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M. Frém. en colère. Vous mouriez de faim! Vous n'êtes pas plus

raisonnable que cela?

M. D'Orv. Hé, monsieur, c'est comme si je n'avais rien mangé, je me sens toujours le même besoin.

M. Frém., en colère. Le même besoin! N'êtes-vous pas honteux! Ne voyez-vous pas que ce sont vos entrailles qui sont irritées ? M. D'Orv. Mais, monsieur, considérez...

M. Frem, en colère. Je vous ordonne une aile de poulet, et...Allez, allez, monsieur, avec une intempérance comme celle-là, vous ne méritez pas qu'on s'attache à vous, et qu'on en prenne soin.“

M. D'Orv. Mais, je vous prie...

43

M. Frém. Non, monsieur, il faut vous mettre à la diète pendant huit jours.

M. D'Orv. Ah! monsieur Frémont !

M. Frém. À l'eau de poulet."

M. D'Orv. À l'eau de poulet ?

M. Frém. Oui, si vous ne voulez pas avoir une maladie épouvantable, une inflammation !... Ou bien, je ne vous verrai plus ; je ferai mieux.

M. D'Orv. Quoi, monsieur Frémont, vous pourriez m'abandonner? M. Frém. Oui, monsieur, si vous ne faites tout ce que je vous dirai.

M. D'Orv. Mais, monsieur, rien que de l'eau de poulet?

M. Frém. Ah, vous ne voulez pas? Adieu, monsieur.

M. D'Orv. Et non, monsieur, j'en prendrai. Allez-vous-en tous deux dire qu'on en fasse tout à l'heure.

La Brie. Oui, monsieur.

M. Frém. Non pas pour aujourd'hui; de l'eau de chiendent seulement.

M. D'Orv. De l'eau de chiendent?

M. Frém. Oui, monsieur, il faut laver."

M. D'Orv. Et vous reviendrez?

M. Frém. À cette condition-là.

M. D'Orv. Si vous me le promettez, je ferai tout ce que vous vou drez. Je vais vous suivre, jusqu'à ce que vous m'ayez donné votre parole.

M. Frém. Nous verrons comment vous vous conduirez. (Ils sortent.)Petit Répertoire.

43 You do not deserve any interest in your well-being.
44 To have any care taken of you.
45 Chicken broth.
47 Clear away.

46

Dog-grass tea.

UNE FÊTE AUX ENVIRONS DE PARIS.

"MA femme, je veux que tu t'amuses demain, et mes enfans 'aussi; c'est le diable pour te faire sortir; quand tu as été passer "deux heures le matin aux Tuileries, c'est fini, en voilà pour la "journée; tu fais rentrer tout le monde, et le soir tu crois que tu "t'es bien amusée...

"Mais, mon ami...-Mais, ma chère amie, permets-moi de "parler d'abord: il ne faut pas être égoïste et ne vivre que pour "soi. Notre fille a quinze ans passés; à cet âge-là on aime à "prendre l'air,' à se promener, et à voir autre chose que les jupons “de sa mère, quoique certainement tes jupons soient fort respec'tables...

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-"Mon ami, vous savez bien qu'il nous vient du monde, et Léonore...-Oui, je sais qu'il nous vient de la société ; entre autres “M. Bellefeuille, ce jeune peintre de genre, qui s'est jeté dans le 'romantique, parce qu'il croit que ça lui va bien de laisser croître ses favoris et d'avoir un bouquet de poil sous la lèvre inférieure. "Qu'on soit classique ou romantique, ça m'est bien égal, pourvu "qu'on gagne de l'argent. S'il aime vraiment Léonore, nous verrons : "je ne dis pas que je la lui donnerai, je ne dis pas que je la luf "refuserai... Nous avons du temps devant nous. J'en reviens à mon "projet pour demain. Il faut nous amuser; il faut aller à quelque fête

aux environs de Paris. C'est si gentil une fête de village!... Tu ne "connais pas ça, toi; tu ne veux jamais passer les barrières; et "cependant il me semble que les habitans de Paris devraient en "connaître au moins les environs; d'ailleurs la banlieue c'est encore "Paris; on y reçoit le journal à midi au lieu de huit heures, et on y "paie les lettres quatre sous au lieu de trois, voilà toute la différence; "nous avons beaucoup de gens de mérite, d'hommes à talens, tels 'que poètes, peintres, libraires, même...c'est-à-dire, anciens libraires, "qui habitent maintenant la banlieue, parce qu'on y vit à meilleur "marché; on y paie la viande un sou de moins par livre... Tu "conçois que c'est une grande économie. Sur deux cents livres de "viande qu'on prend dans l'année, on a dix francs de bénéfice.... "Il est vrai qu'on dépense bien vingt-cinq francs en voitures pour "aller à Paris faire ses courses... mais c'est égal, c'est très-écono"mique de vivre à la campagne... nous irons demain.

