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sultan une impression assez vive. Edhem-Pacha les combattit par le raisonnement suivant: Il ne s'agissait plus de transiger avec la Russie ou de mettre l'Europe de nouveau en tiers dans la paix à intervenir. Toute paix obtenue dans ces conditions ferait à la Turquie une existence intolérable. Il fallait que, cette fois, la question d'Orient fût résolue radicalement, c'est-à-dire que la Russie reculât, ou que la Turquie succombât ou disparût. Etant donnée, d'ailleurs, l'alliance des trois empereurs, le sultan n'avait pas trop à compter sur une médiation efficace des autres puissances. Celles-ci se montreraient, dans les négociations pour la paix, aussi complaisantes envers la Russie qu'elles avaient été timorées dans leur attitude pendant la guerre. Edhem-Pacha demandait donc au sultan de choisir entre lui et les prtisans de la paix directe. Si sa politique ne devait pas prévaloir dans le gouvernement, il aimait nieux se retirer tout de suite.

Le sultan était fort perplexe entre ces deux avis et hésitait beaucoup à prendre un parti. Savfet et Sadyk-Pacha conseillaient la paix, le vieux Mehemet-Ruchdi, Djevdet et le cheikh-ul-islam opinaient pour la continuation de la guerre. C'est alors qu'apparaît la funeste influence de M. Layard; Edhem-Pacha avait eu une entrevue avec lui. Effrayé de l'idée que le sulten pouvait être amené à demander directement la paix à la Russie, l'ambassadeur anglais s'empressa d'accourir au palais et d'y plaider la cause du grandvizir. Le sultan reculait toujours devant la resJonsabilité d'une décision à prendre dans une matière aussi grave. M. Layard lui conseilla alors de se retrancher derrière la Constitution, qui fait de lui un souverain irresponsable. Et il ne quitta le palais qu'après avoir obtenu du sultan le maintien du grand vizir et de la politique belliqueuse que représentait Edhem. Sans cette intervention, Edhem-Pacha serait très-probablement tombé comme il tomba quelques semaines après et Savfet-Pacha aurait pris sa place; la Turquie aurait pu obtenir les conditions du memorandum du 8 juin; elles étaient dures; mais ce n'était pas encore l'effacement de la puissance ottomane en Europe, auquel elle devait se résigner plus tard.

La chute de Plevna arrivant comme un coup de foudre à Constantinople où on ne la croyait pas si prochaine, ôta subitement toute influence au parti de la guerre, car on entrevit immédiatement les conséquences de ce grand événement : 150,000 hommes devenus libres, franchissant les Balkans et descendant comme un torrent irrésis

tible dans les plaines de la Roumélie. Mais M. Layard, si graves que furent les circonstances, obtint encore que la Porte, au lieu de s'adresser directement à la Ru-sie, s'adresserait à l'Europe. Le 12 décembre, le ministre des affaires étrangères expédia aux représentants ottomans auprès des grandes puissances, la circulaire suivante qui demandait la médiation de l'Europe:

Monsieur,

Tout le monde connaît l'origine des événements malheureux qui s'accomplissent depuis quelque temps dans l'empire. Le gouvernement impérial a la conscience de n'avoir en rien provoqué la guerre que nous soutenons contre la Russie et d'avoir, au contraire, tout fait pour l'éviter. A la voix de leur souverain, 1s populations de l'empire sont accourues pour remplir simple. ment, héroïquement un devoir: celui de défendre leur territoire menacé. Mais, de leur côté, elles n'ont menacé et ne menacent personne.

On chercherait en vain les motifs que pourrait allé guer la Russie pour justifier son agression. Désiret-elle voir se fonder et se développer au profit de certaines populations qui font l'objet de sa sollicitude des institutions et des réformes propres à améliorer leur sort? La Sublime-Porte est allée au-devant de ce désir, en se décidaut à réorganiser son système administratif et à réaliser dans le pays des reformes utiles et pratiques, destinées à satisfaire les vœux de tous ses sujets, sans distinction de race ou de religion. Cette œuvre de réorganisation gouvernementale et administrative a pour base la Constitution octroyée par S. M. I. le sultan.

Le pays a accueilli avec bonheur et reconnaissance cette charte, dont l'application, libre de toute entrave est appelée à produire tous les effets que l'on a en vain attendus de mesures incomplètes et de réformes dépourvues de sanction.

