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se met entre vous, et c'est à peine si les repas, que vous faites ensemble, les longues heures, que vous passez ensemble, les intempéries, que vous partagez, parviennent à effacer, à la fin du voyage, l'impression défavorable causée au commencement. Adoptons le système du continent, il n'y aura rien de tout cela.

La voiture roulait, deux heures s'étaient déjà écoulées; j'en avais observé la marche en tirant ma montre de temps en temps, j'en avais abrégé les moments en regardant à la portière; une idée m'avait déjà frappé; idée qui frappe toujours l'œil d'un observateur, et elle m'occupait; c'était la différence bien marquée dans les proportions des accidents du terrain: on a peine à s'expliquer comment deux contrées, séparées seulement par un étroit bras de mer, présentent un aspect si différent; là, les ondulations du sol sont petites, ici, elles sont largement dessinées; là, c'est l'image des mouvements vifs et rapprochés d'une petite mer; là, c'est celle des montagnes que l'océan soulève. Je m'amusais de ces observations, lorsque le bruit d'une conversation animée m'en tira; je portai mes yeux dans l'intérieur, mon vis-à-vis était toujours dans la même attitude, digne et silencieuse, mais nos quatre compagnons causaient avec vivacité. Je crus d'abord que quelque objet extérieur avait attiré leur attention, excité une discussion, mais non, le store était baissé de leur côté pour se garantir de la poussière, et, du mien, ils n'avaient pu rien voir, la position que j'avais prise les en empêchant : j'écoutai; je vis alors que la conversation n'avait aucun rapport au voyage, elle était née d'elle-même, elle avait tiré sa source du besoin de s'amuser, de s'occuper de quelque chose; et ces gens, qui ne se connaissaient même pas de nom, qui voyageaient tous avec un but différent, que leur position sociale n'aurait probablement jamais jetés ensemble, qui n'appartenaient même pas au même pays, causaient agréablement; et, au visage animé de l'un, au regard de l'autre, où se peignait l'intérêt, on voyait, dans le premier, le désir de plaire, dans l'autre, une attention obligeante. Je regardai encore mon visà-vis; toujours le même sérieux, la même impassibilité. Cependant, à en juger par sa mise, c'était certainement un homme comme il faut; car, bien que les différentes classes de la société ne se distinguent plus par leur costume, bien que la forme des vêtements soit la même pour l'artisan comme pour l'homme qui vit de ses rentes, les habitudes de la vie percent toujours à travers l'enveloppe ; l'ouvrier, l'artisan, le commerçant même, quelque soit sa prospérité, ne porte point ses habits, ne met point ses gants, ne se sert point de de sa tabatière, de son lorgnon, comme un homme du monde, il se

meut, il se tourne, il marche, il pose différemment : c'est que le ton habituel de l'esprit donne au corps une attitude différente, c'est que l'homme, toujours monsieur, a une aisance, une souplesse auxquelles celui qui ne l'est que momentanément ne saurait atteindre. Mon vis-à-vis était donc un gentleman. Je me dis, à part moi, que puisque nos compagnons de voyage avaient trouvé le moyen de tromper les heures, il était tout naturel que nous en fissions autant; je profitai donc d'une des mille occasions qui se présentent pour hasarder une de ces observations qui amènent la conversation entre deux individus. "Very," fut la réponse que j'obtins. Une minute après, j'en hasardai une autre, et j'y mis le ton le plus avenant qu'il me fut possible." Yes, Sir, I do," fut encore la réplique: à un troisième effort, je n'obtins qu'un signe de tête. Décidément, me disje encore, mon compatriote n'aime pas la conversation; tournonsnous vers ces étrangers. Mais j'éprouvais un grand embarras ; je comprenais ce qu'ils disaient, mais quoique les mots ne me manquassent pas et que je n'éprouvasse aucune difficulté à les arranger dans ma tête, il fallait leur donner une sortie, et, en le faisant, trahir mon accent anglais. Il n'y a que le premier pas qui coûte, comme on dit ; je me félicitai bientôt d'avoir fait le mien, car, au bout de dix minutes, je me trouvai tout à fait lancé, et, qui plus est, parfaitement à mon aise. Je n'eus pas plutôt manifesté l'intention de prendre part à la conversation, que les interlocuteurs s'empressèrent de m'y admettre; non-seulement, je n'observai point sur leurs physionomies l'expression que les Anglais donnent à la leur lorsqu'un étranger leur parle, mais je vis, au contraire; que tous affectaient de ne pas s'apercevoir de mes fautes. Je n'observais point ce sourire presque imperceptible qui éffleure nos lèvres en pareil cas en Angleterre ; bien plus, même, je pus me convaincre qu'ils s'efforçaient de déguiser l'impression que je leur causais, et m'apercevoir qu'ils m'aidaient, lorsque les mots me manquaient, avec un tact délicat, qui ôtait toute apparence de leçon. J'étais charmé de tout cela; pourtant, il y avait encore quelque chose qui m'embarrassait, c'était de savoir si ce que j'avais sous les yeux était partout la même chose, si tous les Français indistinctement parlaient entre eux avec la même facilité sans se connaître. A la dinée, je trouvai, en partie, une réponse à mes questions. Tous les voyageurs des diverses parties de la diligence se trouvaient rassemblés à la même table; nous étions, je crois, une vingtaine, y compris le conducteur: ma femme et mes filles, ayant occupé le coupé à elles scules, n'avaient pas eu à qui parler; mais mon fils avait fait comme moi, et je remarquai un air de bonne

