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et de trois transports. Ces derniers débarquèrent | diplomatie ne lui laisserait pas la possession, il

à l'embouchure de la Bojana quelques bataillons dont Hakki-Pacha vint prendre le commandement. Les cuirass's signifièrent le blocus de la côte de Spitza à Dulcigno et vinrent à plusieurs reprises tirer des salves de coups de canon contre Antivari, qu'occupaient les Monténégrins; mais comme cette ville est à cinq kilomètres dans l'intérieur des terres, cette canonnade resta inoffensive. Celle qui fut dirigée contre la batterie que les Monténégrins avaient relevée sur la pointe de Volvizza, à l'entrée de la rade, ne fut pas plus efficace. Le siége n'en continua pas moins.

Comme les troupes débarquées à l'embouchure de la Bojana donnaient quelques inquiétudes aux Monténégrins qui investissaient la citadelle de Bar, bien qu'elles ne sortissent point du camp où Hakki-Pacha les avaient enfermées, le voïvode Bojidar Petrovitch les attaqua le 23 décembre, les délogea de leur camp en leur tuant beaucoup de monde, fit prisonnier un tabor de nizams tout entier, captura une grande quantité de munitions et de vivres et enleva un drapeau. Le 26, il occupa Dulcigno et l'escadre turque étant arrivée pour essayer de secourir Hakki-Pacha, l'artillerie monténégrine mit le feu à deux de ses vapeurs qui furent entièrement dé'ruits.

Les vivres de la citadelle de Bar s'épuisant de plus en plus et voyant que le terme où il devrait capituler s'approchait, Ibrahim-Bey eut recours à un expédient désespéré. Ne voulant à aucun prix se rendre aux Monténégrins il déclara au consul d'Autriche-Hongrie qu'il livrerait la place à cette puissance. Informé du fait, le prince de Monténégro fit savoir au commandant turc qu'il observerait avec tout le respect voulu la décision de l'empereur François-Joseph. Le gouvernement autrichien déclina naturellement cette étrange proposition.

Le 10 janvier 1878, la garnison à bout de munitions et de vivres dut enfin se rendre. Les cuirassés turcs qui avaient essayé, en bombardant la côte, d'arrêter les Monténégrins dans leurs opérations, se retirèrent vers le sud. Le prince et ses soldats se montrèrent respectueux envers les vaincus, et ni les blessés, ni les prisonniers (au nombre de 1,400) ni les habitants de la ville n'eurent à se plaindre. Une grande quantité de poudre, 15 canons, ainsi que des armes et des provisions, furent trouvés dans la citadelle.

Le prince était désormais maître du pays qu'il désirait annexer à ses états. Au lieu de tourner ses vues sur Scutari, dont il pressentait que la

revint vers le nord afin de compléter les rectifications de frontières qu'il pouvait espérer voir légitimer par les puissances. Il attaqua les forts des îles de Grmoyour, de Lessendra et de Vranina établis sur les limites de la partie turque du lac de Scutari, les réduisit l'un près l'autre par quelques heures de bombardement, dans les derniers jours de janvier, y prit 17 canons, 1,200 fusils, beaucoup de munitions et de vivres, et y fit 800 prisonniers.

Il s'apprêtait à profiter des offres de reddition que lui faisaient les villes fortifiées de Schabliak et de Spouj et seize fortins et blokhans de cette région, lorsqu'il apprit que la Russie avait conclu un armistice dans lequel se trouvait compris le Monténégro.

Epuisement de la Bosnie, de l'Herzégovine et du Monténégro.

L'armistice trouva les malheureuses provinces. du nord-ouest de la Turquie ab olument épuisées. L'Herzégovine, à proprement parler n'était plus qu'un désert; des 230,000 habitants qu'elle possédait avant la guerre, il ne lui en restait pas 50,000. Certains districts de la Bosnie avaient élé tout aussi cruellement éprouvés. Quant au Monténégro, il était complétement ruiné. Pour bien comprendre le caractère de férocité et de dévastation que la guerre avait eu dans la Bosnie et l'Herzégovine, il faut se rappeler que ce n'est point des armées régulières qui s'y battaient, mais la population même qui s'entre déchirait, une portion égorgeant l'autre. D'après M. Elisée Reclus, il y avait en Bosnie 360,000 catholiques grecs, 122,000 catholiques romains et 300,000 musulmans; en Herzégovine, 130,000 catholiques grecs, 42,000 catholiques romains et 55,000 musulmans. Les catholiques romains détestant autant les catholiques grecs que les musulmans, ne s'associèrent point généralement aux haines et aux entreprises des uns ni des autres; mais pris entre le marteau et l'enclume, beaucoup durent émigrer de bonne heure. Quant aux grecs et aux musulmans, pendant trois ans ils se firent une guerre sans pitié. Selon qu'un parti l'emportait dans une localité, les gens de l'autre étaient massacrés, les maisons incendiées, les récoltes détruites et les bestiaux enlevés. Hommes de même race, ils se haïssaient de ces haines qui ne se conçoivent qu'entre frères, et les chrétiens se montrèrent