Une réforme partielle qui ne viserait que certaines province, à l'exclusion du reste de l'Empire, présente rait de graves inconvénients. En effet, dans l'ordre administratif, les exceptions et les faveurs qu'on accorderait à certaines provinces auraient inévitablement pour conséquence d'opposer les unes aux autres les populations de races diverses qui vivent sous le sceptre de S. M. I. le sultan et seraient une prime offerte à la révolte.

Si quelque doute pouvait encore subsister sur l'exécution rigoureuse de notre constitution et des réformes que nous avons promises dans la Conférence de Constantinople, ce doute doit disparaître devant la déclaration formelle et solennelle que nous faisons de la sincérité de nos résolutions.

C'est une garantie que nous offrons et dont nous convions l'Europe à prendre acte.

La véritable et unique cause des entraves qui peuvent ralentir nos efforts dans cette voie se trouve dans le maintien de l'état de guerre.

Cette situation n'est pas seulement fâcheuse au point de vue des réformes, elle est également funeste à la prospérité générale du pays. Elle tue l'agriculture et l'industrie, en maintenant sous les drapeaux les travailleurs les plus valides, elle impose au Trésor des charges énormes et met ainsi obstacle à toute amélioration de

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Péripéties diverses de la campagne, et les deux armées en présence se sont également couvertes de gloire sur les champs de bataille.

Dans quel but porteraient-elles plus longtemps la désolation et la ruine dans leurs pays respectifs!

Nous pensons, au contraire, que le moment est venu où les deux parties peuvent accepter la paix sans forfaire à leur dignité, et où l'Europe peut actuellement imposer ses bons offices.

Quant au gouvernement impérial, il est prêt à le demander. Non pas que le pays se sente au terme de ses ressources. Il n'y a pas de sacrifices que la nation tout entière ne s'impose pour maintenir l'indépendance et l'intégrité de la patrie. Mais le devoir du gouvernement impérial est d'arrêter, si c'est possible, une plus grande effusion de sang. C'est donc au nom de l'humanité que nous faisons appel au sentiment de justice des grandes puissances, et nous espérons qu'elles voudront bien accueillir favorablement notre démarche.

Veuillez donner lecture de cette dépêche à Son Ex

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de Constantinople et essayer l'application des réformes sans autre garantie que la parole du gouvernement ottoman, tant de fois parjurée, avait l'air d'une mauvaise plaisanterie. Dès le 16 décembre, lord Odo Russell télégraphiait de Berlin « L'empereur d'Allemagne refuse d'accéder « à la demande de la Porte pour une médiation. >> Tout était dit. L'Autriche et l'Italie emboîtant le pas derrière l'Allemagne, le projet de médiation européenne s'évanouit.

Le gouvernement autrichien fit la réponse suivante :

Nous appelons de nos voeux la cessation de l'effusion du sang et la fin de la guerre. A nos yeux la circulaire ottomane n'offre cependant pas de base à des négociations de nature à amener le rétablissement de la paix.

Les devoirs de la neutralité ne permettent pas de

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prendre l'initiative d'une médiation entre les deux belligérants, qui nous placerait dans la nécessité de formuler des propositions de paix.

Par contre, le cabinet impérial et royal se réserve sa participation, une fois que des négociations seraient entamées entre les belligérants. Il se réserve également l'influence légitime qui lui revient comme « puissance garante» et limitrophe au règlement définitif de l'état de choses en Orient.

S'accrochant à ce terme de « puissance garante » que l'Autriche avait glissé dans sa réponse, le gouvernement ottoman essaya de croire que l'Europe maintiendrait contre la Russie le traité de 1856, et, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Vienne, il accusa de la façon suivante réception de cette réponse :

« Le soussigné, ambassadeur de la Sublime-Porte auprès du gouvernement impérial et royal, a l'honneur de porter à la connaissance de S. Exc. le comte Andrassy, que la Sublime-Porte a reçu avec la plus vive satisfaction la communication du gouvernement impérial et royal, en date du 27 décembre, en réponse à la circulaire du gouvernement impérial ottoman du 12 décembre, dans laquelle le gouvernement impérial et royal, invoquant sa qualité de puissance garante, rappelle et confirme ainsi de nouveau, le traité de 1856, qui maintient l'intégrité et l'indépendance de l'empire

ottoman.

« Le soussigné a l'honneur, etc. #

Mais le cabinet autrichien s'empressa de détromper les Turcs en constatant publiquement qu'il était inexact que le terme de puissance garante signifiât garantie de l'intégrité de la Turquie.

