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Tantôt leurs couches alongées
S'étendent en vastes niveaux,
Comme des côtes qu'ont rongées
Le temps, la tempête et les eaux;
Des rochers pendent en ruine
Sur ces océans que domine
Leur flanc, tout sillonné d'éclairs;
L'œil, qui mesure ces rivages,
Voit étinceler sur leurs plages
L'écume flottante des mers.

Tantôt en montagnes sublimes
Ils dressent leurs sommets brûlans,
La lumière éblouit leurs cimes,
Les ténèbres couvrent leurs flancs,
Des torrens jaunis les sillonnent,
De brillans glaciers les couronnent,
Et, de leur sommet qui fléchit,
Un flocon que le vent assiége,
Comme une avalanche de neige
S'écroule à leurs pieds, qu'il blanchit.

Là leurs gigantesques fantômes
Imitent les murs des cités,

Les palais, les tours et les dômes
Qu'ils ont tour à tour visités;
Là s'élèvent des colonnades,
Ici, sous de longues arcades
Où l'aurore enfonce ses traits,
Un rayon qui perce la nue

Semble illuminer l'avenue
De quelque céleste palais !

Mais, sous l'aquilon qui les roule
En mille plis capricieux,

Tours, palais, temples, tout s'écroule,

Tout fond dans le vide des cieux;
Ce n'est plus qu'un troupeau candide,
Qu'un pasteur invisible guide
Dans les plaines de l'horizon;
Sous ces pas l'azur se dévoile,

Et le vent, d'étoile en étoile,
Disperse leur blanche toison!

Redescendez, mes yeux, des célestes campagnes;
Voyez sur ces rochers que l'écume a polis,
Voyez étinceler aux flancs de ces montagnes,
Tous ces torrens sans source et ces fleuves sans lits.

La cascade qui pleut dans le gouffre qui tonne,
Frappe l'air assourdi de son bruit monotone;
L'œil fasciné la cherche à travers les rameaux;
L'oreille attend en vain que son urne tarisse,
De précipice en précipice,

Débordant, débordant à flots toujours nouveaux,
Elle tombe, et se brise, et bondit, et tournoie,
Et du fond de l'abîme où l'écume se noie,
Se remonte elle-même en liquides réseaux,
Comme un cygne argenté qui s'élève et déploie
Ses blanches ailes sur les eaux !

Que j'aime à contempler dans cette anse écartée,
La mer qui vient dormir sur la grève argentée,
Sans soupir et sans mouvement!

Le soir retient ici son haleine expirante,
De crainte de ternir la glace transparente
Où se mire le firmament.

De deux bras arrondis, la terre qui l'embrasse,
À la vague orageuse interdit cet espace,

Que borde un cercle de roseaux;

Et d'un sable brillant une frange plus vive,
Y serpente partout entre l'onde et la rive,
Pour amollir le lit des eaux !

Là tremblent dans l'azur les muettes étoiles,
Là dort le mât penché, dépouillé de ses voiles,
Là quelques pauvres matelots

Sur le pont d'un esquif, qu'a fatigué la lame,
De leurs foyers flottans ont rallumé la flamme
Et vont se reposer des flots.

De colline en colline, et d'étage en étage,
Les monts, dont ce miroir fait onduler l'image,

Descendent jusqu'au lit des mers;

Et leurs flancs, hérissés d'une sombre verdure,
Par le contraste heureux de leur noire ceinture,
Y font briller des flots plus clairs.

Le chêne aux bras tendus penche son tronc sur l'onde, Le tortueux figuier dans la mer qui l'inonde,

Baigne, en pliant, ses lourds rameaux; Et la vigne y jetant ses guirlandes trempées, Laisse pendre et flotter ses feuilles découpées, Où tremblent les reflets des eaux.

La lune, qui se penche au bord de la vallée,
Distille un jour égal, une aurore voilée,

Sur ce golfe silencieux;

La mer n'a plus de flots, les bois plus de murmure, Et la brise incertaine y flotte à l'aventure,

Ivre des parfums de ces lieux!

Sur ce site enchanté, mon âme qu'il attire,
S'abat comme le cygne, et s'apaise et soupire
À cette image du repos;

Que ne peut-elle, ô mer! sur tes bords qu'elle envie,
Trouver, comme la vague, un golfe dans la vie,
Pour s'endormir avec tes flots!

Mais quel bruit m'arrache à ce songe? C'est l'airain frémissant dans les tours des cités, Le roulement des chars qu'un sourd écho prolonge, Le marteau qui retombe à coups précipités, L'enclume qui gémit, les coursiers qui hennissent, Les instrumens guerriers qui tonnent ou frémissent, Des pas, des cris, des chants, des murmurs confus, Et des vaisseaux partans les roulantes volées, Et des clameurs entremêlées

De silences interrompus!

L'air chargé de ces sons, qu'il emporte sur l'onde,
Et que chaque minute étouffe et reproduit,
Semble, comme une mer où la tempête gronde,
Rouler des flots de voix et des vagues de bruit!

