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assez de vigueur pour résister énergiquement lorsque la Russie, poussée à bout, essayait d'obtenir par la violence quelque chose d'elle.

Les Russes eurent bientôt un premier indice des véritables dispositions du gouvernement turc envers eux. Quand le grand-duc Nicolas arriva à San-Stefano il prévit que lorsque le temps serait mauvais, il serait difficile d'y embarquer des troupes. Il invita en conséquence le général Ignatief à formuler le traité de manière à ce que les troupes pussent s'embarquer partout où elles pourraient le faire le plus commodément. Le général Ignatief inséra dans le premier projet une clause stipulant l'embarquement des troupes dans les ports de mer de la Turquie en général, sans en nommer aucun en particulier.

Dans le projet turc l'expression fut changée en celle des ports de la mer de Marmara et de la mer Noire. Cela excluait le Bosphore. M. de Nélidof ayant appelé l'attention du général Ignatief sur ce changement, celui-ci dit : « Cela est sans importance. Une fois la paix conclue, les Turcs seront si heureux d'être débarrassés de nous qu'ils ne mettront guère d'obstacles dans la voie de notre départ. Si nous désirons nous embarquer dans le Bosphore, ils ne seront que trop heureux de nous aider. » Ahmet-Vefyk fut interrogé à ce sujet, il dit qu'il n'y aurait absolument aucune difficulté, pourvu que les troupes ne passassent pas à travers Constantinople. Il y avait donc une convention verbale.

Lorsque la paix fut signée et que l'attitude de J'Angleterre fit craindre une guerre nouvelle, les Russes estimèrent que le moment était venu de profiter de cette convention et de mettre la main sur le Bosphore. Ils décidèrent en conséquence que le quartier-général serait transporté à Bouyouk-Déré point bien choisi pour le but qu'ils se proposaient; le Bosphore n'y a que 8 à 900 mètres de large et avec quelques torpilles on y pouvait fermer la mer Noire à l'escadre anglaise et à toutes les escadres du monde. Le 20 mars, deux divisions de la garde reçurent donc l'ordre de partir pour Bouyouk-Déré, où le grand-duc devait les suivre et s'installer au palais d'été de l'ambassade russe ;. les mouvements des autres corps indiquaient l'intention de rapprocher le gros de l'armée tout en la rabattant vers la mer Noire. Déjà l'intendance avisait ses fournisseurs de son prochain déménagement, et leur passait des commandes dont l'importance dénotait la prévision d'un séjour d'une certaine durée. Par

une coïncidence remarquable, deux bateaux russes mouillaient au même instant près de BouyoukDéré; ils étaient, disait-on, bondés de torpilles destinées au Bosphore.

Dès qu'il sut ce qui se préparait, M. Layard accourut au palais, annonça que si les Russes allaient à Bouyouk-Déré, la flotte anglaise entrerait dans le Bosphore et retourna promptement l'opinion dans l'entourage du sultan. Le divan se détermina à protester contre les mouvements de l'armée russe et comme ces mouvements n'en continuaient pas moins, les Turcs piqués au jeu échelonnèrent 40,000 hommes des Eaux-Douces à Belgrad, coupant ainsi toutes les routes qui mènent au Bosphore. Le grand-du Nicolas dut céder et rentrer à San-Stefano.

Cet incident montrait la toute-puissance de l'influence anglaise à Constantinople. Afin de la combattre et fortifier le parti qui préconisait l'alliance russe auprès du gouvernement turc, le grand-duc résolut d'essayer lui-même de gagner le sultan. Il se rendit à Constantinople avec les principaux généraux et son état-major et y passa trois jours (25-28 mars). On dit que la première entrevue des deux princes fut émouvante. Abdul-Hamid, nature sensible et tendre, aurait versé devant le prince un torrent de larmes et tenu des propos touchants, de nature à apitoyer son vainqueur sur le triste fort qui était fait par le traité de San-Stefano, à la Turquie et à son souverain. Le grand-duc s'empressa d'essuyer ses larmes et il donna au nom de son frère les assurances les plus amicales au sultan. Le lendemain il y eut au palais de Beylerbey une grande réception dans laquelle vainqueurs et vaincus fraternisèrent. amicalement. Osman-Pacha se fit présenter à Skobelef' qu'il avait vu pour la première fois dans la petite maison de la Vid, où il gisait blessé le 10 décembre précédent. On y voyait Gourko causer avec Reouf-Pacha dont il avait taillé les musthafiz en pièces à Yeni-Zaghra, le généra! Schouvalo avec Fuad-Pacha qu'il avait écrasé à Philippopoli, et bien d'autres qui ne s'étaient rencontrés auparavant que sur les champs de bataille. On échangea force compliments, force poignées de main. Mais toutes ces démonstrations d'une amitié qui ne pouvait exister que sur les lèvres restèrent sans conséquence politique. Après que les Russes furent partis, les préparatifs militaires continuèrent autour de Constantinople comme par le passé. Contre qui? Ce n'était assurément pas contre l'Angleterre.

