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compensation qui leur est offerte n'est pas suffisante. Depuis la réunion du Congrès, la France a toujours conseillé à la Roumanie d'accepter la rétrocession de la Bessarabie; mais M. Waddington croit devoir faire entendre, au nom de son gouvernement, un appel aux sentiments équitables de la Russie, et il exprime le désir qu'il soit accordé à la principauté une extension de territoire au midi de la Dobroutcha qui comprendrait Silistrie et Mangalia. >>

Le comte Andrassy et le comte Corti prononcèrent quelques paroles à l'appui de la proposition de M. Waddington. Quant aux Anglais, ils ne prirent aucune part à la discussion et, devant la résistance des Russes, il fut impossible à nos plénipotentiaires d'obtenir que la ville de Silistrie fût incorporée à la Roumanie. Le Congrès finit toutefois par se mettre d'accord pour le vote de la motion suivante, proposée par le comte Schouvalof: « Vu la présence d'éléments roumains, les plénipotentiaires russes consentent à prolonger la frontière de la Roumanie le long du Danube, à partir de Rasova, dans la direction de Silistrie. Le point frontière sur la mer Noire ne devrait pas dépasser Mangalia. >>

Ainsi fut consacrée une des plus criantes injustices politiques dont notre époque ait été témoin.

L'émancipation des israélites.

On a peine à comprendre dans un pays tolérint et égalitaire comme la France, où depuis un siècle toutes les confessions vivent sur le pied d'une égalité parfaite, la violence des discussions que soulèvent les questions religieuses dans l'Orient de l'Europe. Il y a 400,000 juifs en Roumanie, une dizaine de mille en Serbie et à peu près autant en Bulgarie: or, la situation de cette non breuse population était tout aussi précaire en 1877 qu'au temps des grandes persécutions du moyen âge, les juifs n'étaient pas encore parvenus à se faire reconnaître une existence légale et ils (taient soumis à tous les caprices d'une administration hostile et à toutes les vex tions d'une population fanatique.

A la nouvelle de la réunion du Congrès de Berlin, les juifs se prirent à espérer que les plénipotentiaires appelés à consacrer la libération de tant de races chrétiennes daigneraient dans leur équité s'occuper aussi de la leur, et l'Alliance israélite universelle délégua MM. Netter et S. Kahn avec la mission de soumettre au Congrès la pétition suivante qui expose avec beaucoup plus

d'autorité que nous ne pourrions le faire la position des juifs en Orient:

Monsieur le président et messieurs les membres du Congrès européen,

Il y a seize mois, les délégués des israélites de tous les pays de l'univers s'adressaient à la conférence européenne réunie à Constantinople et lui demandaient de mettre un terme au régime oppressif que subissent les israélites en Roumanie et en Serbie et d'assurer à ceux des provinces de la Turquie, dont le sort allait être réglé par la conférence, l'égalité civile et politique réclamée pour tous les non-musulmans. Vous êtes réunis aujourd hui pour reprendre l'œuvre de la conférence de Constantinople.

Représentants des grandes puissances de l'Europe, vous êtes appelés à établir dans l'Europe orientale, un régime sous lequel les populations de races et de croyances diverses vivront en paix les unes avec les autres. L'Europe ne concevrait pas une paix qui ne fût pas fondée sur le respect des grands principes du droit public: l'égalité des hommes entre eux, la liberté des croyances religieuses. La nécessité d'écrire dans la Constitution des pays orientaux, que la croyance religieuse ne peut être pour personne une cause d'infériorité sociale ou politique, est imposée par la loi de la civilisation. Elle l'est plus encore par le besoin de supprimer le danger de conflits permanents entre des populations de races et de religions diverses.

