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la fermeté du langage, pas plus que la modération ne proscrit la défense des droits attaqués, la sauvegarde des intérêts compromis. S'agit-il de récriminations et de reproches, la puissance qui récrimine doit toujours exprimer l'espoir et le désir d'une conciliation amiable, et le vif regret qu'elle éprouverait de se voir contrainte à recourir à des mesures de rigueur.

En général, dans ces écrits comme dans tous ceux qui ont pour but de ramener ou d'éclairer, les moyens de persuasion, étayés sur la justesse des raisonnements, doivent se fortifier l'un l'autre en s'enchaînant, et la conviction s'opérer d'elle-même. Il serait peu honorable de dénaturer les faits et d'en forcer les conséquences, d'exagérer les torts réels ou d'en supposer d'imaginaires; il serait puéril d'éluder les objections, impolitique de leur opposer une réfutation superficielle : la bonne foi provoque la confiance, et c'est se donner des armes que de se montrer soucieux de son honneur.

S'il y a des rapprochements à faire entre le cas actuel et des circonstances antérieures analogues, il faut s'appuyer sur ces précédents, si l'on en peut tirer un argument favorable aux prétentions qu'on soutient ou aux questions qu'on discute; comme il faut en reconnaître loyalement l'autorité si cette analogie les réfute ou les condamne.

Les cabinets répondent aux mémoires qui leur sont adressés par des écrits rédigés dans la même forme, et que l'on désigne sous le nom de contre-mémoires. Ces pièces ont naturellement pour but de réfuter celle à laquelle ils servent de réplique, soit en rectifiant les

faits et en pesant les griefs, soit en combattant les prétentions, en motivant le rejet des demandes ou en soutenant les droits attaqués.

Les mémoires, auxquels on donne aussi quelquefois le nom de mémorandum, et que le vieux langage diplomatique a longtemps appelés déductions (1), sont, selon les circonstances, ou des documents destinés à la publicité, ainsi que les déclarations et les exposés de motifs, ou des notes confidentielles dont la forme seule diffère des autres notes diplomatiques (2).

Ces documents sont quelquefois rédigés en commun par plusieurs des ministres accrédités à la même cour, lorsqu'ils sont chargés de faire au souverain une re

(1) Les deux déductions que le comte de Sinzendorf, ministre de l'empereur d'Allemagne à La Haye, fit remettre au grand-pensionnaire de Hollande et au duc de Marlborough, touchant les propositions faites par les plénipotentiaires de France aux conférences de Gertruydenberg, en 1710, peuvent être regardées comme des modèles de ce genre de composition. La première a pour titre : Raisons pour montrer que la proposition de la France de laisser le royaume de Sicile au duc d'Anjou est injuste, captieuse, et telle que la maison d'Autriche ne peut ni ne doit l'accepter; la seconde : Sentiments et déclarations du comte de Sinzendorf sur les propositions faites à Gertruydenberg par les ministres de France, etc.

(2) Les gouvernements ont échangé entre eux, dans ces derniers temps, un grand nombre de ces pièces politiques, à la suite des événements qui ont agité l'Europe. Parmi celles qui ont été rendues publiques, nous indiquerons, indépendamment des mémoires que nous reproduisons ici comme modèles, celles qui ont été publiées sur des questions importantes de droit international, telles que l'intervention armée lors des troubles insurrectionnels en Espagne, en Portugal, dans les royaumes des Deux-Siciles et de Sardaigne; l'émancipation des provinces espagnoles en Amérique et celle de la Grèce la légitimité de la succession au trône de Portugal après la mort de Jean VI, etc.

présentation collective au nom de leurs cabinets respectifs; ou bien encore cette représentation, quoique d'un intérêt commun et ayant le même but, est rédigée et remise par chacun d'eux séparément.

Les instructions qui sont données par les cabinets à leurs représentants à l'étranger, lorsqu'ils se rendent à leur poste, sont le plus habituellement rédigées sous forme de mémoires. Dans ce cas, la pièce est intitulée Mémoire pour servir d'instructions.

MÉMOIRES.

Mémoire du prince de Metternich, envoyé aux plénipotentiaires autrichiens près les cours de Londres et de Paris, au sujet de l'incorporation de la ville et du territoire de Cracovie à l'empire d'Autriche. (1846.)

La ville libre de Cracovie ayant, elle-même et de ses propres mains, détruit les conditions de l'existence politique qui lui avait été donnée, les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie se sont trouvées naturellement appelées à se réunir en conférence pour prendre en considération les questions suivantes :

I. L'État de Cracovie vient de se précipiter lui-même, et sans y avoir été poussé par aucune force matérielle étrangère, dans le gouffre de la funeste conspiration qui, ayant pour objet de rétablir l'ancienne république de Pologne, avait fait de Cracovie le chef-lieu provisoire du gouvernement révolutionnaire qui devait diriger les mouvements d'exécution de cette entreprise.

