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plus est, gagné un prix dans sa jeunesse à Chantilly ou à NewMarket.

Cependant cette dame se trompait; car je partis au galop, tout comme mes dix-neuf compagnons, entraîné, à vrai dire, encore plus par mon cheval que par leur exemple. Mais quel galop ! Nous dévorions l'espace. La vallée disparaissait sous un nuage épais que nous soulevions tout autour de nous. Les troupeaux effrayés fuyaient à notre approche ou roulaient sous les pieds de nos chevaux, ou se précipitaient dans les fossés. Les bergers nous menaçaient du poing et du bâton, les gardeurs de pourceaux nous jetaient des pierres, les gardes-champêtres nous criaient: Arrêtez!

Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent?
Achille va combattre et triomphe en courant.

Et nous courions, et nous laissions derrière nous les bois, les prés, les hameaux, les riches métairies, les côteaux verdoyans, qui semblaient courir comme nous et comme atteints du même vertige; nous franchissions à bride abattue toute cette délicieuse vallée, n'entendant rien, pas même le frémissement de l'Adour indigné, ne voyant rien que la route, rien que cette ligne blanche et sinueuse qui fuyait follement devant nous au milieu d'un tourbillon de poussière. Mes compagnons paraissaient accoutumés à cette allure, et n'accordaient pas un moment de relâche aux nouveau-venus. Quant à moi, les deux poings appuyés sur mes arçons, le corps en avant, le jarret tendu et le pied entièrement chaussé dans l'étrier, j'avais plutôr l'air d'entraîner un cheval pour les courses du Champ-de-Mars, que de faire une promenade d'agrément. Aussi j'ai tant couru ce jour-là, que je ne suis pas encore bien remis de l'émotion; et pour peu que j'oublie que je suis à Pau, en lieu sûr, en pays tranquille, chez des gens de mœurs douces et casanières, il me semble, que je

cours encore. . . . .

Vous vous rappelez l'histoire de ce riche marchand de Rotterdam qui s'était fait faire une jambe de bois. Cette jambe était un chefd'œuvre de mécanique; mais à peine M. de Wodenblock (c'était le nom du marchand) eut-il essayé les premiers pas dans la rue, qu'il s'aperçut que sa jambe était plus forte que lui et qu'elle l'emportait. Il voulut s'arrêter un instant; l'infernale mécanique allait toujours; il essaya de se cramponner à la muraille, mais les ressorts de sa jambe tournaient alors avec une telle violence qu'il eût été brisé sur le pavé. Il fallait marcher! M. de Wodenblock marcha si longtemps, qu'au bout de quelques jours la diabolique jambe ne traînait

plus qu'un spectre, qui pourtant semblait avoir conservé par un don surnaturel la faculté de se mouvoir.

Telle est l'histoire du marchand de Rotterdam. Son fournisseur de jambes lui avait joué un bien mauvais tour; il avait inventé pour lui le mouvement perpétuel—

C'est en vertu de la même force d'impulsion que je visitai la vallée de Campan. Mais je n'en mourus pas.

Le lendemain, je quittai Bagnères et je partis pour la haute montagne. Nous nous retrouverons à Gavarnie.

CUVILLIER FLEURY.

PRESENCE D'ESPRIT.

La semaine dernière, dans le village de Claye, un jeune homme vint se loger chez le principal aubergiste. Le voiturier, qui dînait près du poële de la salle basse, demanda, entre une bouchée de porcfrais et un verre de vin, à tous les gens qui se trouvaient là, s'ils profiteraient de sa voiture, sur les six heures du soir, pour retourner à Paris. Le jeune homme le remercia, répondant qu'il était déterminé marcheur, et qu'il préférait l'exercice du piéton à la somnolence de la voiture. D'ailleurs, une affaire le retenait jusqu'à huit heures à Claye. Puis, on parla d'autre chose.

