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Je me suis rassis, muet et plus désespéré de toute l'espérance que j'avais eue.

Derniers Jours d'un Condamné.

Ce petit ouvrage de Victor Hugo a paru à Paris à l'époque où l'on s'y occupait beaucoup de l'abolition de la peine de mort. L'extrait qu'on vient d'en lire offre une scène ridicule; mais nous y reviendrous, et nous en tirerons des morceaux pleins d'âme et d'intérêt.

LA LUNE..

ASTRE aux rayons muets, que ta splendeur est douce,
Quand tu cours sur les monts, quand tu dors sur la mousse,
Que tu trembles sur l'herbe ou sur les blancs rameaux,
Ou qu'avec l'alcyon tu flottes sur les eaux !

Mais pourquoi t'éveiller quand tout dort sur la terre ?;
Astre inutile à l'homme, en toi tout est mystère;
Tu n'es pas son fanal, et tes molles lueurs
Ne savent pas mûrir les fruits de ses sueurs ;
Il ne mesure rien aux clartés que tu prêtes,
Il ne t'appelle pas pour éclairer ses fêtes,
Mais, fermant sa demeure aux célestes clartés,
Il s'éclaire de feux à la terre empruntés.
Quand la nuit vient t'ouvrir ta modeste carrière,
Tu trouves tous les yeux fermés à ta lumière,
Et le monde insensible à ton morne retour,
Froid comme ces tombeaux objets de ton amour;
À peine sous ce ciel où la nuitit tes traces,
Un ceil s'aperçoit-il seulement que tu passes,
Hors un pauvre pêcheur soupirant vers le bord,
Qui, tandis que le vent le berce loin du port,
Demande à tes rayons de blanchir la demeure,
Où de son long retard ses enfans comptent l'heure ;
Ou quelque malheureux qui, l'œil fixé sur toi,
Pense au monde invisible et rêve ainsi que moi!

Ah! si j'en crois mon cœur et ta sainte influence,
Astre ami du repos, des songes, du silence,
Tu ne te lèves pas seulement pour nos yeux;
Mais du monde moral flambeau mystérieux,
À l'heure où le sommeil tient la terre oppressée,
Dieu fit de tes rayons le jour de la pensée !
Le jour inspirateur et qui la fait rêver,
Vers les choses d'en-haut l'invite à s'élever;

Tu lui montres de loin, dans l'azur sans limite,
Cet espace infini que sans cesse elle habite;
Tu luis entre elle et Dieu comme un phare éternel,
Comme ce feu marchant que suivait Israël;
Et tu guides ses yeux de miracle en miracle,
Jusqu'au seuil éclatant du divin tabernacle,
Où celui dont le nom n'est pas encore trouvé,
Quoiqu'en lettres de feu sur les sphères gravé,
Autour de sa splendeur multipliant les voiles,
Sème derrière lui ces portiques d'étoiles !

Luis donc, astre pieux, devant ton créateur!
Et si tu vois celui d'où coule ta splendeur,
Dis-lui que sur un point de ces globes funèbres
Dont tes rayons lointains consolaient les ténèbres,
Un atome perdu dans son immensité,
Murmurait dans la nuit son nom à ta clarté!

DE LAMARTINE, Harmonies Poétiques.

LE GRENADIER MOURANT.

"VOILÀ comme sont les bons enfans de l'armée," ajoutait le Colonel Chancloux : ils se moquent du soleil et de la neige comme des boulets de canon. J'étais à côté de cet enragé de grenadier, qui, plus d'à-moitié égrugé par la mitraille, qui pleuvait à la bataille d'Ulm, criait encore plus fort que les autres, 'En avant! en avant!' Le Petit Caporal,' étonné d'entendre répéter ce cri avec rage par un pauvre diable, étendu par terre et couvert de sang, s'approche, lui jette son manteau, et lui dit, Tâche de me le rapporter, je te donnerai en échange la croix d'honneur, que tu viens de gagner.'' Ce linceuil-là vaut bien la croix,' répondit le grenadier blessé. Et puis, le pauvre diable, faisant un effort pour se soulever, s'enveloppa dans le manteau de l'Empereur et retomba mort. Mais à peine les Autrichiens eurent-ils leur compte, que le Petit Caporal fit relever le grenadier vétéran. Il voulut qu'il fût enterré dans le manteau impérial. Si vous aviez vu la fierté de ces vieux bonnets à poil en portant leur camarade dans ce beau drap mortuaire! Il n'y en avait pas un qui ne se fût fait mitrailler de bon cœur pour en avoir un pareil.. Eh bien!" ajoutait le brave Chancloux, "c'est avec de petites farces comme celles-là que ce diable d'homme nous ferait tous escalader la lune si cela lui faisait plaisir."