Les traités de 1856 et de 1858 ont eu pour but de garantir l'application de ces principes en Roumanie et en Serbie; mais linsuffisance des stipulations de ces traités a permis d'en fausser l'esprit et de rendre contre les israélites de ces deux pays une série de loi restrictives. En Serbie, ils furent successivement chassés des campagnes et de la plupart des villes, exclus de tous les emplois et de toutes les fonctions et réduits à la misère. La privation de leurs droits les plus précieux ne les affranchit d'aucune charge. Ils subissent, comme tous les Serbes, l'impôt; comme eux, ils sont astreints au service militaire. Dans la dernière guerre, ils pensèrent triompher de l'iniquité de leur pays envers eux à force de patriotisme. Ils combattirent bravement, et mêlèrent, sur les champs de bataille, leur sang à celui de leurs compatriotes. Si leurs sacrifices leur valurent quelques paroles bienveillantes du ministre de l'intérieur, à la grande Skoupschtina, en 1877, leur situation ne changea point. Ce fut en vain que, lors de la convention conclue entre la Serbie et la Turquie, en 1877, la Turquie réclama pour eux les droits opiniâtrément refusés.

Sous un tel régime, leur nombre a depuis longtemps diminué de moitié. Ils sont constamment, dans certaines villes, sous la menace d'édits d'expulsion. En Roumanie, la situation des israélites, très nombreux, est encore plus affreuse. Depuis deux ans, ils y sont livrés à la plus cruelle persécution. Presque chaque année, l'Europe est émue au récit des émeutes, des meurtres, des pillages ou des expulsions en dont ils sont victimes. A ces violences est venue se joindre en masse la persécution légale, avec une suite de lois excluant les juifs de tous les emplois, de toutes les carrières libérales, de toutes les fonctions publiques et de nombreuses branches de commerce, entravant jusqu'au libre exercice du culte religieux, cherchant

masse

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M. DE SAINT-VALLIER, DEUXIÈME PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS contre cette politique funeste et barbare. On ne tint aucun compte ni de leur avis ni de leurs réclamations. La Roumanie, sans pitié pour les israélites, a cependant en eux des sujets voués au travail, utiles au développement du commerce et de l'industrie, capables de s'élever et d'honorer leur pays dans les carrières libérales. Dans la dernière guerre, les services qu'ils ont rendus dans les ambulances, dans les hôpitaux,

n'appartiennent à aucune nationalité, n'ont aucune patrie.

1400 LIVRAISON.

Si telle est la conduite de la Serbie et de la Roumanie à l'égard des israélites, que n'a-t-on pas à craindre des autres provinces de la Turquie émancipées? Faut-il rappeler les tristes épisodes d'Eskri-Zagra et de Kezanlik, pour montrer les dangers qui menacent les israélites en Bulgarie et dans une partie de la Rou

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mélie? Des milliers d'entre eux errent encore sans abri et sans ressources, loin de leur patrie.

Au nom des israélites, au nom de l'humanité, nous nous adressons respectueusement à l'Europe en faveur de nos malheureux coreligionnaires de Bulgarie, de

Roumélie et de Roumanie. Nous attendons d'elle la fin

de leurs souffrances. Sa protection leur est indispensable dans le présent et dans l'avenir. Que l'Europe

fasse entendre sa voix puissante; qu'elle proclame l'égalité des hommes, indépendamment de toute croyance religieuse, et qu'elle exige l'insertion de ce principe dans la Constitution. Qu'elle s'en fasse enfin la gardienne vigilante,

Telle est l'œuvre que le monde attend du Congrès de 1878. Elle répond aux traditions de la politique européenne, aux vœux des hommes éclairés de toutes les nations. Elle donnera la paix à l'Europe et la prospérité à des pays cruellement éprouvés par la guerre. Elle sera féconde en heureux résultats pour toutes les nations, glorieuse pour notre époque, et le souvenir de ce Congrès restera ineffaçable dans la mémoire des générations futures.