A la suite de cet insuccès de la circul ire, deux courants se produisirent dans le gouvernement ottoman; ceux des hommes d'Etat turos qui commençaient à voir clair dans le jeu de l'Angleterre essayèrent d'amener le sultan à demander un armistice au czar et à traiter directement avec lui; ils étaient soutenus par le prince de Reuss, ambassadeur d'Allemagne à Constantinople. Les autres, considérant comme impossible que l'Angleterre s'en tint à une neutralité absolue quand l'existence même de la Turquie était en jeu, conseillèrent de demander la médiation de cette puissance. Ce furent ces derniers qui l'emportèrent grâce à la conduite équivoque du cabinet anglais qui sembla un moment leur donner raison.

Le 24 décembre, lord Derby annonçait à M. Layard qu'une médiation commune des puissances européennes était impraticable, attendu que l'Allemagne refusait d'y prêter son concours; mais en même temps, et par la même dépêche, le ministre « s'informait si le sultan voudrait <«< que le gouvernement anglais cherchât à con« naître comment le czar recevrait des ouvertures a de paix. "

On comprend avec quel plaisir la Porte dut relever une pareille insinuation, qui confirmait ses plus chères espérances. Deux jours après, Musurus-Pacha, l'ambassadeur ottoman à Londres, écrivait à lord Derby pour lui annoncer qu'il venait de recevoir du sultan l'ordre de solliciter la médiation de S. M. britannique. « La

Sublime-Porte est convaincue, ajoutait-il, que « cette médiation ne sera pas refusée par son an<< cien et constant ami. » L'occasion eût été bonne pour s'expliquer sur ce mot médiation, jusqu'au dernier moment sur les véritables dont se servaient les Turcs et qui les abusa intentions de l'Angleterre, mais lord Derby la laissa échapper. Quand une puissance accorde sa médiation à une autre puissance vaincue, c'est qu'elle est disposée à l'appuyer même par les armes auprès du vainqueur, et il n'entrait pas dans les vues de lord Derby d'engager son gouvernement jusque-là, mais il se souciait bien moins encore d'apprendre aux Turcs qu'ils ne devaient attendre de lui qu'une aide toute platonique, car c'eût été les réduire à la nécessité de traiter directement ave la Russie et c'est ce qu'il cherchait à empêcher à tout prix.

L'attitude du ministre des affaires étrangères anglais dans cette circonstance est vraiment difficile à qualifier; il ne voulait pas que la Turquie traitât directement avec la Russie, parce anglais en Orient et eût discuté les conditions de qu'alors elle eût fait bon marché des intérêts paix sans en tenir compte; pour l'empêcher il fit nettement peser sa volonté dans la balance, n'y avait qu'un moyen, c'était que l'Angleterre quitte à déclarer la guerre s'il fallait aller jusquelà. Il n'y avait pas de milieu entre ces deux rôles : ou s'abstenir et supporter les conséquences de son abstention, ou intervenir et aller jusqu'au bout. Or lord Derby ne put se résoudre à prendre l'un ou l'autre ; il ne voulait point de la guerre ni d'une attitude qui pourrait y conduire, mais anmoins voulu s'en assurer les bénéfices. Il comptout en répudiant le rôle de médiateur, il eût nétait probablement sur quelques circonstances favorables qui eussent permis à la Turquie de se tirer à bon marché des mains de la Russie et il espérait pouvoir s'en donner le mérite en laissant croire jusqu'au dernier moment à la Porte pensait sans doute que la ligne des Balkans requ'il était décidé à ne point la laisser écraser. Il tiendrait longtemps encore les Russes, que la guerre en se prolongeant lui donnerait le temps d'entrainer l'Autriche dans une action commune et qu'il avait tout à gagner en temporisant sans

se compromettre ni envers l'un ni envers l'autre des deux adversaires. Cette louche politique aboutit à une catastrophe; il se trouva que l'Angleterre lia en quelque sorte les mains de la Turquie pendant que la Russie lui portait les derniers coups et l'achevait, et son influence en Orient en reçut un échec dont elle ne se relèvera peut-être jamais.