11. Le rétablissement de cet État, tel qu'il avait été fondé par les traités du 21 avril (3 mai 1815), signés entre les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie, serait-il compatible avec la sûreté de leurs monarchies?

III. Si l'examen de cette question prouve l'impossibilité absolue de ce rétablissement, que faudra-t-il faire de la ville de Cracovie et de son territoire?

IV. Les trois cours ont-elles le droit exclusif de régler à elles seules, sans l'intervention d'aucune puissance, le sort futur de la ville et du territoire de Cracovie?

Pour avoir réponse à ces questions, les trois cabinets prirent la résolution de se réunir en conférence à Vienne; ils se sont trouvés, dès leur première séance, naturellement reportés à l'époque de l'année 1815, qui avait donné naissance à l'État de Cracovie et qui l'avait placé sous leur protection particulière et spéciale. Ils ont eu alors à examiner :

1o Les principes qui avaient servi de base à cette création; 2o L'usage qu'avait fait Cracovie de sa liberté pendant le cours de son existence politique, depuis l'année 1815 jusqu'au mois de février 1819;

3o Les circonstances qui ont amené sa désorganisation et accompagné sa destruction.

L'exposé qui va suivre, sous forme de récit historique, développera les faits et les motifs qui ont dicté à la conférence les résolutions qu'elle a prises.

Lors de la dissolution de l'ancien royaume de Pologne, la ville de Cracovie et le territoire qui lui fut donné avaient été, en vertu de la convention conclue à Saint-Pétersbourg le 24 octobre 1795, remis à l'Autriche. Les troupes de Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique en prirent possession le 5 janvier 1796.

Cet événement s'est accompli par l'accord établi entre les trois cours, sans l'intervention d'aucune autre puissance étrangère. Pendant quatorze ans, Cracovie et son territoire sont restés paisiblement sous la domination de Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique.

Le traité de Vienne du 14 octobre 1809 détacha Cracovie de l'Autriche, pour la donner au duché de Varsovie, appartenant alors au roi de Saxe.

Les guerres napoléoniennes en Pologne avaient amené la formation du duché de Varsovie : ce duché ne fut autre chose qu'un quatrième partage en faveur d'un quatrième occupant.

L'issue de la campagne de 1812 mit l'empereur Alexandre en possession des diverses parties du territoire qui avaient servi par leur réunion à former le duché de Varsovie.

Tous les cabinets savent comment cette occupation militaire amena la formation d'un royaume de Pologne, et comment et sous quelles conditions la ville de Cracovie fut appelée à l'existence d'un État libre et indépendant.

Après que les trois cours eurent arrêté cette détermination, consignée dans les traités du 21 avril (3 mai) 1815, les autres puissances signataires du traité de Vienne acceptèrent cette combinaison comme le résultat des négociations directes entre les trois cours, sans intervenir dans cet arrangement territorial qui leur était étranger.

Quoique les derniers événements de l'année 1846 soient suffisants pour montrer l'esprit qui domine la population de Cracovie, cet esprit sera prouvé d'ailleurs, d'une manière irrécusable, par l'examen de ce qui s'est passé dans cette ville depuis 1830. Il y avait, avant l'époque de l'insurrection du royaume de Pologne en 1830, des symptômes de fermentation dans l'État de Cracovie; l'autorité s'y montrait faible et de conduite équivoque en face de l'agitation des esprits qu'elle aurait eu le devoir d'apaiser.

Les puissances protectrices, inquiètes de cette situation, avaient pris la résolution de renforcer les troupes d'observation qu'elles avaient sur les frontières de cet État, pour être en mesure d'étouffer une explosion, si elle devait avoir lieu, et de rétablir l'ordre.

Sur ces entrefaites, vint à éclater l'insurrection de Varsovie en 1830. La disposition des esprits en fit accueillir la nouvelle avec l'enthousiasme le plus prononcé chaque fait d'armes favorable à l'armée révolutionnaire y fut célébré par des cérémonies religieuses dans les églises et par l'illumination de la ville. Mais la population de Cracovie ne se borna pas à ces démonstrations. La guerre contre la Russie y fut proclamée guerre sainte par tous ceux qui avaient droit et mission de parler au peuple. Une légion d'étudiants y fut armée et équipée pour faire cette guerre.

On prit un soin particulier pour fournir à l'armée révolutionnaire tout ce dont elle avait besoin des fabriques d'armes et de poudre furent établies, et ce que la fabrication ne pouvait pas donner fut acheté en pays étranger. Les négociants de Cracovie se chargèrent de fournir les principaux objets d'équipement pour hommes et chevaux.

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