Un Mariage sous l'Empire. • Old grenadiers.

1 Nickname given by the army to Bonaparte.

LE NOUVEL AN.

UNE nouvelle année chasse l'autre et se met à sa place; c'est presque une révolution; tout le monde s'en émeut; l'enfance n'en dort pas, et les grandes personnes sont dans l'enfance à cette époque.

Bien souvent c'est aux cadeaux que vous faites qu'on mesure l'attachement qu'on aura pour vous, et votre bourse peut vous dire si vous avez les moyens d'avoir tel ou tel ami au début de l'an 1837. Depuis Noël, que de cadeaux faits ou à faire! que d'argent en circulation! quelle diversité dans les goûts!

Les confiseurs ont étalé le luxe des douceurs et ébloui nos yeux des tours de force des bonbons. Nous avons vu la ville de Bilbao en sucre candi, Alger en chocolat, don Miguel en caramel, et la Reine d'Espagne en compote. Grâce au premier de l'an, tout cela se suce, tout cela se fond, tout cela se digère, et ce ne sont pas les petits, mais bien les grands enfants qui en font la plus forte consommation.— Journal de Cherbourg.

LES DEUX MANSARDES, OU LE BONNET D'ÉTRENNES.'

OUVREZ, ma mère! Ouvrez vite. C'est votre Louise qui vient vous donner le bonjour....

Ainsi s'exprimait une jeune fille, en agitant d'une main impatiente la porte mal close, fermant une chétive mansarde3 située au sixième étage d'une maison du faubourg St. Jacques. Ses joues vermeilles, son sein violemment agité, attestaient la précipitation qu'elle avait mise à franchir les cent soixante huit marches de l'escalier, afin d'arriver plus tôt où l'appelait son amour pour sa mère. Que de poésies dans cette figure animée! Quelle pose touchante dans ce corps si souple, si plein de grâces naturelles, légèrement incliné vers l'ouverture, comme tout prêt à s'élancer dans l'intérieur du logis, dès que s'ouvrirait la barrière qui retenait son élan. Bonne Louise! Jouis de tes jours d'innocence et de bonheur. Un baiser de ta mère est tout ce que tu désires; ta jeune âme, heureuse de ce maternel hommage, n'entrevoit pas la passagère et triste faveur que l'inconstance ou l'hypocrite flatterie pourrait bien imprimer un jour sur ton front si pur.

Bientôt un pas lourd et lent, un froissement de hardes,' annon

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cèrent à Louise que sa mère quittait son lit pour se rendre à ses vœux. Cet apprêt fut long, car le jour paraissait à peine, et ce n'était qu'en tâtonnant, çà et là, que Mad. Dubreuil parvenait à se munir de quelques pièces de son yêtement. Enfin la porte s'ouvrit en faisant crier les planches mal jointes dont elle était formée.

D'un seul bond, Louise fut dans les bras de la vieille dame, qui pressa fortement sur son cœur cette enfant si chère, lui restant seule au monde pour la consoler dans ses maux et l'aider à supporter leur poids affreux.

Bonjour! bon an! ô ma mère, s'écria Louise, en se dégageant de cette étreinte maternelle pour s'incliner sous la main tremblante et vieillie qui se posait sur sa tête charmante.

Et puis s'écoula un moment de recueillement ; l'un de ces instants si profondément sentis, mais si difficiles à décrire, où la bonne mère appelle sur un être adoré toutes les bénédictions du ciel, tandis que la voix innocente d'une jeune fille murmure tout bas, en implorant son Dieu, la prière filiale que lui dicte un cœur pur.