1 To go out.

2

Company.

The purlieus.

A painter of scenes or sketches of life.

σε

5

"Je ne suis pas grande marcheuse, et...-Nous prendrons des "omnibus, des citadines, est-ce qu'il n'y a pas des voitures partout "à présent? bientôt on fera le tour du monde pour six sous. Tiens, "notre fils saute déjà de joie!... Ce pauvre Alexandre, comme il va "s'en donner... s'amuser à la campagne... hein?-Oh oui, papa!... "-C'est convenu; tu t'arrangeras pour être au moins prête à midi, car il ne faut pas se mettre en route à quatre heures du soir, quand on veut aller dîner à la campagne. Je vais m'informer où il y a "fête demain dans les environs de Paris... Une fête de village... 6 vous verrez, madame Barbeau, vous m'en direz des nouvelles."" M. Barbeau a quitté sa femme; vous croyez peut-être que c'est pour aller prendre des informations pour le lendemain, et se fixer sur l'endroit où il conduira sa famille? pas du tout. M. Barbeau n'a pas fait dix pas hors de chez lui que déjà il ne songe plus à ce qu'il a dit à sa femme et projeté pour le lendemain. Il rencontre un ami, l'aborde, lui prend le bras, lui souhaite le bonjour, et s'est informé de sa santé, tout cela sans laisser à l'ami le temps de répondre. Puis il a déjà entamé la conversation, si toutefois on peut dire conversation quand c'est toujours le même qui parle; et remarquez bien qu'au milieu de ses discours, M. Barbeau se rappelle sans cesse de nouveaux faits qui amènent de nouvelles histoires, qui nécessitent de nouveaux éclaircissemens, en sorte qu'il n'y a plus de raison pour que cela finisse; vous ne vous rappelez plus le point d'où votre parleur est parti; lui-même l'oublie souvent, car à propos d'une pièce des Variétés, il va en venir à parler de la Belgique ou des pâtés de Lesage. C'est absolument comme dans les Mille et une Nuits : une histoire en amène une autre, qui en fait arriver une foule; ensuite, tirez-vous de là si vous pouvez; et lorsque vous voulez, par hasard, placer une phrase, une réflexion, M. Barbeau vous arrête, en s'écriant: "Permettez... je n'ai pas fini."

Tout cela n'empêche pas que M. Barbeau ne soit un bon vivant, un homme tout rond, au physique comme au moral; gai, jovial, aimable même, excepté pour les bavards qui ne pourraient vivre avec lui. C'est un ancien libraire; il a connu beaucoup d'hommes d'esprit; il se rappelle un mot de l'un, un trait de l'autre; il aime à placer cela en causant. Sa conversation est amusante pour quelqu'un qui veut bien se borner à écouter. Il a fait beaucoup d'affaires; il oublie les mauvaises et ne se souvient que des bonnes. C'est un

5 Sort of omnibus: there are also some called "dames blanches,"
7 You will have something to tell me about it.
So that there can be no end to it.

How he will enjoy himself.

8 Began.

heureux caractère; ne s'inquiétant jamais d'avance, ne s'inquiétant même pas dans les momens difficiles; distrait, sans souci, voyant un bon côté dans les choses les plus fâcheuses. Lorsque ses affaires allaient mal, qu'il y avait mille raisons pour être tourmenté du présent et inquiet de l'avenir, que faisait M. Barbeau? Il sortait dès le matin de chez lui et passait sa journée à jouer au domino. Mais il est resté l'ami de tout le monde ; c'est le meilleur éloge qu'ou puisse faire de lui.

Madame Barbeau est aussi calme que son époux est vif, et, comme les extrêmes se touchent, c'est une preuve qu'ils s'accordent. Leur fille a quinze ans, elle est timide et parle peu; leur fils en a dix; il fait déjà autant de bruit que son père. Voilà toute la famille; et, le lendemain dimanche, la maman et les enfans sont habillés et prêts depuis onze heures du matin, mais il est midi passé et on attend en vain M. Barbeau qui est sorti de très bonne heure, en disant qu'il ne serait que cinq minutes absent.