aussi féroces que les musulmans. Un correspon- |
dant de la République française qui avait assisté
à un de leurs combats raconte : « Vit-on jamais
un plus horrible exemple de barbarie que celui-
ci après avoir tué les trois quarts de leurs ad-
versaires, les insurgés infligèrent aux survivants
tous les supplices qu'un esprit de vengeance sau-
vage puisse inspirer : ils coupèrent le nez et les
oreilles aux malheureux soldats turcs. Deux ré-
difs eurent les yeux arrachés; trois autres, qui
s'étaient bravement défendu, furent mis en
pièces. Cinq Turcs, affreusement mutilés, mais
respirant encore, furent traînés par les jambes
sur un rocher, d'où ils furent jetés dans un pré-
cipice. Alors ces braves défenseurs de la
liberté se mirent à chanter et à crier. - Entre
autres, on pouvait distinguer ces mots : « Bog
pozivi severnoga stritza!» ce qui veut dire : « Que
Dieu sauvegarde l'oncle du Nord (le Russe). »

On conçoit ce qui peut rester d'un pays livré pendant trois ans à de pareilles bandes de sauvages, à un régime de feu et de sang. Il n'y eut plus de sécurité nulle part pour personne et la population paisible émigra en masse soit en Autriche soit dans le Monténégro, pour se mettre à l'abri des hasards de la guerre, emmenant ses bestiaux et emportant ce qu'elle avait de plus précieux. Pendant trois ans cette émigration fut continue encombrant peu à peu la Croatie autrichienne, la Dalmatie et le Monténégro d'un surcroît de population qui eût péri de faim sans les secours des gouvernements autrichien et russe. La défaite complète de Despotovitch à Votok lui communiqua un redoublement d'intensité parce qu'au lieu d'avoir pour conséquence la pacification du pays, elle ne fit qu'en augmenter l'insécurité. «En réalité, écrivait de Serajevo, au mois de décembre 1877, un correspondant de l'Univers, la situation a bien empiré. Les insurgés au moins combattaient pour une idée; mais les bandes qui ont surgi à présent ne pensent qu'au pillage et au brigandage.

quittent leur patrie et, dénuées de tout, franchissent la Save ou l'Unna pour se réfugier en Autriche, où leur position est bien pénible, mais où au moins leur vie est en sûreté ?

« Ces émigrations offrent un aspect déchirant. Exposés au grand froid, les fugitifs manquent du plus strict nécessaire; la moitié périt en route souvent, abattus et fatigués, ils se laissent choir dans la neige et attendent que la mort vienne les délivrer de leurs maux. Sans compter tous les autres dangers, ils risquent encore de tomber entre les mains des bandes de brigands qui, sans faire de distinction, pillent sur le territoire turc et même sur le territoire autrichien. Ces brigands aiment à attaquer les fugitifs sans defense, s'ils ont encore sauvé quelque chose de leur avoir. D'ailleurs, ces brigands des frontières sont doublement dangereux : ils ne se contentent pas de piller, ils détruisent tout. Par exemple, à Pankraz, ils ont incendié par pur vandalisme les immenses forêts de ce district. »

Au mois de janvier 1878, il y avait plus de 200,000 réfugiés sur le territoire autrichien. Le gouvernement ayant à motiver la demande d'un crédit extraordinaire de 6 millions destiné à les secourir, communiqua aux délégations un rapport du conseiller ministériel Krauss adressé au ministre des finances relativement à ces réfugiés. Nous en extrayons les pas ages les plus intéressants : « Dans les contrées les plus favorisées de la Croatie et des confins militaires, dit le rapport, des bâtiments plus grands, plus spacieux sont à la disposition des réfugiés, mais dans les villages des Morlaques ou dans les montagnes stériles des environs de Raguse, l'encombrement est tel que beaucoup de familles de réfugiés ont dû chercher un asile dans des grottes, sous des tentes ou dans des huttes de pierre improvisées.

« Les Herzégoviniens se distinguent nettement des Bosniaques ou pour mieux dire des Croates turcs. Les Herzégoviniens, pour la plupart des bergers nés dans des montagnes inhospitalières, sont plus vigoureux, plus capables de résistance, et lors de l'explosion de l'insurrection, ils ont livré les premiers combats.

« Ces bandes se composent tantôt de chrétiens, tantôt de musulmans. Ces bandes pillent, brûlent, profanent à cœur joie, sins demander à leurs victimes si elles appartiennent à la religion chrétienne ou musulmane. Les chrétiens ont cependant plus à souffrir que les Turcs, parce que ces derniers peuvent plus facilement se défendre. Des rédifs et des musthafiz déserteurs parcourent le pays en bandes, s'installent où cela leur plaît, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, et font les réquisitions les plus révoltantes. Faut-il s'étonner que des centaines de familles paisibles | Mais dans l'immense majorité des cas, l'oppres

« Les réfugiés de la Croatie turque sont beaucoup plus mous; ce sont pour la plupart des cultivateurs nés dans une contrée fertile; ils sont moins habitués aux fatigues. Dans bien des cas, le seul motif déterminant de la fuite de ces familles a été la circonstance qu'un de leurs membres prenait une part active à l'insurrection.