Le Congrès, considérant le mélange des races et des religions destinées à vivre côte à côte dans la principauté de Bulgarie, décida spontanément que l'égalité y serait proclamée entre tous les hommes, à quelque confession qu'ils appartinssent. Par l'effet de ce vote mémorable, la tâche de l'alliance israélite se trouva singulièrement simplifiée pour la Bulgarie. MM. Netter et Cahn, qui étaient venus surtout en vue de traiter la question auprès du Congrès relativement aux provinces de création nouvelle, n'eurent qu'à se féliciter de voir l'œuvre accomplie dans des conditions si larges. Mais il leur restait à régler ce qui concernait leurs coreligionnaires en Roumanie et en Serbie, question accessoire au début, qui devint la principale pour eux, après que la question de la Bulgarie fut si heureusement réglée.

C'est à la France que revint l'honneur de parler au nom de ces principes de la liberté et de l'égalité qu'elle a été la première au monde à proclamer. M. Waddington soumit au Congrès et fit adopter une proposition par laquelle les puissances européennes admettaient l'indépendance de la Serbie et de la Roumanie sous la condition formelle que la liberté religieuse serait reconnue dans ces deux principautés. Les juifs d'Orient se trouvèrent ainsi émancipés.

La question grecque.

Au moment où la guerre paraissait probable entre l'Angleterre et la Russie, la première de ces puissances, en quête d'alliés, manifesta une sympathie bruyante pour la Grèce. Depuis, à la

suite des arrangements pris avec la Turquie, cette sympathie se refroidit beaucoup; cependant fidèle aux promesses faites par son gouvernement, ce fut le marquis de Salisbury qui, dès la deuxième séance du Congrès, proposa l'adnission des plénipotentiaires grecs. La question discutée longuement dans la séance suivante fut réso

lue par l'affirmative, malgré l'hostilité de la Russie.

En conséquence, le président du Congrès invita les représentants de la Grèce à vouloir bien venir faire dans la neuvième séance (29 juin) les communications dont ils étaient chargés. MM. Delyanni et Ranghabé furent donc introduits, et le premier, après avoir exprimé au Congrès la reconnaissance du gouvernement hellénique, donna lecture du document suivant:

Les seuls et véritables vœux du gouvernement hellénique ont été toujours identiques aux aspirations de la nation entière, dont la Grèce libre ne constitue qu'une petite partie.

Ces mêmes aspirations animaient le peuple hellène quand il entreprit en 1821 la longue guerre de son indépendance.

Quant à leur réalisation complète, le gouvernement hellénique ne saurait se faire illusion sur les nombreuses difficultés qu'elle rencontre.

La ferme résolution de l'Europe d'établir la paix en Orient, sans trop ébranler l'état des choses existant, indique au gouvernement hellénique les limites qu'il doit imposer à ses aspirations.

Ainsi le gouvernement doit limiter ses vœux et voir dans l'annexion de Candie et des provinces limitrophes au royaume, tout ce qui pour le moment pourrait être fait pour la Grèce.

Les vœux du gouvernement du roi ne s'opposent ni aux intérêts de l'Europe, ni à ceux de l'Etat voisin. Leur satisfaction serait l'accomplissement de la volonté ferme et tenace des populations de ces provinces, et donnerait le calme et une existence tenable au royaume.

Nous croyons que l'accomplissement des vœux cidessus énoncés est dans les intérêts de l'Europe. Sa volonté étant d'amener et de consolider la paix en Orient, l'annexion de ces provinces serait le moyen le plus efficace et le seul possible pour écarter toutes les causes qui pourraient dans l'avenir faire péricliter l'œuvre pacificatrice de l'Europe. On n'aurait qu'à se rappeler le passé de ces provinces, les causes qui les ont tant de fois agitées, et les moyens extrèmes auxquels ces contrées ont eu recours pour améliorer leur sort, pour être pleinement convaincus que les mêmes causes amèneraient, dans un avenir plus ou moins prochain, les mêmes tristes résultats.

