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dames de la société chantèrent les morceaux les plus saillants de l'opéra-comique à la mode. Après elles, un monsieur, dont personne ne put me dire le nom, mais qu'on croyait un célèbre artiste étranger, se plaça au piano pour y faire entendre quelque chose de sa composition. M. de Laujon lui demanda de vouloir bien chanter la chansonnette qu'il avait déjà exécutée à la société de l'archi-chancelier de l'empire; et, après un prélude gracieux, nous applaudîmes à la voix délicieuse de cet artiste spirituel, qui joignait au talent de faire des vers celui de les mettre en musique lui-même. Les accents du chanteur excitèrent une allégresse universelle; mais je remarquai que Mme de Vermont paraissait souffrir de la gaîté commune, et fit mine de vouloir se retirer. Mme. de Laincy la supplia de rester encore quelques instans; et la marquise, qui s'était aperçue de l'impression désagréable que la chansonnette avait causée à Emma, s'approcha du chanteur, et le pria de faire entendre à la société quelque chose d'un style plus sérieux. L'artiste étranger salua la marquise en signe d'assentiment, et bientôt une ritournelle expressive et tendre nous fit admirer la fléxibilité de son beau talent.

Il chantait à peine les quatre premiers vers de sa nouvelle romance, que madame de Vermont, sortant de son long accablement, bondit sur le sopha où elle était assise, et prêta au chanteur une attention extraordinaire. Le succès que cette romance mérita à son auteur fut encore plus étourdissant cette seconde fois que la première. Madame de Vermont joignit ses compliments à ceux de toutes les dames de la société, et même elle lui dit, avec une amabilité parfaite-Pourriez-vous me dire, monsieur, d'où vient cette romance que vous avez chantée avec tant de goût?

- Madame, lui dit l'étranger, elle est encore inédite, quoiqu'il y ait fort long-temps que je l'aie composée.

Elle est de vous, monsieur ? ajouta madame de Vermont avec un regard flamboyant.

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Vous prévenez mes désirs, monsieur; j'allais vous prier de vouloir bien me donner une copie des paroles. Elles m'ont plu infiniment. Vraiment, madame, c'est trop d'honneur pour moi; et demain si vous y consentez, j'aurai le plaisir de vous porter moi-même la copie que vous me demandez.

Non pas demain, monsieur, je vous en prie; car je pars pour ma terre au point du jour.

Mais, madame...

C'est ce soir que je désire la copie de votre poësie délicieuse;

refusez-vous cette petite galanterie à une dame qui la reclame de vous ?

- Non pas, madame; je suis vraiment confus de votre aimable persistance, et je suis prêt à écrire, non-seulement les paroles, mais aussi la musique, si vous le désirez.

- Le Marquis de Laujon fit passer l'etranger dans son cabinet; Emma les y suivit. Le chanteur rentra au salon sans Madame de Vermont elle s'etait échappee, fatiguée de la longue soirée que les bienséances lui avaient fait subir.

On forma un quadrille; je me plaiçai vis-a-vis de Mme de Laincy, espérant apprendre par lambaux la fin de l'àventure de la belle Arlésienne. Les violons commençaient à peine la ritournelle de la seconde figure de la contredanse, que le valet-de-chambre du marquis prononça ces mots formidables: MONSIEUR LE PROCUREURIMPERIAL.... La foudre éclatant sur nos têtes nous eût moins attérés.... L'orchestre s'arrêta tout-à-coup: chaque cavalier laissa tombér brusquement la main de sa danseuse.... un frisson glacial palit tous les visages.

Le valet-de-chambre ouvrit les deux battans du salon, et le procureur-imperial, suivi de quatre gendarmes, entra dans l'appartement. Après avoir parlé à l'oreille du marquis, il s'approcha du chanteur et lui dit: Au nom de la loi, je vous arréte! L'inconnu, qui seul avait rougi pendant toute cette scène, voulut balbutier quelques protestations, disant qu'on se méprenait, qu'il ne savait pas ce qu'on venait de lui, qu'enfin il était connu pour un homme d'honneur. Le procureur-impérial avant constaté l'identité du nom de l'inconnu avecl'acte dont il était porteur, ordonna aux gendarmes de s'emparer de sa personne, et se retira en priant l'assemblée de l'excuser d'avoir été obligé d'interrompre une fête joyeuse pour remplir un si triste devoir.

Cet incident fana les fleurs de la fête, et chacun la quitta l'ame remplie d'effroi.

IV.

Six mois après cette aventure, un homme était conduit dans l'ignoble charrette des condamnés vers la Place de Grève. Cet homme était un voleur de grand chemin, et c'ètait une bourre de fusil, sur laquelle il avait écrit le brouillon plein de ratures d'une romance, qui l'envoyait à l'echafaud!

LE COLIMAÇON.

FABLE.

Sans amis, comme sans famille,
Ici bas vivre en étranger;

Se retirer dans sa coquille

Au signal du moindre danger;

S'aimer d'une amitié sans bornes ;
De soi seul emplir sa maison;
En sortir, suivant la saison,

Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures;
Outrager lés plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin, chez soi, comme en prison,
Viellir de jour en jour plus triste ;
C'est l'histoire de l'Egoïste
Et celle du Colimaçon.

ARNAULT.

