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dernier regard, et lui dit: "Souffrez cet outrage comme une der"niere ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense." À ces mots, la victime résignée et soumise se laisse lier et conduire à l'échafaud. Tout à coup Louis fait un pas, se sépare des bourreaux, et s'avance pour parler au peuple. "Français," dit-il d'une voix forte, "je meurs innocent des crimes qu'on m'impute; je par"donne aux auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne "retombe pas sur la France." Il allait continuer, mais aussitôt l'ordre de battre est donné aux tambours ; leur roulement couvre la voix du prince, les bourreaux s'en emparent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles: Fils de Saint Louis, montez au ciel !-A peine le sang avait-il coulé que des furieux y trempent leurs piques et leurs mouchoirs, se répandent dans Paris, en criant: vive la république, vive la nation, et vont jusqu'aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multitude manifeste à la naissance, à l'avénement, à la chute de tous les princes.-THIERS, Révolution Française.

FRAGMENTS DE JOCELYN.

(SUITE.)

Deuxième Epoque.

Séminaire de ***, 15 Février 1793.

Tandis que nous vivons au fond d'un monde à part,
En Dieu seul, pour Dieu seul, et sous son seul regard,
L'autre monde animé d'un autre esprit de vie,
Ou d'un souffle de mort, de colère et d'envie,
Mugit autour de nous, et jusqu'en ce saint lieu,
Poursuit de ses fureurs les serviteurs de Dieu.
Un grand peuple agité par l'esprit de ruine,
Fait écrouler sur lui tout ce qui le domine;
Il veut renouveler, trône, autels, mœurs et lois :
Dans la poudre et le sang tout s'abîme à la fois.
Oh! pourquoi suis-je né dans ces jours de tempête,
Où l'homme ne sait pas où reposer sa tête?
Où la route finit, où l'esprit des humains
Cherche, tâtonne, hésite entre mille chemins,
Ne pouvant ni rester sous un passé qui croule,
Ni jeter d'un seul jet l'avenir dans son moule ?
Métal extravasé qui bouillonne et qui fuit,
Court, ravage et renverse, et dévore et détruit.

On dit que le pouvoir aux mains du roi se brise,
Et qu'en mille lambeaux le peuple le divise;
Le peuple, enfant cruel qui rit en détruisant,
Qui n'éprouve jamais sa force qu'en brisant,
Et qui, suivant l'instinct de son brutal génie,
Ne comprend le pouvoir que par la tyrannie!
Force aveugle que Dieu lâche de temps en temps,
Ainsi que l'avalanche, ainsi que les autans,

Pour donner à l'éther un courant plus rapide,

Pour frapper un grand coup et pour faire un grand vide !

25 Février 1793.

O jours! jours de douleur, de silence et d'effroi !
La terre du royaume a bu le sang du roi,

Et le sang des sujets massacrés par centaines,
Coule dans les ruisseaux comme l'eau des fontaines;
Tout ce qui porte un nom, ou génie ou vertu,
Sous le niveau du crime est soudain abattu;
Le doigt du délateur au bourreau fait un signe,
La seule loi du peuple est la mort au plus digne !
Sa hache aime le juste et choisit l'innocent!
L'innocence est son crime! O peuple ivre de sang,
Tu détruis de tes mains l'erreur qui nous abuse,
Et de tous tes tyrans ton exemple est l'excuse!

Séminaire de ***, 1793.

Ainsi me voilà seul, orphelin dans ce monde !
Ma mère avec mes sœurs sont errantes sur l'onde ; ;

Elles vont, au hasard des vents et de la mer,

D'un parent inconnu chercher le pain amer,

Et sur un continent peuplé de solitudes,

Changer de ciel, d'amis, de cœur et d'habitudes!

"Fuis, pars, viens, mon enfant, dit ma mère, que Dieu

"Te porte tout l'amour qui brûle en cet adieu;
"Je n'aurai pas un jour de paix en ton absence;
"Quitte un sol dévorant qui proscrit l'innocence,
"Où la prière même est un crime mortel :
"Qu'est-il besoin de prêtre à qui n'a plus d'autel?"
Ah! ma mère, pour moi ta tendresse t'égare,
L'esprit souffle-t-il moins quand l'étincelle est rare?
N'en eussions-nous plus qu'une à rallumer ici,
Qu'une larme à sécher, dans un œil obscurci,

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Ah! c'en serait assez pour garder à la terre,
Pour couver dans nos seins le feu du sanctuaire,
Pour rester dans le temple et pour y revêtir
La robe du lévite ou celle du martyr.

Je resterai......

De la grotte des Aigles, au sommet des
Alpes du Dauphiné, 15 Avril 1793.

Gravons, au moins pour ma mémoire,

De ces deux mois, si pleins, l'épouvantable histoire.

Le peuple, soulevé sur la foi d'un faux bruit,
Force le seuil sacré, nous frappe et nous poursuit;
Il s'enivre de vin dans l'or des saints calices,
Hurle en dérision les chants des sacrifices,
Et comme s'il n'osait vierge encor le frapper,
Il viole l'autel avant de le saper.