D'ailleurs, l'Europe ayant vu dans la création du royaume hellénique une œuvre extrêmement civilisatrice, son agrandissement ne serait que le complément de cette œuvre.

L'annexion de ces provinces serait aussi dans l'intérêt de la Turquie. Elle lui éviterait dans l'avenir toute cause de troubles, qui ont tant de fuis épuisé son budget, compromis ses intérêts politiques, et aigri ses relations de bon voisinage, dont le royaume hellénique a été de tout temps si soigneux.

Quant à l'intérêt capital que ces provinces mêmes trouveraient dans leur annexion, il est généralement counu que, depuis un demi-siècle déjà, elles réclament leur union à la Grèce. Elles ont bien des fois, et hautement manifesté ce désir. Elles n'ont pas hésité même de prendre les armes à plusieurs reprises, et de s'attirer tous les malheurs de la guerre pour le réaliser. Il y a quelques mois à peine, une d'elles n'a pu être pacifiée que sur l'assurance formelle d'une grande puissance que la cause hellénique ne serait point lésée », et que cette puissance même dirait explicitement au Congrès « que cette pacification est due à son intervention ».

Une autre province, l'île de Candie, est encore en pleine insurrection, et d'après les dernières nouvelles le sang y coule en abondance.

Ne serait-ce pas une œuvre de justice et d'humanité que de satisfaire aux aspirations nationales de ces pays, de combler leurs vœux, tant de fois manifestes, et de leur épargner à l'avenir les destructions et les catas. trophes auxquelles ils s'exposent pour parvenir à une existence nationale?

Quant au royaume hellénique, toutes les manifestations des vœux nationaux des Hellènes de la Turquie ne peuvent naturellement que produire une profonde émotion dans le royaume hellénique.

Les originaires des provinces grecques de l'empire ottoman y comptent par milliers; un grand nombre en occupent des places distinguées dans toutes les branches de l'administration, dans la marine et dans l'armée, d'autres non moins nombreux s'y distinguent par leur ctivité industrielle et commerciale. Le contre-coup que la nouvelle d'une insurrection hellénique en Turquie produit dans leurs cœurs, est trop puissant pour ne pas les remuer. I pousse les uns à passer les frontières pour s'unir aux combattants; les autres à vider leurs bourses pour la cause commune. Cette commotion est vite communiquée à tous les habitants du pays, quoique non originaires des provinces combattantes, et la population entière du royaume, qui ne peut oublier ce qu'elle doit aux combattants antérieurs de ses frères déshérités, ni rester impassible vis-à-vis de leur lutte de délivrance, court se mettre dans leurs rangs pour les aider à reconquérir leur liberté.

Un état de choses pareil fait naftre chaque fois des crises sérieuses dans le royaume hellénique, qui rendent très-difficile la position de son gouvernement. Ne pouvant refuser ses sympathies aux Hellènes des provinces en question unis à la Grèce libre par des liens d'histoire, d'origine et de malheurs communs; ne devant afficher une indifférence qui le frustrerait de la confiance de l'hellénisme et étoufferait les justes espérances que les Hellènes de la Turquie ont de tout temps fondées sur la Grèce libre, tout gouvernement hellénique serait impuissant à résister au courant.

Crût-il même devoir le faire au sacrifice des intérêts les plus précieux du royaume, il serait renversé par le courant qui entraînerait le pays tout entier dans la lutte des provinces insurgées Dans le cas même cù le gouvernement aurait la force d'opposer une digue au courant national, tous ses efforts resteraient sans effet, à cause de l'étendue et de la conformation de la ligne frontière du royaume, qu'une armée de cent mille hommes même ne serait pas en état de garder de manière à pouvoir empêcher la sortie clandestine de volontaires.

