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aucun dégât. Cela sied bien aux filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse, qui vous doit venir visiter, et vous mener avec elle à la foire. Entendez-vous ce que je vous dis ?

Oui, mon pere.

ELISE.

SCENE IV.

HARPAGON, CLÉANTE, VALERE,
MAÎTRE JACQUES.

HARPAGON.

Et vous, mon fils le damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire mauvais visage.

CLEANTE.

Moi, mon pere? mauvais visage ? Et par quelle raison ?

HARPAGON.

Mon dieu! nous savons le train des enfants dont les peres se remarient, et de quel œil ils ont coutume de regarder ce qu'on appelle belle-mere. Mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de votre derniere fredaine, je vous recommande sur-tout de régaler d'un bon visage cette personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous sera possible.

CLÉANTE.

A vous dire le vrai, mon pere, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma bellemere; je mentirois si je vous le disois: mais pour ce qui est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre.

HARPAGON.

Prenez-y garde, au moins.

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Valere, aide-moi à ceci. Oh ca! maître Jacques, approchez-vous; je vous ai gardé pour le dernier. Me JACQUES.

Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler? car je suis l'un et l'autre.

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Me JACQUES.

Attendez donc, s'il vous plaît.

(Maitre Jacques óte sa casaque de cocher, et paroit vétu en cuisinier.)

HARPAGON.

Quelle diantre de cérémonie est-ce là?

Me JACQUES.

Vous n'avez qu'à parler.

HARPAGON.

Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.

M2 JACQUES, à part.

Grande merveille!

HARPAGON.

Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chere?
Me JACQUES.

Oui, si vous me donnez bien de l'argent.

HARPAGON.

Que diable! toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient rien autre chose à dire; de l'argent ! de l'ar gent de l'argent! Ah! ils n'ont que ce mot à la bouche, de l'argent! Toujours parler d'argent! Voilà leur épée de chevet, de l'argent !

VALERE.

Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chere avec bien de l'argent! c'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit qui n'en fit bien autant. Mais pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chere avec peu d'argent.

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M JACQUES, à Valere.

Par ma foi, monsieur l'intendant, vons nous obligerez nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier : aussi-bien vous mêlez-vous céans d'être le factotum.

HARPAGON.

Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous fandra?
Me JACQUES.

Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chere pour peu d'argent.

HARPAGON.

Ah! je veux que tu me répondes.
Me JACQUES.

Combien serez vous de gens à table?

HARPAGON.

Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.

Cela s'entend.

VALERE.

Me JACQUES.

Hé bien! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes... Potages... Entrées...

HARPAGON.

Que diable! voilà pour traiter une ville tout en tiere.

Rôt...

M JACQUES.

HARPAGON, mettant la main sur la bouche de maitre Jacques.

Ah! traitre, tu manges tout mon bien.

Entremets...

M JACQUES.

HARPAGON, mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques.

Encore!

VALERE, à maître Jacques.

Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde? et monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger avec excès.

Il a raison.

HARPAGON.

VALERE.

Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes; que, pour se bien montrer ami de

ceux que l'on invite, il faut que la frugalité regne dans les repas qu'on donne, et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARPAGON.

Ah! que cela est bien dit! approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie : il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis?

VIA LERE.

Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARPAGON.

maître Jacques.) Oui.Entends-tu? (à Valere.) Qui est le grand homme qui a dit cela ?

VALERE.

Je ne me souviens pas maintenant de son nom.

HARPAGON.

Souviers-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle.

VALERE.

Je n'y manquerai pas : et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire, je réglerai tout cela comme il faut.

Fais donc.

HARPAGON.

Me JACQUES.

Tant mieux, j'en aurai moins de peine.

HARPAGON, à Valere.

Il faudra de ces choses dont on ne mange guere, et qui rassasient d'abord; quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot hien garni de mar

rons.

VALERE.

Reposez-vous sur moi.

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