intelligence entre lui et un monsieur qui occupait une place sur la banquette avec lui; Monsieur Tom paraissait aussi fort à son aise; sa petite figure ronde et joyeuse n'avait point échappé aux regards des voyageurs de la rotonde, il avait lié connaissance avec eux en suivant la diligence à pied, au moment où elle gravissait la montée de Montreuil, et mon cœur de père s'épanouit en le voyant l'objet de toutes sortes de prévenances pendant le dîner. A table, mes oreilles furent frappées d'un son de voix désagréable. Je levai les yeux, et j'aperçus devant moi un homme à mine vulgaire et ignoble. Il parlait à tout le monde, se mêlait à toutes les conversations, répondait aux questions que d'autres s'adressaient, faisait les honneurs des plats à sa portée; les dames surtout étaient l'objet de ses soins; mais tous semblaient l'éviter, ou ne lui répondaient que par monosyllabes; ou bien, si on lui adressait plusieurs paroles, il y avait, dans le ton de ces paroles, quelque chose de si froid, que je m'en sentais glacé; on lui disait “Monsieur” avec un accent tout particulier, qui produisait sur moi un effet étrange. Je me mis à étudier le personnage, et j'en eus une ou deux fois l'occcasion avant d'arriver à Paris; à mesure que sa voix me devint plus familière, que je pus en distinguer les inflexions, j'y reconnus quelque chose de brusque, qui produisait une sensation désagréable; je fus à même de remarquer un sans-gêne dans ses manières qui choquait les usages; je communiquai mes observations à un de mes compagnons, qui les confirma. Je jugeai alors, que l'espèce de bonne intelligence que je croyais exister entre tous les voyageurs était sujette à de certaines conditions; que, pour la produire, il était nécessaire que chacun y apportât assez de connaissance du monde, du moins assez de tact, pour ne pas enfreindre les limites d'une conversation générale qui ne peut et ne doit avoir rien de personnel, ni celles d'une politesse mesurée absolument sur les exigeances du moment et qui deviendrait indiscrétion si on la poussait plus loin. J'observai encore deux nuances assez fortement prononcées dans les rapports qui s'établissent entre les voyageurs; la première comprenant les égards réciproques qu'ils peuvent avoir les uns envers les autres, la seconde comprenant les qualités nécessaires à la conversation. La première me parut s'étendre à toutes les classes de voyageurs indistinctement, mais dirigée, encore une fois, par le tact et la discrétion; la seconde, plus resserrée, ne pouvait comprendre que ceux auxquels l'éducation en avait donné les moyens. Ces conditions remplies, j'ai toujours vu les voyageurs français en profiter, d'autant plus sages que nous, à cet égard, que j'ai pu me convaincre

plusieurs fois, qu'à très peu d'exceptions près, l'intimité apparente de la diligence ou du bateau à vapeur, ne mène à rien. En débarquant, les voyageurs redeviennent pour ainsi dire étrangers, mais il se quittent du moins avec l'idée de s'être aidés mutuellement à tromper les heures, tandis qu'il nous arrive souvent de nous ennuyer côte à côte pendant le parcours d'une centaine de miles, parce que nous n'avons pas voulu nous compromettre en parlant à une personne dont nous ignorons la position sociale, ou que nous savons être sur l'échelon au-dessous de celui que nous occupons.