Dans la journée, des fermiers d'alentour arrivèrent à l'auberge, demandèrent notre piéton, et lui remirent d'énormes sacs d'argent qu'il eut bien de la peine à convertir en billets de mille francs de la Banque de France. Il y employa le garçon de son hôte, qui courut aux environs, et fut largement payé de sa peine.

Le garçon, satisfait de cette générosité, en parla beaucoup, dans l'écurie, avec un colporteur qui était depuis peu dans les alentours. Tous deux trouvèrent bien hardi à ce monsieur de se proposer d'aller de nuit, à travers champ, avec une vingtaine de milliers de francs en portefeuille. Cela le regarde, ajouta pour toute conclusion le colporteur.

Le colporteur, en passant près de la salle, examina long-tems à travers les carreaux.

Puis il fut se remettre en route vers Paris.

Près de Bondy, sur la lisière du bois, notre commercant vagabond tira deux pistolets de sa valise et les amorça. Puis il se mit à l'affût.

Il faisait une nuit très noire; il ne passait personne, d'ailleurs; et de stations en stations, le colporteur avait avisé son homme qui marchait sur la même ligne, à la distance d'une bonne demi-lieue. Enfin, il entendit des bruits de pas et s'élança,

-La bourse ou la vie, s'écria-t-il.

.. Silence! lui répondit vivement une voix. Que diable, camarade, par où donc avez-vous pris pour me devancer? pourvu que mon homme, qui est aussi le vôtre à ce que je vois, n'ait rien entendu ?

-De qui parlez-vous? demanda le colporteur sans lâcher prise. -Du farceur aux billets de banque, c'est évident. Il fait halte, je crois, au cabaret du coude. Nous sommes deux: il faut de la loyauté. Partageons: il ne nous échappera pas. Couchez-vous dans ce fossé moi dans celui-là: et s'il se tire de nos mains, il est Est-ce dit?

sorcier.

-C'est dit, reprit le colporteur.

Et tous deux s'éloignèrent à petits pas.

-Ah! dit le nouveau coupe-jarret en revenant, le tuerons-nous ? -Oui, c'est plus prudent.

-C'est juste; il faut de la prudence. A notre poste! Et le silence régna.

Le colporteur réfléchit beaucoup sur cet inconvénient; un complice embarrasse toujours. La discrétion est plus lourde à deux, et le trésor plus léger. Cependant il pensa que deux cervelles ne coûtent guère plus à faire sauter qu'une. et il sourit d'espoir, car dans le fait, la besogne du moment devenait moins difficile avec un collaborateur.

Dix minutes, un quart d'heure, une demi-heure s'écoulèrent. Le colporteur entrevit enfin que son complice était un mauvais plaisant ou tout au moins le drôle même qu'il s'était promis de dévaliser : revers de fortune qui lui fut confirmé tout à coup; car le bois s'illumina comme par enchantement, et quarante cavaliers de la maréchaussée, la torche et le sabre à la main, rétrécirent rapidement leur cercle en s'abattant sur lui. Son traître était avec les soldats, et lui demanda pardon de sa petite plaisanterie.

Du reste, il eut toutes sortes d'égards pour l'assassin désappointé ; et d'étapes en étapes, jusqu'à ce qu'il le vit sous l'écrou, il eut la complaisance de le défrayer.

Il y a quelque chose de plus complet qu'un arsenal d'armes à feu pour dépister les voleurs: c'est la présence d'esprit.

LES TEMS GRIS.

L'HOMME, ce n'est pas le style, comme les manchettes de M. de Buffon ont essayé de l'insinuer. Un écrivain plein de portée, un philosophe des plus profonds vient de poser une nouvelle maxime, dont personne n'essaiera, nous en sommes sûrs, de contester la vérité.

L'homme, c'est le tems.

Par le mot tems, nous n'entendons pas ici ce vieillard à la barbe et aux ailes blanches, qui se promène au milieu des humains et des plafonds de messieurs les peintres de l'Académie; tems signifie ici température; c'est pourquoi il nous semblerait plus convenable de modifier l'axiome sus-énoncé de la manière suivante :

L'homme, c'est le thermomètre.