À voir cet air de bonheur répandu sur la figure naïve de la pauvre Louise, à la regarder sourire d'une manière si touchante, à l'entendre prier avec tant de calme et d'amour, sans doute on n'aurait pu croire que, la veille de ce jour si beau pour elle, bien des larmes avaient inondé son frais et joli visage, que bien des regrets avaient précédé le plaisir qu'elle éprouvait en ce moment. Mais Louise ne songeait plus à ses chagrins; le premier janvier s'était levé radieux pour son bon cœur. C'était la première fois qu'elle pouvait offrir à sa vieille grand'mère quelques-unes de ces douceurs que réclamaient l'âge et les besoins de l'infortunée Mad. Dubreuil, et le cruel sacrifice avait disparu pour faire place au bonheur de surprendre agréablement celle qu'elle aimait. Aussi, Louise, impatiente de réaliser son rêve de toute une année, ne voulut point en retarder d'une seule minute l'exécution, et, posant mystérieusement ses doigts rosés sur l'épaule de Mad. Dubreuil,

Je vais revenir, lui dit-elle; au revoir, bonne mère !...

Et un petit signe de tête, un ton heureux et dégagé avaient accompagné ces paroles dont la vieille dame cherchait à deviner le sens, pendant que Louise s'échappait, triomphante, après s'être munie d'un vase de terre, adroitement dérobé aux yeux de Mad. Dubreuil.

Restée seule et debout à la même place, la pauvre grand❜mère laissait errer ses yeux éteints sur le seuil que venait de franchir 7 Calm silence. 8 Free.

• Groping.

l'agile et bonne Louise, ne pouvant s'imaginer ce qu'allait faire pour elle cette enfant dénuée de tous moyens, et dont le faible gain suffisait à peine pour soutenir les derniers fils de sa frêle existence. En effet, Louise restait seule à Mad. Dubreuil, de toute une famille succombée tour à tour sous le poids des revers qui avaient foudu sur elle. Seule aussi, Louise vivait pour aimer et soulager cette malheureuse mère; mais, hélas! la pauvre enfant sortait à peine d'apprentissage et n'était employée que depuis deux mois à l'année dans une maison où l'on profitait de son jeune âge pour rogner encore quelque chose sur le prix modique de son travail. Ce n'était que chaque dimanche que Louise avait permission d'apporter à sa mère le montant de la semaine; faible et précieux dépôt, saintement remis chaque fois entre les mains vénérables de celle qui, en le recevant, versait toujours des larmes de reconnaissance et de regret sur ce prix d'amour, péniblement acquis par la jeune et pieuse ouvrière.

Pendant l'absence de la jeune fille, jetons un coup d'œil dans ce pauvre intérieur, afin de mieux nous initier aux maux que la misère amène à sa suite.

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Ne m'en voulez pas surtout, ô vous qui me lirez en pareil jour, si, vous arrachant aux illusions des joies du grand monde, je vous entraîne avec moi dans une pauvre mansarde, pour y visiter la vertu sous des haillons et trouver la paix qui souvent règne sous de tristes lambris." Ce n'est pas toujours le marteau doré qu'il faut heurter pour aller s'identifier avec ces sentiments de la nature. Ils brillent quelque fois d'un plus pur éclat dans le réduit obscur où le faste n'oserait les entacher de son vernis factice, ni l'usage cérémonial en étouffer l'expression. Peut-être que la mansarde de ma Louise vous fera deviner d'autres lieux de douleurs où vous attendent des bénédictions et le bonheur d'obliger des malheureux.

Dans un des coins de cette chambre élevée, on remarquait un lit à peine garni d'un matelas et recouvert d'une grosse toile offrant l'apparence de la propreté. Sur des planches," servant de buffet ou d'armoire, était quelque peu de linge blanc, rangé en ordre, et, plus loin, des poteries" parfaitement nettes et luisantes; le reste de l'ameublement" se composait de trois ou quatre chaises grossières, d'une table ronde, assez propre, et d'une large bergère1 presqu'en lambeaux. Seulement, sur les murs nus et dégradés" de cette pièce,

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