Voilà donc le séjour d'un peuple, et le murmure

De ces innombrables essaims,

Que la terre produit et dévore à mesure,

De leur vaine existence, hélas! encor si vains!
Tandis que la nature et les astres sommeillent

Dans un repos silencieux,

Aux lueurs des flambeaux, ces insectes qui veillent,
Troublent seuls de leur bruit les mystères des cieux!
Ils veillent, et pourquoi ? pour que je les entende,
Pour que le bruit qu'ils font revienne les frapper,
Pour que leur pas résonne et leur nom se répande,
Pour se tromper eux-mêmes, ô mort! et te tromper!

Oui, du haut de ce tertre où mon pied les domine,
Je les entends encor! mais si je fais un pas,
Si je double le cap, ou franchis la colline,
Ce grand bruit, expirant sur la plage voisine,
Sera comme s'il n'était pas !

DE LAMARTINE, Harmonies Poétiques.

NAPOLÉON INCOGNITO CHEZ LA MARCHANDE DE VASES.

Voici une histoire qui arriva dans ce même temps, et que je veux raconter, parce qu'elle place Napoléon dans un de ces jours lumineux qui lui sont propres.

On sait que Napoléon aimait à courir le matin accompagné seulement du duc de Frioul, et que surtout son grand plaisir était de n'être pas reconnu... Un jour, dans le mois de mars ou d'avril, il sort du Palais Elysée Bourbon, où il était alors, et Duroc et lui prennent ensemble le chemin des boulevards par le plus beau jour d'un printemps chaud et parfumé. Il était six heures du matin; arrivés sur le boulevard, l'empereur observa en riant que leur course était trop matinale. Toutes les boutiques étaient encore fermées...

Il ne faut pas faire l'Aaroun-al-Raschild' d'aussi bonne heure, dit-il ; c'était d'ailleurs la nuit, je crois, que celui-ci faisait ses courses de surprise avec son fidèle Giaffar...

Et tout en causant, en remarquant telle maison qui faisait un mauvais effet, en gênant la voie publique, et la faisant noter

1 Calife de Bagdad, qui se plaisait à courir les rues, déguisé, pour savoir ce que l'on pensait de lui.

sur le calepin' de Duroc pour que Fontaine3 en fut instruit par lui à leur premier travail, ils arrivèrent au passage du Panorama... Là, quelques boutiques venaient de s'ouvrir... L'une d'elles attira l'empereur plus qu'une autre: c'était celle du fameux magasin d'albâtre de Florence. Il était, comme il est encore aujourd'hui, tenu par M. L... et sa sœur. Touts deux sont Suisses.

Il n'y avait dans le magasin, dans ce moment, qu'une servante qui balayait, et même si gauchement, dans la crainte de casser quelquechose, que l'empereur ne put s'empêcher de la regarder long-temps, et de rire ensuite du rire joyeux d'un jeune écolier...

-Ah çà! dit-il enfin, qui donc tient ce magasin? On ne voit ici ni maîtresse ni maître.

-Voulez-vous donc acheter quelque chose? dit la servante en suspendant son travail, et regardant l'empereur en s'appuyant sur son balai, et posant son menton sur ses deux mains.

Elle avait un air assez moqueur, et, dans le fait, elle n'avait aucun tort, car jamais on ne verra, selon moi, une plus étrange physionomie que celle de Napoléon dans son costume d'Aaroun-al-Raschild, comme lui-même l'appelait.

Il portait toujours la fameuse redingote grise. Ce n'était pas là le singulier... c'est la façon de la redingote... Jamais l'empereur n'avait voulu être serré, ni même gêné dans ses habits, ce qui fait que ses tailleurs lui faisaient des habits et des redingotes qui lui allaient comme s'ils avaient pris mesure sur une guérite' pour la largeur et la longueur. Lorsqu'il se maria, le roi de Naples le fit consentir à se laisser habiller par ses tailleurs... L'empereur y tint assez courageusement les premiers jours, mais ensuite il cria au supplice, et demande merci. Il donna la question à décider" à l'impératrice, qui, pourvu qu'on lui laissât ses courses à cheval et ses quatres ou six repas, était de bonne humeur et de l'avis de tout le monde... Elle accorda en conséquence à l'empereur toute facilité pour s'habiller à sa mode et surtout à sa guise, disant qu'elle aimait l'empereur autant d'une manière que de l'autre... Je crois qu'elle ne mentait pas, et qu'elle voulait seulement dire qu'elle ne l'aimait pas plus d'une manière que de l'autre.

Avec cette redingote, faite ainsi que je viens de le dire, il avait un chapeau rond posé sur ses yeux, parcequ'il ne voulait pas être reconnu, et le chapeau planté tout droit. Cette redingote boutonnée 3 Architecte des Batiments Impériaux. 5 Hearty schoolboy laugh.] 8 Fitted him.

2 Memorandum-book.

• The first time they transacted business.

6

Tight.

7 Confined.

'Just as if they had taken measure of a sentry-box.
" He referred the matter to the decision of.

10 Bore it.

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