Depuis quelques jours, le gris domine dans le ciel; les teintes sombres qui descendent du firmament ou de l'empyrée, réagissent sur toutes les figures. On ne rencontre que des femmes pâles dans les rues; on dirait que l'univers entier a la jaunisse.

La vie se ressent de l'état de l'atmosphère : la mélancolie est à l'ordre du jour; on ne s'entretient que des amertumes de cette vie; on ne parle que de l'indicible bonheur dont jouissent les anges; on demande à Dieu pourquoi il nous a donné la vie, et l'on quitte ses amis pour aller fouler les feuilles mortes au fond des bois.

Il n'est pas rare de rencontrer sur les boulevards des jeunes gens qui murmurent, la tête penchée; les premiers vers de la fameuse orientale :

Hélas! que j'en ai vu mourir de jeunes filles,

C'est le destin...

Ou bien la fin de cette élégie, qui a fait de Millevoye un si grand poète :

Et le pâtre de la vallée,

Tronbla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

Rien n'est terrible comme le règne des brouillards; Vous vous approchez d'un ami pour lui toucher la main, il vous répond par une horrible pince ou une fantastique pichenette. Vous vous récriez avec juste raison contre cet insolite procédé, on vous répond: Excusez-moi, mon cher, c'est le tems gris, voyez-vous, qui m'agace les nerfs.

Vous offrez un bouquet à une dame avec la moue la plus agréable

que vous puissiez inventer, elle vous rend votre politesse par une grimace. Encore le tems gris qui agit sur les nerfs.

Vous allez lire une pièce à un directeur de théâtre, il bâille à la première scène, étend ses bas à la seconde et ronfle déjà à la troisième. Influence du tems gris sur le système nerveux.

Grâce aux nuages, tout prend en ce moment une teinte lugubre et lamentable; les orgues de Barbarie eux-mêmes ont remplacé les refrains du Postillon de Lonjumeau par les romances les plus mélancoliques: le Père-Lachaise est partout. Et lorsque, pour vous distraire de ces images de mort sans cesse mises devant vos yeux, vous rentrez chez une dame qui a des bontés pour vous, vous la trouvez baignée de larmes, essayant la lame d'un poignard à côté d'un exemplaire de la Gazette des Tribunaux.

"O mon Arthur! qu'il est doux de mourir ensemble quand on aime bien !" C'est avec ces paroles que l'on vous accueille. "Opte entre ce poignard ou cette fiole! Aimerais-tu mieux, par hasard, le charbon, ô mon bien-aimé !'”

Vous optez pour un lait de poule, et vous allez vous coucher, regrettant amèrement de n'être pas né en Nubie, en Abyssinie, en Californie. ou dans tout autre pays où il fait toujours soleil. Les Caffres ne lisent jamais de poésie, et les Hottentots parlent rarement de s'asphyxier. VERT-VERT.

ILLUSIONS ET DECEPTIONS. АH! qu'il avait raison, cet auteur d'opéra-comique (je ne sais plus lequel) qui s'écriait, avec accompagnement d'orchestre et de bravos: Ne jugeons pas sur l'apparence,

Ici tout n'est qu'illusion.

Ce qu'il disait, le brave homme, ou plutôt ce qu'il chantait, peut très bien s'appliquer à ce qu'on voit chaque jour à Paris, la ville aux illusions, aux déceptions, aux trahisons. Citons quelques exemples entre des milliers:

J'aperçois sur le boulevard un équipage brillant, avec chevaux fringans, très bien appareillés, cocher à perruque, laquais en livrée éclatante, très éclatante; rien ne manque à tout cela. Ah! ah! dis-je à part moi, c'est incontestablement la voiture de quelque puissant prince médiatisé ou d'un ex-membre de l'ex-confédération du Rhin. J'approche, je braque mon lorgnon sur le tout, et je voisun marchand de cirage éminemment français.

Je fais ma toilette un matin, et je vais sortir, pressé que je suis par une affaire; j'entends le son du clairon résonner dans l'espace ;

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