Lord Derby ne rectifia donc pas ce mot « médiation » dont se servait Musurus, et lui laissa croire qu'il l'acceptait. Sans discuter sur les termes, il s'empressa d'adresser ses instructions à lord Loftus, ambassadeur anglais à Saint-Pétersbourg, afin de l'inviter à s'informer si l'empereur de Russie était disposé à recevoir des ouvertures de paix. Le 28 décembre, lord Loftus eut une entrevue avec le prince Gortchakof, et voici comment il en rendait compte le lendemain dans une dépêche adressée à lord Derby :

Ma communication a été très courtoisement reçue par le prince Gortchakof. Celui-ci m'a répondu que la Russie ne souhaitait rien tant que d'arriver à la paix; mais il a ajouté que, pour atteindre ce but, il fallait que la Porte s'adressât elle-même aux chefs des armées russes en Europe et en Asie, qui lui feraient connaître les conditions auxquelles un armistice serait accordé.

mistice, et qu'elle priait le gouvernement de la reine de demander à la Russie de donner à ses généraux l'ordre de suspendre les opérations militaires pendant qu'on s'occuperait d'arrêter les conditions de cet armistice. Le même jour, lord Derby recevait de Saint-Pétersbourg la réponse à sa dépêche de la veille. Le gouvernement russe refusait d'admettre que les conditions de l'armistice pussent être débattues entre les deux gouvernements, c'était l'affaire des commandants militaires, et le prince Gortchakoff s'en tenait à ses déclarations précédentes.

La Porte, disait-il, doit s'adresser directement, au moyen de quelques personnes notables et de confiance, aux commandants en chef russes en Europe et en Asie. La Russie n'a pas demandé d'armistice; elle a indiqué seulement la voie à suivre pour arriver à la paix, et les commandants militaires ont reçu des instructions pour déterminer les conditions auxquelles l'armistice pourra être conclu.

La dépêche de lord Loftus est datée du 29 décembre. Le Blue Book n'en contient aucune autre jusqu'au 4 janvier. Pendant cet intervalle de silence, que faisait le gouvernement anglais? Il délibérait sur la manière dont il devait accepter la réponse russe qui, sous une forme polie, équiva-pris,

lait à un refus de la médiation. Deux ou trois conseils de cabinet se succédèrent pour agiter cette grave question. Le 2 janvier, lord Carnarvon, dans un discours adressé à une députation de négociants du Cap, sembla engager d'avance la politique anglaise dans le sens d'une inaction absolue, et le 4, enfin, lord Derby répondit en ces termes à la déclaration du prince Gortchakoff :

Bien que la Porte n'ait point demandé d'armistice, le gouvernement anglais ne se refuse pas à lui transmettre la suggestion du gouvernement russe, pourvu que la communication soit conçue de manière à pou voir conduire à un résultat pratique. Il est évident que l'armistice projeté, pour être efficace, doit s'étendre aux opérations d'Europe et d'Asie; il ne serait pas complet sans la participation de la Serbie et du Montenegro; il est, par conséquent, indispensable que les conditions de l'armistice soient discutées par les deux gouvernements, et non pas seulement par les généraux qui ne commandent qu'une portion des forces belligé

rantes.

Le lendemain, Musurus-Pacha apprenait à lord Derby que la Porte acceptait le principe d'un ar

Ce nouvel échec mettait l'Angleterre dans l'obligation de prendre enfin une attitude nette : il lui fallait ou imposer sa médiation à la Russie ou abandonner la Turquie. Jamais cette dernière n'avait encore été dans une passe aussi critique; les funestes conseils de l'Angleterre venaient de lui faire perdre quatre semaines pendant 1squelles sa situation militaire s'était singulièrement aggravée; les Serbes lui avaient déclaré la guerre, les Balkans avaient été franchis en plein hiver par Gourko, Sofia était l'invasion de la Roumélie commençait et ces grands succès fournissaient aux Russes des motifs irréfutables pour augmenter leurs exigences. On a vu ce qu'ils demandaient avant le passage des Balkans, qu'allaient-ils demander maintenant et que ne demanderaient-ils si un armistice ne les arrétait pas immédiatement? C'est alors que lord Derby recula et que, dévoilant enfin les véritables intentions de l'Angleterre, il dissipa les illusions de la Turquie qu'il avait entretenues jusque-là. Le 7, Musurus-Pacha vint le voir :

J'ai dit à S. Exc. l'ambassadeur turc, écrivit lord Derby à M. Layard, qu'il nous était impossible de faire ce qu'il demandait, car j'étais sûr qu'aucune proposition faite dans ce sens au gouvernement russe n'oltendrait de réponse favorable, et qu'il était inutile de faire une démarche qui n'aurait, nous le savons d'avance, aucun résultat.

Pour la première fois, lord Derby repoussa ce mot de médiation qu'il avait laissé passer jusquelà sans protester.