Le peintre de genre est venu rendre visite à ces dames; il demande la permission d'être de la partie de campagne; il y fera quelques croquis.10

Mais le temps s'écoule, et le chef de la famille ne revient pas. La jeune fille soupire en regardant la pendule, le peintre soupire en regardant la jeune fille, et le petit garçon en regardant son pantalon neuf. Il n'y a que la maman qui conserve son air de bonne humeur : après vingt ans de ménage, on est habitué à attendre son mari.

Enfin, sur les deux heures, M. Barbeau arrive avec un petit homme sec et blême, qui salue gracieusement toute la famille pendant que notre ancien libraire s'écrie: "Me voilà !..... Figurez-vous que "j'avais tout-à-fait oublié la partie de campagne !.... J'ai rencontré "un ami avec lequel j'ai déjeûné... c'est un homme que je n'avais "pas vu depuis douze ans au moins!..... Il lui est arrivé bien des aventures depuis ce temps; il me les a contées; je vous les con"terai en route. Après le déjeûner, nous nous promenions tranquil"lement au Palais-Royal, là je rencontre Grigou que voilà; il me

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dit, en causant: Il fait très-beau, j'ai envie d'aller à la campagne. "Là-dessus je me frappe le front en m'écriant: Ah! mon Dieu! et "tout le monde qui m'attend à la maison pour aller à une fête de "village!.... J'ai proposé à Grigou de venir avec nous, il a accepté : "plus on est de fous plus on rit. Allons, ma femme, fais chercher un fiacre"... mais surtout dis à la bonne de le choisir grand." Le fiacre est arrivé. Quoiqu'il soit grand, la société ne s'y place "Hackney-coach.

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10 Sketches.

qu'avec peine, parce que M. Barbeau remplirait presque à lui seul le fond de la voiture. On s'arrange tant bien que mal," les enfans à côté de leur mère, M. Grigou presque caché derrière M. Barbeau, auquel il dit: "Je vais étouffer," tandis que celui-ci lui répond: "Vous êtes bien... tâchez de ne pas trop remuer."

"Où allons-nous ?" demande le cocher. À cette question, fort naturelle, chacun se regarde, et madame Barbeau dit à son mari : "Eh bien, mon ami, où allons-nous ?"

"Le diable m'emporte si j'en sais rien !..... Cocher, où y a-t-il "une fête champêtre aujourd'hui ?”

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Le cocher réfléchit quelque temps, puis répond: "Dam! il y a "Tivoli... la Chaumière...-Ce n'est pas ça, nous voulons aller à la campagne, dans un endroit où l'on s'amuse.-Ah! c'est différent... "Voulez-vous que je vous mène aux Batignolles, chez le père "Latuille.-Nous connaissons le père Latuille; on dîne bien chez "lui, mais ce n'est pas assez champêtre.-Je crois que c'est la fête "à Belleville.-Va pour Belleville. En route."

"Mais," dit M. Grigou, en essayant de sortir un peu de dessous M. Barbeau, "Belleville n'est pas très-champêtre.... c'est comme un faubourg de Paris, nous ferions mieux...-Allons, vous voilà déjà "d'un autre avis que les autres, vous; on doit s'amuser à Belleville, nous verrons la fête... Laissez-vous donc conduire, et ne remuez "pas tant."

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Le petit homme ne dit plus rien; il tâche seulement d'avoir une main libre afin de pouvoir tirer son mouchoir de sa poche pour s'essuyer le visage. Pendant toute la route M. Barbeau a conté les aventures de l'ami qu'il a rencontré le matin.

On l'a laissé parler sans l'interrompre la famille en a l'habitude. Le jeune peintre regarde Léonore en ayant l'air d'écouter le papa; quant à l'ami Grigou, il ne se contente pas toujours du rôle d'auditeur; il aime aussi à conter son histoire, à dire son mot; mais, en voiture, il laissepar ler Barbeau, en se disant: "J'aurai mon tour "dans les champs."

On arrive à Belleville. Le cocher arrête devant l'Ile-d'Amour. La société descend, renvoie le fiacre et se promène quelques instans dans la grande rue du village en y cherchant quelque chose qui annonce une fête. Mais tout est fort tranquille, il n'y a pas une boutique de pain d'épice et de mirlitons." La maman se promène gravement en tenant le bras de sa fille; le petit garçon marche au 18 They settle themselves as well as they can. 18 I shall be smothered.

14 Cheesecakes.

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