LA MISSION SECRETE, 1589.*

QUEL affreux pays! s'écria tout-à-coup le jeune Arnold, combien je regrette nos montagnes et le son joyeux des clochettes de nos troupeaux! Dis donc, Pierre? crois-tu que mon oncle se mettrait bien en colère si nous repartions et que nous lui disions que la cour ne nous a pas plu ?-Par notre Dame d'Einsiedeln! s'écria le vieux soldat effrayé, gardez-vous de pareilles pensées! Quelle belle réception nous ferait le vieux sire de Walsenwyl, en nous voyant revenir dans le château de Firnstein, et en apprenant que nous avons quitté Blois vingt-quatre heures après notre arrivée sans avoir vu sa majesté, la reine mère, sans même avoir eu le tems, pour ainsi dire, de souhaiter le bonjour à votre oncle maternel, le capitaine des hallebardiers. Ce serait absolument comme si un étranger repartait d'Uri, sans avoir vu sa grande corne; et puis, n'êtes-vous pas venu pour offrir vos services au roi ?

Tu as raison, Pierre, répondit tristement le jeune homme. Mais regarde donc ce pays! comme c'est plat, désert, monotone! Vois ce fleuve paresseux, qui se remue à peine, et cette énorme masse de pierres, qu'ils appellent le château royal! Où sont nos torrens, nos montagnes, nos lacs? Que diraient-ils s'ils les voyaient?— Attendez, Messire, plus tard vous vous y plairez davantage.

J'en doute, Pierre; j'ai fait déjà de tristes expériences. Hier matin, tu le sais, mon premier soin a été d'aller voir mon oncle Abyberg. Je me rends au château. C'est un labyrinthe où l'on ne peut se reconnaître. Je passe d'une galerie dans l'autre, j'interroge tous ceux que je rencontre. L'un me répond, à droite, l'autre à gauche un troisième, qui m'a presque renversé en courant, me crie: excusez, et continue à courir. Enfin on m'indique une porte, j'ouvre et je me trouve en face d'une demoiselle qui sortait du lit.-Ah! le vilain? sortez, sortez à l'instant, à la porte.-En vain veux-je m'excuser, en vain lui dis-je qu'elle n'a rien à craindre; elle ne m'écoute pas, et je dois fuir pour échapper à ses injures. J'arrive enfin dans la cour des hallebardiers. A mon aspect, ce sont des rires, des quolibets de toute espèce.-Oh! la pie! s'écrie l'un en se

* Henri III. de Valois, régnait alors. On était en guerre avec les Protestants, à la tête desquels était Henri de Navarre, héritier présomptif de Henri III. qui n'avait pas d'enfants, et en qui sa race devait s'éteindre. Catherine de Médicis mère du roi, princesse intrigante, d'un génie souple et artificieux détestait Henri de Navarre, et le poursuivait en secret pour s'en défaire.-Hist. de France. VOL. II. F

moquant de mon pourpoint blanc à revers noirs, les couleurs nationales du canton !-Permettez, Messire, me dit un autre insolemment, n'avez-vous pas hérité de ce joli bijou-(Il indiquait ma longue épée,) d'un des chevaliers de la Table-Ronde? J'avais grandement envie de leur apprendre à vivre, mais je sus contenir ma colère, et leur demandai le logement de leur capitaine. Dès qu'ils apprirent qu'il était mon oncle, ils changèrent entièrement de ton, et celui qui m'avait appelé pie, s'offrit à l'instant, pour m'y conduire.

Mais, au moins, votre oncle vous a bien reçu, demanda Pierre d'un ton d'intérêt ?

Sans doute, répondit le chevalier; il a été très-content de me voir. Mais quels conseils il m'a donnés, Pierre! Selon lui, il me faut parler tantôt d'une manière et tantôt d'une autre. Par saint Arnolph! je ne sais plus un mot de tout ce qu'il m'a dit; mais je dois le revoir ce soir à dix heures.

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En ce cas, il est tems de souper; le soleil est couché depuis long-tems.

-Tu as raison, Pierre, j'ai une faim de loup; à peine ai-je mangé deux bouchées à dîner. Imagine-toi, Pierre, que j'entre dans une auberge et qu'on me sert une anguille à la sauce noire; mais elle avait un bec.de canard. Effrayé, je demande à l'hôtesse quelle espèce de poisson elle me faisait manger.-C'est une lamproie, Messire; la sauce a été faite avec son sang.-Fi! donnez-moi autre chose. Que penses-tu qu'on m'apporta? Un lapin!.... oui, un lapin, aussi vrai que Dieu existe! As-tu jamais entendu dire dans toute la Confédération qu'on mangeât les lapins! Je sentis mon cœur se soulever de dégoût, et je sortis sans avoir mangé autre chose qu'un peu de pain. . . .

Cependant dix heures allaient sonner. Arnold se hâta de se rendre au château.

Il remarqua avec plaisir, en entrant, qu'on ne se moquait plus de lui. C'est qu' effectivement il ne portait plus son pourpoint blanc à revers noirs et son énorme épée. Il avait un habit de soie bordé de velours noir, et une barette surmontée d'une plume, vêtement qui faisait ressortir de la manière la plus avantageuse ses belles formes et sa taille élancée. Aussi chacun s'empressait-il d'indiquer le chemin au chevalier Arnold, ce qui ne l'empêcha pas de s'égarer. Après avoir erré long-tems à travers les corridors, il finit par ne plus savoir où il était. Partout autour de lui régnait un silence de mort. En vain toussait-il, en vain frappa-t-il à plusieurs portes, pas une

1 To be sure he has.

2 Therefore, every one hastened to show.

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