Tantôt leurs couches alongées Tantôt en montagnes sublimes Là leurs gigantesques fantômes Les palais, les tours et les dômes Semble illuminer l'avenue Mais, sous l'aquilon qui les roule Tours, palais, temples, tout s'écroule, Tout fond dans le vide des cieux; Et le vent, d'étoile en étoile, Redescendez, mes yeux, des célestes campagnes; La cascade qui pleut dans le gouffre qui tonne, Débordant, débordant à flots toujours nouveaux, Que j'aime à contempler dans cette anse écartée, Le soir retient ici son haleine expirante, De deux bras arrondis, la terre qui l'embrasse, Que borde un cercle de roseaux; Et d'un sable brillant une frange plus vive, Là tremblent dans l'azur les muettes étoiles, Sur le pont d'un esquif, qu'a fatigué la lame, De colline en colline, et d'étage en étage, Descendent jusqu'au lit des mers; Et leurs flancs, hérissés d'une sombre verdure, Le chêne aux bras tendus penche son tronc sur l'onde, Le tortueux figuier dans la mer qui l'inonde, Baigne, en pliant, ses lourds rameaux; Et la vigne y jetant ses guirlandes trempées, Laisse pendre et flotter ses feuilles découpées, Où tremblent les reflets des eaux. La lune, qui se penche au bord de la vallée, Sur ce golfe silencieux; La mer n'a plus de flots, les bois plus de murmure, Et la brise incertaine y flotte à l'aventure, Ivre des parfums de ces lieux! Sur ce site enchanté, mon âme qu'il attire, Que ne peut-elle, ô mer! sur tes bords qu'elle envie, Mais quel bruit m'arrache à ce songe? C'est l'airain frémissant dans les tours des cités, Le roulement des chars qu'un sourd écho prolonge, Le marteau qui retombe à coups précipités, L'enclume qui gémit, les coursiers qui hennissent, Les instrumens guerriers qui tonnent ou frémissent, Des pas, des cris, des chants, des murmurs confus, Et des vaisseaux partans les roulantes volées, Et des clameurs entremêlées De silences interrompus! L'air chargé de ces sons, qu'il emporte sur l'onde, Voilà donc le séjour d'un peuple, et le murmure De ces innombrables essaims, Que la terre produit et dévore à mesure, De leur vaine existence, hélas! encor si vains! Dans un repos silencieux, Aux lueurs des flambeaux, ces insectes qui veillent, Oui, du haut de ce tertre où mon pied les domine, DE LAMARTINE, Harmonies Poétiques. NAPOLÉON INCOGNITO CHEZ LA MARCHANDE DE VASES. Voici une histoire qui arriva dans ce même temps, et que je veux raconter, parce qu'elle place Napoléon dans un de ces jours lumineux qui lui sont propres. On sait que Napoléon aimait à courir le matin accompagné seulement du duc de Frioul, et que surtout son grand plaisir était de n'être pas reconnu... Un jour, dans le mois de mars ou d'avril, il sort du Palais Elysée Bourbon, où il était alors, et Duroc et lui prennent ensemble le chemin des boulevards par le plus beau jour d'un printemps chaud et parfumé. Il était six heures du matin; arrivés sur le boulevard, l'empereur observa en riant que leur course était trop matinale. Toutes les boutiques étaient encore fermées... Il ne faut pas faire l'Aaroun-al-Raschild' d'aussi bonne heure, dit-il ; c'était d'ailleurs la nuit, je crois, que celui-ci faisait ses courses de surprise avec son fidèle Giaffar... Et tout en causant, en remarquant telle maison qui faisait un mauvais effet, en gênant la voie publique, et la faisant noter 1 Calife de Bagdad, qui se plaisait à courir les rues, déguisé, pour savoir ce que l'on pensait de lui. sur le calepin' de Duroc pour que Fontaine3 en fut instruit par lui à leur premier travail, ils arrivèrent au passage du Panorama... Là, quelques boutiques venaient de s'ouvrir... L'une d'elles attira l'empereur plus qu'une autre: c'était celle du fameux magasin d'albâtre de Florence. Il était, comme il est encore aujourd'hui, tenu par M. L... et sa sœur. Touts deux sont Suisses. Il n'y avait dans le magasin, dans ce moment, qu'une servante qui balayait, et même si gauchement, dans la crainte de casser quelquechose, que l'empereur ne put s'empêcher de la regarder long-temps, et de rire ensuite du rire joyeux d'un jeune écolier... -Ah çà! dit-il enfin, qui donc tient ce magasin? On ne voit ici ni maîtresse ni maître. -Voulez-vous donc acheter quelque chose? dit la servante en suspendant son travail, et regardant l'empereur en s'appuyant sur son balai, et posant son menton sur ses deux mains. Elle avait un air assez moqueur, et, dans le fait, elle n'avait aucun tort, car jamais on ne verra, selon moi, une plus étrange physionomie que celle de Napoléon dans son costume d'Aaroun-al-Raschild, comme lui-même l'appelait. Il portait toujours la fameuse redingote grise. Ce n'était pas là le singulier... c'est la façon de la redingote... Jamais l'empereur n'avait voulu être serré, ni même gêné dans ses habits, ce qui fait que ses tailleurs lui faisaient des habits et des redingotes qui lui allaient comme s'ils avaient pris mesure sur une guérite' pour la largeur et la longueur. Lorsqu'il se maria, le roi de Naples le fit consentir à se laisser habiller par ses tailleurs... L'empereur y tint assez courageusement les premiers jours, mais ensuite il cria au supplice, et demande merci. Il donna la question à décider" à l'impératrice, qui, pourvu qu'on lui laissât ses courses à cheval et ses quatres ou six repas, était de bonne humeur et de l'avis de tout le monde... Elle accorda en conséquence à l'empereur toute facilité pour s'habiller à sa mode et surtout à sa guise, disant qu'elle aimait l'empereur autant d'une manière que de l'autre... Je crois qu'elle ne mentait pas, et qu'elle voulait seulement dire qu'elle ne l'aimait pas plus d'une manière que de l'autre. Avec cette redingote, faite ainsi que je viens de le dire, il avait un chapeau rond posé sur ses yeux, parcequ'il ne voulait pas être reconnu, et le chapeau planté tout droit. Cette redingote boutonnée 3 Architecte des Batiments Impériaux. 5 Hearty schoolboy laugh.] 8 Fitted him. 2 Memorandum-book. • The first time they transacted business. 6 Tight. 7 Confined. 'Just as if they had taken measure of a sentry-box. 10 Bore it. |