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sur cette route des voitures légères, commodes et parfaitement servies, nommées Gondoles, mais le nombre est loin d'en être suffisant. Un chemin de fer remédiera à cet inconvenient. Une fois ce projet accompli, une fois que l'on aura fait l'expérience de cette manière si facile de voyager, qu'on s'y sera accoutumé, on pensera peut-être sérieusement à un projet d'une plus grande importance nationale.]

LE VOL AU DUEL.

Nous avons publié récemment plusieurs articles sur le bois de Boulogne. La promenade, la course, le duel même, toutes les solennités de cette localité ont été passées en revue. Au chapitre du duel, nous nous apercevons que nous avons omis plusieurs variétés importantes de l'espèce; nous allons combler ces lacunes en commençant par le duel de grand chemin.

En venant passer quelques semaines à Paris, un habitant de Reims se proposait de jouir en pleine liberté de tous les genres d'agrémens que procure le séjour enchanteur de la capitale: tel était l'unique but de son voyage, car nulle affaire importante ne l'y attirait.

Un mois s'était écoulé sans le moindre de ces accidens auxquels le provincial est ordinairement exposé à Paris, lorsque la veille de son retour en province, portant ses regards vers la barrière de l'Etoile, et désireux de contempler encore et d'admirer ce superbe monument, je ne sais quel mauvais génie lui souffle l'idée de prolonger son excursion jusqu'au bois de Boulogne. A peine avait-il parcouru dans le bois la distance d'un quart de lieue environ, qu'il vit s'avancer de son côté trois individus dont la mise simple, mais soignée, repoussait loin de lui tout soupçon; pourtant leur approche lui causa quelque surprise, se trouvant alors dans un endroit solitaire.

Monsieur, dit un d'eux au provincial en l'abordant et d'un ton respectueusement poli, je m'estime heureux de vous rencontrer; il est question de vider ici une querelle d'honneur. L'offense la plus grande que puisse recevoir un homme bien né m'a été faite; elle exige que j'obtienne une réparation: je n'ai pas de témoin, celui qui devait m'en servir manque au rendez-vous; je l'attends depuis une heure, et il ne se présente point. j'ose réclamer de vous cet office. une paire de pistolets.

Veuillez, de grâce, le remplacer ;
Voici mes armes, et il lui exhibe

Mais, messieurs, avant de vous brûler la cervelle, daignerezvous m'apprendre le motif qui vous pousse à cette extrémité ? dit l'habitant de Reims. N'y aurait-il pas moyen d'arranger cette affaire sans effusion de sang? Voyons, de quoi s'agit-il?

Marchons, s'il vous plaît, monsieur, je vais vous en instruire.

On entre dans un étroit sentier pratiqué à travers un épais taillis, et en cheminant l'offensé prétendu entame une histoire qui n'était nullement dépourvue de vraisemblance, et à laquelle on pouvait raisonnablement croire. S'érigeant en conciliateur, le provincial se permet quelques observations sur l'outrage qu'il prétend avoir reçu ; mais elles ne sont point écoutées. Jugeant le lieu et le moment favorables pour l'exécution du complot que ces hommes avaient probablement formé à l'avance, ils entourent leur victime. Celui qui était le plus âgé, déployant dans une pose étudiée la richesse de sa haute taille, et prenant soudain la parole:-Monsieur, dit-il, avec une accentuation méridionale, quoique le lieu où nous sommes soit très secret, comme nous voulons que ce que nous fesons le soit encore davantage, je prends la liberté de vous prier de nous donner sans bruit et sans éclat l'or et l'argent que vous avez sur vous.

Atterré par un tel langage, le témoin par force chercha néanmoins à leur faire sentir toute l'atrocité de leur conduite et le danger auquel ils s'exposaient, mais ce fut inutilement. Le canon béant d'un pistolet dirigé à bout portant sur sa poitrine, avec menace de lui expédier un passeport signé d'une balle, était un excellent argument ad hominem, et il ôtait tout pouvoir de résistance et d'évasion. Il fallut donc céder au nombre: tressaillant d'indignation et de rage, il leur abandonna sa bourse, qui contenait quatre napoléons et quelques pièces d'argent, pensant en être quitte à ce prix; mais la rapacité de ces audacieux coquins n'était pas encore assouvie; ils firent aussi main-basse sur la montre, en rompant la chaîne avec laquelle on pouvait la croire en sûreté. Ils ne dédaignèrent pas même un simple anneau. Vainement ils furent suppliés de le laisser, ajoutant que c'était une bague de mariage portée depuis bien des années et qu'il verrait avec grand peine qu'elle lui fût ôtée, ils ne tinrent compte des vives instances de leur victime, et le bijou conjugal fut impitoyablement arraché.