La situation créée au gouvernement hellénique par

ces mouvements insurrectionnels n'en est pas moins difficile et intenable sous le point de vue financier. Le budget du royaume a bien des fois subi, et subit encore l'influence de pareils évènements. Aussi grande et éclatante que soit la différence entre le budget des recettes publiques dressé en 1829 par le président de la Grèce, et celui de l'exercice de l'année dernière, il n'en est pas moins vrai que les secours pécuniaires alloués chaque fois aux réfugiés des provinces insurgées et aux combattants repatriés, et les armements motivés par cette situation anormale et par les relations tant soit peu tendues avec l'Etat limitrophe qui en ont été toujours la conséquence, ont bien des fois englouti plusieurs millions, augmenté la dette publique et affecté à des dépenses infructueuses la plus grande part des recettes publiques, qui, déversées au déve loppement matériel du pays, en auraient bien plus en core augmenté les ressources et le bien-être.

Si de grandes et riches nations avec lesquelles la petite Grèce ne saurait jamais se mesurer ont toujours, en des circonstances analogues, ressenti les suites onéreuses de dépenses de même nature, il est bien naturel que le pauvre royaume hellénique, qui plus d'une fois s'est trouvé dans le cas de devoir faire face à de pareilles obligations, qui aujourd'hui encore entretient sur son territoire trente mille réfugiés, et doit s'occu per de préparatifs au-dessus de ses forces, il est bien naturel que non-seulement il se ressente de tout le poids de pareilles dépenses, mais qu'il en soit écrasé. Le gouvernement de Sa Majesté est pénétré de la conviction inébranlable qu'un pareil état de choses ne pourrait se prolonger. Il croit remplir un devoir qu'il ne lui est point permis de négliger en s'empressant d'exposer au Congrès cette situation et de le prier de bien vouloir y remédier en écartant les causes qui l'ont préparée.

M. de Bismarck annonça que cet exposé serait imprimé et distribué au Congrès qui l'examinerait avec attention. Puis, après quelques paroles de M. Ranghabé, qui affirma de nouveau que les accroissements demandés par son collègue étaient nécessaires non-seulement à l'existence même de la Grèce, mais à la paix de l'Orient, les plénipotentiaires grecs se retirèrent.

La question grecque fut reprise dans la treizième séance (5 juillet). L'ordre du jour ayant appelé l'article 15 du traité de San-Stefano, relatif à l'île de Crète, M. Waddington, premier plénipotentiaire de France, demanda à faire une communication au Congrès. Après avoir donné en quelques mots, à ses collègues ottomans, l'assurance qu'il éviterait toute considération rétrospective sur les causes des maux qu'il s'agissait de guérir, M. Waddington exposa sa conviction. que, tant que la Sublime-Porte n'aurait pas satisfait dans une mesure suffisante les aspirations de la race hellénique, la Turquie resterait exposée sur sa frontière à des agitations sans cesse renaissantes. Voici, d'après le protocole, le résumé officiel de son discours :

« L'objet du Congrès n'est pas sans doute de donner satisfaction aux aspirations excessives de certains organes de l'opinion hellénique; mais M. Waddington pense qu'on ferait une œuvre équitable et politique en lui adjoignant des populations qui seraient une force pour elle et qui ne sont qu'une cause de faiblesse pour la Turquie. Dans cet ordre d'idées, le ministre rappelle l'opinion d'un prince auquel la couronne de Grèce avait été offerte en 1830 et qui, depuis, appelé à régner sur un autre pays, s'est acquis, par sa sagesse, une grande autorité en Europe : ce prince considérait que la Grèce ne pouvait vivre dans les conditions territoriales qui lui étaient faites, notamment sans les golfes d'Arta et de Volo avec les territoires adjacents, et l'expérience a démontré la justesse de cette appréciation. La Grèce ne saurait prospérer dans ses limites actuelles son gouvernement ne peut emtêcher les difficultés et les conflits qui se reproduisent périodiquement à sa frontière, et les conditions économiques du pays ne lui permettent pas de suffire aux charges qui incombent à tous les Etats civilisés.

