1) Le premier devoir d'un ministre étranger est de respecter les lois et les autorités du pays où il réside, et il ne saurait s'attribuer des prérogatives qui conduiraient à l'absurde.

La justice locale et les parties intéressées ont le droit incontestable de faire juger l'homme qui s'est réfugié dans l'hôtel de l'ambassadeur. Ce n'est pas un droit spécial, c'est le droit commun, sans distinction de pays ou de législations. Il faut ou le juger ou le laisser juger par ses juges naturels.

Lorsque le coupable est dans le pays même où le crime a été commis, personne, pas même le souverain, ne saurait avoir le droit de mettre entrave au cours de la justice.

L'ambassadeur commettrait donc un attentat s'il osait braver les lois en s'interposant entre la justice et le coupable. Ce serait se rendre complice du crime, et dès lors il ne resterait au gouvernement qu'à lui envoyer ses passe-ports, en prenant les mesures convenables pour que l'accusé fùt saisi s'il se hasardait à quitter l'hôtel avant le départ de l'ambassadeur. Ce départ effectué, la personne et les archives du ministre étant à l'abri de toute atteinte, rien ne s'oppose à ce que les agents du gouvernement pénètrent dans sa demeure pour s'emparer du coupable.

Si l'ambassadeur, dûment prévenu, y donne son assentiment, le gouvernement procède aux recherches à faire dans son hôtel, dès que ce ministre a pris ses mesures pour mettre à couvert sa personne, sa suite et ses archives de tout acte arbitraire de la part des exécuteurs de la loi. L'autorité doit veiller à ce que cette visite se fasse avec des égards tout particuliers et en présence d'un magistrat supérieur.

« PrécédentContinuer »