Les prêtres, n'élevant contre eux que la prière,
Sont par leurs cheveux blancs traînés dans la poussière,
Les uns de leur vieux sang teignent ces chers pavés,
Au couteau solennel d'autres sont réservés ;
Quelques-uns comme moi, sauvés par leur jeunesse,
Par un front de vingt ans dont la grâce intéresse,
S'échappent dispersés sous les coups de fusil,
Et vont chercher plus loin le supplice ou l'exil;
Une femme me prend par la main dans le nombre,
Me guide hors des murs à la faveur de l'ombre,
Me montre ces sommets brillans dans le lointain,
Et me dit: Mon enfant, fuyez, voici du pain.
Je fuis pendant sept nuits à travers les campagnes,
En dirigeant toujours mes pas sur les montagnes;
Le jour pour sommeiller, me couchant sur les blés,
La nuit loin des sentiers hâtant mes pas troublés,
J'arrive au pied des monts, je traverse à la nage
Des torrens dont le flot me jette à l'autre plage.
Un chasseur me découvre à la voix de ses chiens,
Il change par pitié ses habits pour les miens.
Je commence à gravir ces gradins de collines
Où les Alpes du nord enfoncent leurs racines,
Immense piedestal par sa masse abaissé,

Qui sous le poids des monts semble s'être affaissé,

Et dans l'encaissement des roches éboulées,
Cache les lacs profonds et les noires vallées.
Je remonte le cours de leurs mille ruisseaux

Qui passent en lançant leur fumée au lieu d'eaux;
J'avance en frissonnant sous l'arche des cascades,
Les pins m'ouvrent plus loin leurs hautes colonnades,
Je les franchis; j'arrive à ces prés suspendus

Sur la croupe des monts, verts tapis étendus,
Où les châlets des bois bordent les précipices.
Un vieux pâtre y gardait un troupeau de génisses;
Les yeux vers le soleil couchant, entre ses doigts
Il roulait sans me voir un rosaire de bois.
Cet aspect rend l'audace à mon ame attendrie,
Je suis sûr d'un ami dans tout homme qui prie.
Je l'aborde soudain, sans crainte, au nom de Dieu;
Il se trouble en voyant un vivant en ce lieu;
Il croit voir un coupable en moi, je le rassure,
Il écoute en pleurant ma touchante aventure,
Etend la feuille morte en lit sous le châlet,
Et partage avec moi son pain noir et son lait.
Le lendemain matin il dit:-"Soyez en joie.
"Je ne renverrai pas celui que Dieu m'envoie ;
"Voyageant, suivant l'herbe et suivant la saison,
"Mes vaches ont fini de paître ce gazon,

"Demain je vais chercher d'autres vertes montagnes ;
"Mais lors qu'après l'hiver nous montons des campagnes,
"On nous donne en partant du pain pour tout l'été ;
"Tout ce pain est à vous, car vous l'avez goûté.
"Les bergers dont souvent j'ai nourri la détresse,
"Remplaceront pour moi celui que je vous laisse ;
"Mais vous ne pouvez pas me suivre au milieu d'eux,
"Ils se demanderaient pourquoi nous sommes deux.
"Vos blonds cheveux n'ont pas durci dans les tempêtes;
"La blancheur de vos mains leur dirait qui vous êtes ;
"Vous ne pouvez non plus rester sous ce châlet,
"On le voit de trop loin fumer sur la forêt;
"Des soldats du bourreau ces routes sont connues,
"Ils montent quelquefois jusque parmi ces nues
"Pour venir de plus haut, sous leurs serres surpris,
"Comme l'oiseau de proie, épier les proscrits.

"Mais venez, je connais une grotte profonde

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Qu'aucun autre que moi ne connaît dans le monde

"Rien n'y peut parvenir que l'éclair et le vent, "Et l'aigle que j'allais y dénicher souvent,

"Quand, dans mon jeune temps le suivant sur ces cimes, "Mon pied comme mon œil se jouait des abîmes.

J'y puis monter encore avec l'aide de Dieu;

"C'est pour vous que sa main m'a découvert ce lieu;
"Vous y vivrez de peu, mais sans inquiétude,
"Si votre ange suffit à votre solitude.

"On y peut puiser l'eau dans le creux de sa main,
"Et quand je penserai que vous manquez de pain,

"Tous les deux ou trois mois, sans qu'on puisse me suivre "J'apporterai de loin ce qu'il vous faut pour vivre.

Remarquez bien la gueule ouverte à ce rocher, "Venez de temps en temps sous la brune y chercher; "Car lorsque je viendrai vous porter votre vie, "Je n'irai pas plus loin de peur qu'on ne m'épie."

Nous partons; nous posons nos pieds audacieux
Où le chasseur des monts n'ose poser ses yeux;
Nous enlaçons nos doigts crispés aux fils du lierre,
Aux cheveux de la plante, aux angles de la pierre ;
Du rocher chancelant qui s'enfuit sous nos pas,
Le bruit sourd et profond monte à peine d'en bas,
Et des eaux du glacier dont la poudre s'élève,

Le vent nous frappe au front comme le froid d'un glaive;
Devant l'abîme noir que ces eaux ont fendu,
Mon pied cloué d'horreur s'arrête suspendu ;
Du noir pilier des monts la colonne d'écume
Tombe en rejaillissant dans le gouffre qui fume,
Hurle dans sa ruine avec tous ses ruisseaux,
Remonte en blancs flocons, retombe en verts lambeaux,
Et remplit tout le vide, où flotte en bas sa foudre,
De vent, de bruit, de flots, de vertige et de poudre ;
Un seul débris de roc, que le fleuve a broyé,
Tremblant aux coups de l'onde et d'écume noyé,
Comme un vaste arc-en-ciel appuyé sur deux cimes,
Se dresse en voûte immense et franchit ces abîmes ;
Mon guide fait sur lui le signe de la croix,
Tâte d'un pied douteux les fragiles parois,
S'élance; je le suis; sous cette arche profonde,
Nous voyons à cent pieds cet ouragan de l'onde

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