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11.

L'ANGLETERRE ET LA RUSSIE SE PRÉPARENT A LA GUERRE

Mission du général Ignatief à Vienne

C'est dans ces conditions défavorables que la Russie répondit le 26 mars par un refus définitif à l'Angleterre qui lui demandait de soumettre le traité de San-Stefano en entier à la discussion du congrès; la Turquie était gagnée à l'Angleterre et la Roumanie ne cherchait qu'une occasion pour recommencer la guerre, mais cette fois contre son ancienne alliée.

le congrès; il aurait tout accepté, pourvu que le congrès se réunît et bien loin de songer à une alliance avec l'Angleterre les difficultés soulevées par l'Angleterre l'irritaient vivement, parce qu'elles rendaient de plus en plus incertaine cette occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine à laquelle l'Autriche voulait se faire inviter par l'Europe. Tout paraissait donc devoir marcher à souhait pour la Russie, et l'Autriche se montra en effet disposée à se prêter à une entente séparée avec elle. Lorsque le diplomate russe demanda au cabinet de Vienne de définir exactement la sphère des intérêts autrichiens, une commission. militaire se réunit sous la présidence du général Schoenfeld, chef d'état-major, et voici quels furent les résultats de ses travaux. On dit aux Russes Vous vous étendez depuis le Danube jusqu'à la mer Egée; nous, nous voulons en faire autant. Votre domaine est à l'est, le nôtre sera à l'ouest. Ce que vous faites pour la Bulgarie, nous demandons à le faire pour l'Herzégovine, la Bosnie, l'Albanie. La Bulgarie aura un port, Kavala; les provinces placées sous notre influence auront Salonique. Nous agirons sur ces provinces soit par l'annexion directe, soit par un vaste système de conventions militaires et éconoàmiques. Voilà nos propositions. Ces propositions, le général Ignatief n'avait pas des pouvoirs. suffisants pour les accep'er, mais ell s lui parurent de nature à pouvoir être discutées et il demanda de nouvelles instructions.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg avait parfaitement conscience des conséquences que son altitude pouvait avoir. Il savait que la guerre en pouvait résulter. Or depuis quelques jours il était question d'une entente diplomatique et militaire entre l'Angleterre et l'Autriche; avant tout, au moment où on allait se relancer dans des aventures il fallait donc séparer complétement Vienne et Londres, et le général Ignatiel fut envoyé dans la première de ces deux villes. Nous ne possédons aucun document officiel sur cette mission; mais la nature même des choses indique que les journaux de l'époque étaient bien renseignés quand ils expliquaient que le célèbre diplomate russe était chargé d'exposer au gouvernement austrohongrois que la clef de la situation, en tant qu'il s'agissait de l'éventualité d'une guerre, était Vienne même, et de donner à entendre que l'on devait faire comprendre à l'Angleterre, de manière à ne lui laisser aucun doute, que le gouvernement britannique ne pouvait nullement compter sur l'appui de l'Autriche.

Ce premier point obtenu, l'Autriche séparée
de l'Angleterre, le général Ignatief devait cher-
cher à établir, en dehors du congrès, un accord
parfait entre l'Autriche et la Russie. Le traité de
San-Stefano avait froissé à Vienne quelques sus-
ceptibilités! Eh bien! le général connaissait à
fond ce traité, puisqu'il en était l'auteur: il l'ex-
pliquerait, le commenterait, prouverait qu'il
n'était pas aussi dangereux qu'il en avait l'air, et
proposerait, s'il le fallait, quelques modifications.
L'important était d'obtenir que l'Autriche recon-
nût le traité, y adhérât et tournât définitivement
sa boussole politique du côté de Saint-Péters-
bourg.

Les circonstances étaient très-favorables. Le
Bomte Andrassy avait mie toute su conflunce dans

Les négociations continuaient et déjà on annoncait que la mission de général Ignatief avait réussi, lorsque la circulaire du marquis de Salisbury éclata en Europe comme un coup de foudre et ramena brusquement l'Autriche à la politique du laisser faire et du regarder faire. La guerre devenait de plus en plus probable entre l'Angleterre et la Russie; le comte Andrassy avait trop d'esprit pour ne pas comprendre les avantages que la situation lui présentait. L'Autriche prenait soudain le rôle d'arbitre et pouvait imposer ses conditions aux deux adversaires. Pour cela il ne fallait prendre d'engagement avec personne, et le général Ignatief retourna à SaintPétersbourg sans avoir rien pu conclure.