Après avoir dévalisé ainsi le provincial, ils l'engagèrent avec beaucoup de politesse à continuer sa promenade, lui enjoignant toutefois de sortir par où il était entré; puis ils s'esquivèrent, et leur fuite précipitée les déroba promptement à toute vue.

L'industrie du vol prend, chaque année, une croissance prodi

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gieuse. La filouterie envahit peu à peu tous les lieux publics; elle vient de se créer une forêt noire dans le bois de Boulogne. C'est effrayant rien que d'y songer.

L'habitant de Reims, après avoir subi ce sacre du malheur et du vol, est retourné dans sa province sans avoir fait de déclaration à la police. C'est de la magnanimité!

VERT VERT.

UN REVENANT.

M. Emile de S. . . ., nouvellement marié à une jeune personne des environs de Paris, quitta dernièrement la capitale pour aller passer quelques jours chez les parens de sa femme.

Le château qu'ils habitent a conservé parmi ses beaux appartemens modernes, une chambre de forme ovale, aux lambris sombres, aux fenêtres gothiques, page vivante de l'histoire de son ancienne splendeur, reste précieux de sa première existence. Cette chambre, placée à un des angles du château, paraît avoir appartenu à une tour, et, depuis un temps immémorial, elle porte le nom de chambre du hibou. Ce nom et les souvenirs qui se rattachent à l'histoire des anciens possesseurs du château ont toujours inspiré une espèce de terreur au paysans des environs; naturellement superstitieux, ils se transmettent de génération en génération des récits fabuleux.

D'après le plus accrédité de tous, l'ame d'un des plus anciens seigneurs du château, mort en Terre-Sainte, vient tous les soirs, depuis quelque temps à minuit, visiter ses terres et se retire dans la chambre du hibou, pour s'y livrer à la méditation; plusieurs fois on a tenté, mais en vain, d'y passer une nuit entière. Dès que minuit sonne, de lugubres gémissemens et des bruits de chaînes se font entendre; plusieurs assurent avoir vu l'ombre géante du seigneur faire flamboyer au-dessus de sa tête une épée terrible; d'autres prétendent qu'ils ont aperçu un linceul blanc, et entendu le murmure sourd d'une voix qui prie.

L'isolement dans lequel on laisse cette chambre mystérieuse a contribué beaucoup à accréditer ces croyances, à tel point que lorsque M. Emile de S...., a qui on les a racontées, s'est pris à rire et s'est montré incrédule; il n'y a eu qu'un cri au château pour le défier de passer la nuit dans la chambre du hibou.

Le défi était inutile: M. de S.. avait résolu de braver la colère

du croisé en s'établissant dans son oratoire. Il y fit monter un lit, s'arma, par précaution, de ses pistolets et d'une canne plombée, et, lorsque tout fut tranquille au château, que la nuit fut bien noire, il prit possession de sa nouvelle chambre.

Il y avait déjà deux heures qu'il était couché, et sa lampe brillait encore; elle s'éteignit enfin. M de S.. prêtait attentivement l'oreille au moindre bruit: rien d'extraordinaire ne se faisait enten

dre. Minuit sonna. Tout à coup un bruit lointain arrive jusqu'à lui: c'était le son que rendent des chaînes de fer traînées sur la pierre. Le bruit augmente peu à peu, grossit et remplit la chambre. M. de S.. prend ses pistolets et crie: Qui vive? Personne ne répond, et toujours le même bruit.

Cependant, l'obscurité était si complète qu'il n'apercevait rien. Qui vive? Le bruit de chaînes cesse, un profond silence règne alors et glace M. de S. . Il se détermine à faire des recherches, le phosphore pétille, la lampe s'allume, il se lève, et au coin de la chambre apparaît à ses yeux étonnés une jeune fille, à genoux sur la dalle, nue, les cheveux épars; un sabre traîne à ses côtés; elle tient un chapelet dans ses mains croisées, elle prie.