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DILIGENCES ESPAGNOLES.

LA diligence espagnole diffère de la diligence Française en ce qu'elle est exclusivement destinée au service des voyageurs, et non au transport des marchandises, lesquelles ne sont que l'accessoire; elle est aussi beaucoup plus chère. Les plus grands seigneurs en usent, et l'on y voyage côte à côte avec des duchesses et des ambassadeurs. Ce n'est pas dire qu'on s'y trouve toujours en bonne compagnie. Au contraire des conducteurs Français qui considèrent les voyageurs comme la partie la plus incommode de leur cargaison, le conducteur espagnol, mayoral, est plein d'attention et de prévenance. La diligence espagnole couche tous les soirs dans les posades, établies d'étape en étape par les soins de l'administration; sauf ce retard quotidien, elle chemine plus vîte que les nôtres; une fois lancée, elle va presque toujours au galop. Elle est ordinairement tirée par sept mules, mais on en met jusqu'à dix et même douze,—une fois j'en ai vu seize,―suivant la longueur du relai ou les difficultés de la route. Les mules sont attelées par couples; les deux dernières font l'office de limonières, et le mayoral les tient en rênes assis sur le siége. Les autres vont sans bride et obéissent à la voix. Chacune a son nom et y répond par un coup d'oreille. Ces noms varient peu et sont les mêmes d'un bout à l'autre de l'Espagne, c'est toujours Carbonera, Dragonera, Jardinera, Platera, Capitana, Coronela, Generala, Colegiala, Amorosa, Valerosa, Borrasca, Leona, et d'autres semblables, tirés de la couleur ou du caractère des mules qui les portent; elles sont parées de housses jaunes pour l'ordinaire, et toutes caparaçonées de sonnettes étourdissantes. La première mule est montée par un petit postillon qui mène la caravane sans s'occuper de ce qui se passe derrière lui; jamais il ne retourne la tête. Le zagal est un piéton

qui court à côté de l'attelage, distribuant, selon l'occurence, le blâme, l'éloge et les coups de bâton. C'est lui qui fait le métier le plus rude; il faut des jarrets de fer pour y suffire. Tout cela forme un ensemble des plus pittoresques, et rien n'est plus amusant que de suivre, dans tous ses détails, le gouvernement de cette armée rétive et bruyante. REVUE DE PARIS.

MISCELLANEE.

Le mot de la première charade du dernier numéro, est Russel; celui de la seconde, est Epigramme; et celui du logogriphe, Ange.

CHARADES.

Pour entrer dans ton domicile,

Lecteur, il faut toujours passer par mon premier;
Faute de mieux, dans les bois, mon dernier,
En certains cas, peut être utile.

Plus d'un Brutus au roi cesserait d'être hostile,
S'il en obtenait mon entier.

Mon premier precède un ânon;

Mon second nous prend à la gorge ;
On ne peut le chasser qu'à grands coups de bâton....

De sucre d'orge.

Mon entier, lecteur, attentif,

Est un verbe à l'impératif,

UN NOUVEAU VENT.

66

L'empereur venait de se mettre à table pour déjeuner; on apporte des dépêches maritimes arrivant de Boulogne. Lisez-moi cela," dit l'empereur à Duroc.

Le grand-maréchal ouvre les dépêches et lit:

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'L'escadre, pour mettre à la voile, n'attend plus que le vent de Son Excellence.....

- Que dites-vous done? s'éorie l'empereur.

Duroc répète sa phrase avec le plus grand sang-froid. Napoléon fronce le sourcil et arrache le papier des mains de Duroc ; mais après avoir jeté les yeux sur la dépêche il éclate de rire, et dit au grand-maréchal: "Continuez!"

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