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Mais ce n'é ait pas seulement sur les rivages de la mer de Marmara que les Russes devraient réunir des armées plus ou moins nombreuses; les Anglais, grâce à l'étendue de leur puissance maritime, inquiéteraient tous les rivages russes; ils pénétreraient dans la Baltique et dans les mers septentrionales. Pour garder ses côtes et prévenir une descente dont le moment et le lieu, seraient toujours incertains, la Russie devrait tenir sur pied des armées très-considérables. Elle aurait assez d'hommes peut-être pour réparer les pertes que les maladies lui causeraient, mais aurait-elle assez d'argent ou assez de crédit pour remplacer l'argent perdu? C'était là le point faible de la Russie et le point très-fort de l'Angleterre. L'Angleterre pouvait prodiguer les milliards dans cette lutte d'un nouveau genre sans que son crédit en souffrit. Mais la Russie pourrait-elle longtemps soutenir ce duel au premier épuisé? Evidemment non, l'état de ses finances ne le lui permettrait point et elle serait obligée d'en arriver à compo-ition.

On devait donc tenir la lettre du comte Schouvalof, en date du 26 mars, comme l'expression de la ré-olution bien arrêtée de la Russie de ne point céder à l'Angleterre. Quand il eut reçu communication de ce refus définitif, le cabinet anglais se réunit. Heure solennelle. Persévéreraiton dans la voie énergique où l'on était engagé, reculerait-on? Deux politiques étaient en présence. La première consistait à continuer à écrire des notes énergiques contre les prétentions et les actes de la Russie, sans prendre aucune mesure qui pût donner à ces protestations plato-anglaise serait mobilisée et lord Derby ne vou

niques une portée pratique sérieuse. Cette politique sans dignité mais aussi sans danger était défendue par lord Derby.

La seconde consistait à obliger, par des démonstrations militaires suffisantes, la Russie à rester armée et à la fatiguer ainsi. Sans tirer un coup de fusil, ni même déclarer formellement la guerre on pouvait faire à la Russie un mal énorme. Il suffirait à l'Angleterre de quelques vaisseaux qui paraîtraient sur les côtes et, devant cette simple manifestation, pour conserver ses conquêtes, pour faire passer le traité de SanStefano dans le domaine des faits, malgré l'opposition de l'Angleterre, la Russie devrait rester sur le pied de guerre et garder ses positions en face de Constantinople. Or toutes les nouvelles d'Orient s'accordaient à dire que l'armée russe souffrait déjà cruellement des épidémies, et surtout du typhus ; que serait-ce lorsque les ardeurs de l'été auraient succédé aux premières chaleurs du printemps? La Russie serait obligée d'accumuler sur certains points des masses d'hommes qui n'y séjourneraient pas impunément. Les concentrations étaient commencées et, malgré leur nombre, les Russes éprouvaient déjà de sérieux embarras on annoncait qu'ils avaient invité les Serbes à occuper Sofia, afin de tenir disponibles leurs propres forces et de les diriger vers le Sud.

Cette dernière politique était celle de lord Be consfield et ce fut lui qui l'emporta. Il fut décidé que la première classe de la réserve de l'armée

lant point s'associer à la campagne qui se préparait, donna sa démission. Quand il exposa au parlement les motifs de sa retraite, lord Derby dit, après avoir parlé de cet appel de la réserve : Je dois apprendre à Vos Seigneuries, que, quoi que j'aie pu penser de cette mesure, ce n'a pas été la seule ni en réalité la principale raison des différends qui se sont malheureusement élevés entre mes collègues et moi. Je ne puis divulguer quelles sont les autres raisons jusqu'à ce que le gouvernement ait fait connaître les propositions sur lesquelles j'ai été en dissentiment avec mes collègues. » On n'eut l'explication de ces paroles que quelques jours plus tard lorsqu'on apprit que le ministère anglais faisait venir à Malte une parti des contingents de l'Inde. Cette dernière mesure résolue en même temps que l'appel des réserves fut tenue secrète comme un moyen suprême pour poser sur la Russie.

Le marquis de Salisbury fut nommé ministre des affaires étrangères en remplacement de lord Derby et il fit son entrée par une action d'éclat. Le général Ignatief était à Vienne depuis quelques jours, on annonçait que sa mission était en voie de réussir et que l'Autriche inclinait vers une entente avec la Russie, il importait de réagir contre cette tendance et de faire savoir le plus

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