le

sion des propriétaires fonciers musulmans et des | pluie ne suffit même plus aux besoins, qui augfermiers des impôts, ainsi que l'appréhension de l'explosion du fanatisme musulman, sont les causes qui ont poussé les réfugiés à l'émigration. Sur le théâtre des luttes, les familles chrétiennes ont été contraintes à la fois par leurs propres coreligionnaires et par les Turcs à prendre le chemin de l'exil afin de rendre le terrain libre pour les opérations. Dans beaucoup de cas, les Turcs n'ont pas empêché le départ; en bien des endroits, au contraire, ils étaient satisfaits de voir les chrétiens s'en aller. Une preuve de ce fait est le grand nombre de bestiaux que les réfugiés ont emmenés avec eux de quelques districts.

«En Croatie il y a 25,810 étrangers sur un territoire habité par 180,516 indigènes, ce qui fait un accroissement d'environ 14 1/4 pour 100. La majorité des émigrés appartient au culte grec oriental. Le reste sont des catholiques qui ne forment cependant une fraction considérable que parmi les réfugiés venus du Popovopolijé. Les réfugiés sont pour la plupart accompagnés de leurs pasteurs spirituels. Comme il ne paraissait pas convenable de laisser à des ecclésiastiques étrangers le soin d'exercer leur ministère sur les réfugiés, ceux-ci ont été confiés sous le rapport religieux aux curés indigènes. Cette mesure eut pour effet de forcer les réfugiés à aller dans les localités habitées par des coreligionnaires.

« Les réfugiés montrent peu d'empressement au travail et on ne les emploie guère qu'aux besognes les plus simples dans les maisons où ils out trouvé un asile. Vu l'indolence des Bosniaques et des Herzégoviniens, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils demandent spontanément du travail.

« Un autre obstacle qui empêche de les employer pour la construction des routes et des chemins de fer un peu éloignés, c'est qu'un membre d'une famille n'aime pas à prendre un engagement comme journalier sans que toute la famille fasse de même. A la suite de ces circonstances et du caractère des réfugiés, il est difficile de leur trouver des moyens de se créer des ressources accessoires, et ils dépendent entièrement des subsides du gouvernement et de la charité des indigènes. Outre que les réfugiés grèvent je trésor public, ils sont encore sous bien des rapports une forte charge pour notre population. L'encombrement dans les habitations et les nombreux cas de maladie deviennent de plus en plus sensibles avec la prolongation du séjour de ces étrangers, Le bétail des réfugiés doit aller aux pâturages des indigènes, et en Dalmatie l'eau de

mentent toujours. Originairement les réfugiés étaient les victimes des événements; en ce moment ils sont une charge pour tout le monde. »> On voit les lourdes charges que ces réfugiés imposaient tant aux habitants chez qui ils avaient demandé asile qu'au gouvernement même. Aussi dès que la paix fut signée, le cabinet de Vienne entra-t-il en pourparlers avec la Porte pour leur rapatriement, mais l'insécurité persistante du pays où le brigandage continua, l'impuissance de la Porte à donner des garanties de protection à ceux qui voulaient y rentrer, son indifférence pour des révoltés d'une province que le traité de Sun-Stefano détachait à moitié de l'empire, l'indolence même des populations émigrées qui s'étaient habituées à la paresse et ne paraissaient point pressées de renoncer à vivre de secours, firent que les négociations trainèrent fort en longueur.

Aux 200,000 réfugiés qui se trouvaient en Autriche il faut en ajouter 100,000 autres

quelques correspondants dont nous croyons l'estimation exagérée, disent même 200,000

qui avaient émigré dans le Monténégro. La petite principauté qui a peine en temps de paix à nourrir ses 200,000 habitants, en temps ordinaire avait vu ainsi sa population augmentée de moitié par les malheureux venus surtout de l'Herzégovine. Ces derniers, on le pense, furent beaucoup plus malheureux que ceux qui avaient pu passer en Autriche. A la fin de septembre 1877 le métropolite de Cettigne, Hilarion, dans un appel adressé à la générosité publique en Europe, disait :

« Le gouvernement du Monténégro a fait tout ce que l'humanité et l'amour fraternel pouvaient faire. Il a fait les plus grands sacrifices possibles; mais aujourd'hui, malgré son désir le plus ardent, il ne peut plus rien faire pour ce grand nombre de malheureux qui représentent un tiers de toute la population du Monténégro. La guerre pour la liberté demande au gouvernement de tels sacrifices, que ses forces sont presque épuisées. Jusqu'à présent, on a pu venir au secours des malheureux fugitifs, grâce aux dons généreux de nos nobles frères les Russes. Mais la misère augmente; un grand nombre de fugitifs sont venus de leur patrie n'apportant absolument rien avec eux. Les vêtements qu'ils avaient sont maintenant usés, de sorte que ces malheureux sont exposés pour ainsi dire à moitié nus à toutes les rigueurs du temps. Depuis surtout que les pluies d'automne ont commencé, c'est grand'

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