« Le premier plénipotentiaire de France croit donc servir également les intérêts des deux pays en proposant au Congrès d'indiquer d'une manière générale, et sans porter atteinte à la souveraineté de la Porte, les limites qu'il voudrait voir assignées à la Grèce. L'autorité de la haute assemblée européenne donnerait aux deux gouvernements ottoman et grec la force morale nécessaire au premier pour consentir à des concessions opportunes; au second pour résister à des revendications exagérées.

« Mais, pour atteindre ce but, Son Excellence pense qu'il faut, d'une part, ne point solliciter de la Porte des sacrifices impossibles; de l'autre, faire appel à la modération de la Grèce. Le premier plénipotentiaire de France a donc regardé comme utile de tracer, comme base aux négociations, une ligne générale montrant, à la fois, à la Turquie la mesure des intentions de l'Europe, et à la Grèce les limites qu'elle ne doit point dépasser. Tel est l'objet de la résolution suivante qu'il a l'honneur de soumettre, d'accord avec le premier plénipotentiaire d'Italie, aux délibérations du Congrès:

« Le Congrès invite la Sublime-Porte à s'entendre avec la Grèce pour une rectification de frontières en Thessalie et en Epire, et est d'avis que cette rectification pourrait suivre la vallée du Salamyrias (ancien Peneus), sur le versant de la mer Egée, et celle du Kalamas, du côté de la mer Ionienne.

« Le Congrès a la confiance que les parties intéressées réu-siront à se mettre d'accord. Toutefois, pour faciliter le succès des négociations, les puissances sont prêtes à offrir leur médiation directe auprès des deux parties. »

Aux arguments développés par M.Waddington, le comte Corli ajouta quelques mots au nom du gouvernement et du peuple italiens « dont il se faisait, dit-il, l'interprète en adressant aux plénipotentiaires de la Turquie un appel amical dans le sens de la proposition soumise au Congrès. » Sur la demande du président, l'assemblée résolut de discuter la proposition ainsi présentée par les plénipotentiaires de France et d'Ita'ie immédiatement après le vote de l'article relatif à la Crète. C'est le comte Andrassy qui prit le premier la parole pour déclarer qu'il se ralliait à la motion proposée.

Chose qui parut étrange parce qu'on ignorait encore la convention du 4 juin et le rapprochement intime qui s'é ait fait entre l'Angleterre et la Turquie, les plénipotentiaires anglais sur le concours desquels les Grecs croyaient pouvoir compter avec certitude après toutes les promesses qui lui avaient été faites et les chaudes sympathies qui lui avaient été témoignées, les plenipotentiaires furent seuls à montrer de la mauvaise volonté au sujet de la proposition de M. Waddington. Lord Beaconsfield reconnut que la frontière tracée en 1831 était imparfaite et insuffisante, mais il ajouta que le Congrès ne s'était pas réuni pour procéder au partage de la Turquie et que par conséquent la Grèce s'était trompée en comptant sur des agrandissements territoriaux. Il ne s'opposa pas cependant à l'adoption de la proposition, mais il posa ses réserves de la façon suivante. Nous citons le protocole :

«Revenant à la Grèce, lord Beaconsfield dit que personne ne saurait douter de l'avenir de ce pays, mais que les Etats, comme les individus qui ont un avenir, sont en mes re de pouvoir attendre. En même temps, Son Excellence est convaincue que la Grèce et la Turquie procéderont à la rectification de leurs frontières, qu'une cause de discordes et de troubles sera ainsi écartée et une paix durable assurée. Le premier plénipotentiaire de la Grande-Bretagne ajoute qu'il ne voudrait pas recommander, pour atteindre ce but, des mesures coercitives. A ses yeux, le Sultan, éprouvé par de si grands malheurs, mérite beaucoup de respect et de sympathie. Son Excellence croit cependant qu'il ne faudrait point laisser passer l'occasion d exprimer d'une manière

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