M. de S.. s'approche, croyant ses yeux fascinés, il appelle Marie, la jeune fermière, qu'il a reconnue. La jeune fille fixe de grands yeux sur lui: "Que me voulez-vous ? lui dit-elle d'une voix forte, Joseph est mort! voilà le sabre qui l'a tué.. je veux prier.. les Arabes lui ont coupé la tête. . priez avec moi pour mon Joseph!..

M. de S.. reste stupéfait; il craint d'interroger Marie, qu'il croit folle; après quelques minutes, elle se lève et s'enfuît comme l'éclair, traînant le sabre, qui rendit le même son que M. de S.. avait pris d'abord pour un bruit de chaînes.. -Marie était somnambule!.. (Commerce.)

VENISE.

Je défie qui que ce soit de m'empêcher de dormir agréablement quand je vois Venise si appauvrie, si opprimée et si misérable, défier le temps et les hommes de l'empêcher d'être belle et sereine. Elle est là, autour de moi, qui se mire dans ses lagunes d'un air de sultane; et ce peuple de pêcheurs qui dort sur le pavé à l'autre bout de la rive, hiver comme été, sans autre oreiller qu'une marche de granit, sans autre matelas que sa casaque tailladée, lui aussi n'est-il pas un

grand exemple de philosophie? Quand il n'a pas de quoi acheter une livre de riz, il se met à chanter un choeur pour se distraire de la faim; c'est ainsi qu'il défie ses maîtres et sa misère, accoutumé qu'il est à braver le froid, le chaud et la bourrasque. Il faudra bien des années d'esclavage pour abrutir entièrement ce caractère insouciant et frivole, qui, pendant tant d'années, s'est nourri de fêtes et de divertissements. La vie est encore si facile à Venise! la nature si riche et si exploitable! La mer et les lagunes regorgent de poisson et de gibier; on pêche en pleine rue assez de coquillages pour nourrir la population. Les jardins sont d'un immense produit: il n'est pas un coin de cette grasse argile qui ne produise généreusement en fruits et en légumes plus qu'un champ en terre ferme. De ces milliers d'isolettes dont la lagune est semée, arrivent tous les jours des bateaux remplis de fruits, de fleurs et d'herbages si odorants qu'on en sent la trace parfumée dans la vapeur du matin. La franchise du port apporte à bas prix les denrées étrangères; les vins les plus exquis de l'Archipel coûtent moins cher à Venise que le plus simple ordinaire à Paris. Les oranges arrivent de Palerme avec une telle profusion, que le jour de l'entrée du bateau sicilien dans le port on peut acheter dix des plus belles pour quatre ou cinq sous de notre monnaie. La vie animale est donc le moindre sujet de dépense à Venise, et le transport des denrées se fait avec une aisance qui entretient l'indolence des habitants. Les provisions arrivent par eau jusqu'à la porte des maisons; sur les ponts, et dans les rues pavées, passent les marchands en détail. L'échange de l'argent avec les objets de consommation journalière se fait à l'aide d'un panier et d'une corde. Ainsi, toute une famille peut vivre largement, sans que personne, pas même le serviteur, sorte de la maison. Quelle différence entre cette commode existence et le laborieux travail qu'une famille, seulement à demi pauvre, est forcée d'accomplir chaque jour à Paris pour parvenir à diner plus mal que le dernier ouvrier de Venise! Quelle différence entre la physionomie préoccupée et sérieuse de ce peuple qui se heurte et se presse, qui se crotte et se fait jour avec les coudes dans la cohue de Paris, et la démarche nonchalante de ce peuple vénitien qui se traîne en chantant et en se couchant à chaque pas sur les dalles lisses et chaudes des quais ! Tous ces industriels, qui chaque jour apportent à Venise leur fonds de commerce dans un panier, sont les esprits les plus plaisants du monde, et débitent leurs bons mots avec leur marchandise. Le marchand de poisson, à la fin de sa journée, fatigué et enroué d'avoir crié tout le matin, vient s'asseoir dans un carrefour ou sur un para

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