J'ai expliqué à Musurus-Pacha, poursuivait-il, qu'il était inexact de croire que l'Angleterre eût accepté la position de médiatrice dans cette querelle. Le gouvernement de Sa Majesté a offer top simplement de cher

heureuse puissance jusqu'au fond de l'abîme, il ressemblait à une dérision.

cher à savoir si l'empereur de Russie était décidé à | plète; maintenant qu'on avait poussé cette malaccepter des ouvertures de paix. Dans la même conversation, j'ai saisi l'occasion de rappeler à l'ambassadeur turc que notre langage n'avait jamais varié depuis le commencement de la guerre jusqu'au moment actuel. Le gouvernement de la reine a déclaré son intention de maintenir sa neutralité, sous certaines conditions que nous avons clairement définies et qui concernent les intérêts britanniques. J'ai jugé à propos de répéter une fois encore cet avertissement si souvent donné, afin qu'aucune fausse espérance ne pût être provoquée, »>

Le 8 janvier, lord Derby télégraphia à lord Loftus qu'ayant appris du prince Gortchakoff « que les commandants militaires turcs avaient reçu leurs instructions du gouvernement central,» il était prêt à conseiller à la Porte d'envoyer des délégués au quartier général ennemi. En effet, un conseil de ce genre fut adressé le même jour au gouvernement turc. Il était vraiment temps. Si ce conseil avait été donné un mois plus tôt, l'Angleterre eût fait œuvre d'amie et la Turquie eût été sauvée d'une ruine com

Le lendemain, lord Loftus voyait le prince Gortchakoff qui lui annonçait que les instructions nécessaires avaient été envoyées depuis quelques jours aux commandants en chef russes. Ce jour-là, les Russes, qui pouvaient s'attendre encore à une vigoureuse résistance en Roumélie, eussent sans doute consenti à l'armistice, mais le lendemain un des événements les plus considérables de la guerre vint modifier complétement leurs intentions; la dernière armée régulière que possédait la Turquie, celle de Schipka, fut faite prisonnière. Dès lors, ils ajournèrent la signature de l'armistice par toute espèce de subterfuges et leurs armées, roulant comme une avalanche à travers un pays ouvert et chassant devant elles les troupeaux d'hommes recrutés à la hâte qu'on leur opposait, ne s'arrêtèrent que lorsqu'elles eurent en quelque sorte pris possession de la Turquie.

XXXVIII.

LA SITUATION MILITAIRE APRÈS LA CHUTE DE PLEVNA

Les dernières ressources de la Turquie

Grâce à la politique équivoque de l'Angleterre, à l'indécision de la Turquie qui ne sut pas s'adresser à temps directement à la Russie et plus tard au mauvais vouloir de cette dernière relativement à la conclusion de l'armistice, la guerre continua donc après la chute de Plevna.

De même que l'apparition de l'armée de Widdin sur la droite des Russes avait eu au mois de juillet précédent pour conséquence de modifier le caractère des opérations militaires, de même la reddition de cette armée devait exercer une influence décisive sur la suite de la campagne. Elle livrait aux Russes toute la Bulgarie occidentale,

la seule place de Widdin était capable de résisIce, et elle rendait disponible une armée aguer. 1e, rompue à la manière de combattre des Turcs et qui allait, par son seul poids, forcer toutes les barrières des Balkans en quelques jours. Désormais la lutte, transportée en Roumélie, ne sera plus égale, les Turcs lutteront avec une disproportion numérique que l'incapacité des chefs, la mauvaise qualité des soldats et l'absence de points fortifiés d'avance rendront irréparable.

La Turquie avait fait des efforts admirables pour soutenir la guerre. Nous avons déjà dit

que les forces militaires de l'empire ottoman se divisent, d'après la loi de 1869, en trois grandes catégories : l'armée permanente, les rédifs, l'armée sédentaire ou musthafiz. L'armée permanente se subdivise elle-même en armée active (nizamié) et en réserve (ihtyat). Dans l'armée active, la durée du service est de quatre années pour l'infanterie et de cinq années pour la cavalerie et l'artillerie. Puis les soldats de l'armée active passent dans la réserve (ihtyat) où la durée du service est de deux années pour l'infanterie et d'une année pour la cavalerie et l'artillerie.

Après cela, tous ces hommes passent dans la catégorie des rédifs, qui forment en réalité une nouvelle réserve, et se subdivisent en deux bans dans chacun desquels chaque homme est inscrit pendant trois ans, soit un service total de six années dans la catégorie des rédifs. A la fin dę leur service, les rédifs sont rayés des registres de cette catégorie et inscrits sur ceux de l'armée sédentaire ou musthafiz, qui correspond par son organisation à notre armée territoriale. On reste inscrit pendant huit ans comme musthafiz, de telle sorte que le soldat turc donne à l'Etat un total de vingt années de service militaire, de l'âge de vingt à celui de quarante ans.

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