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dû se retirer dans son château, après avoir imploré en vain un regard du czar irrité contre le principal instigateur de la guerre. Maintenant il devait bientôt connaître de nouveau la disgrâce.

Après avoir passé la revue (1) au milieu des acclamations des soldats, le grand-duc Nicolas s'arrêta sur un point d'où il pouvait embrasser d'un coup d'œil toute l'armée et il annonça avec émotion « Enfants, avec l'aide de Dieu, nous avons conclu la paix en face de Constantinople. » Un formidable hourra sortit de vingt mille poitrines. A un mille de là, les soldats turcs vaincus, humiliés, entendaient les réjouissances de leurs adversaires et pleuraient silencieusement.

Tout le monde mit pied à terre et une imposinte cérémonie eut lieu, un service solennel fut célébré, le Te Deum fut chanté en vue de Trargrad et de Sainte-Sophie, cette te re promise de l'ambition russe; les 20.000 soldats s'agenouillèrent, on vit les héros de Plevna, de Schipka, d'Ar bKonak et de Philippopoli ployer la tête sous la bénédiction du prêtre. Jamais paix n'avait été célébrée dans des conditions plus dramatiques et plus pittoresques, au milieu d'un paysage au-si émouvant les deux armées face à face, le ciel tem.êtue x s'éclaircissant, la lumière décroissante du jour, la violen e du vent, le clapotage voisin des vagues se mêlant au chant des prêtres et aux réponses des soldats et le grondement de a mer de Marmara grossissant et s'apaisant alternativement. Le pay are qui est d'une grande beauté à San-Stefano formait un fond merveilleu-ement approprié au tableau.

On pressentait à Constantinople que la paix. devait être signée le 3 mars et on savait que, tout au moins une grande revue devait être passée ce jourlà. Le désir d'assister à ce double événement avait amené une foule énorme à San-Stefano. Les stean ers de Constantinople, ballotés par une mer houleuse, se succédai nt sans relâche apportent des milliers d'excursionnistes. Grecs, Arméniens, Bulgar s, Tures, encombraient le village, on se montrait et on entourait les héros de la guerre, les deux Skobelef, Gourko qui allaient donner des ordres à leurs troupes. On entendait s'entre-croiser toutes les langues de l'Europe et de l'Asie. La revue était annoncée pour midi, mais on n'avait pas prévu la résistance des plénipotentiaires tu cs à la dernière exigence des Ru ses; une heure, deux heures se passèrent. A quatre heures, rien encore, la pluie commença à tomber, mais la foule dont la curiosité était sur xcitée au dernier point resta à son poste. Enfin, vers cinq heures, le grand-duc Nicolas qui s'impatientait égale-chaient en relief vigoureux sur le ciel, ainsi que ment monta à cheval et se rendit à la maison où se discutait le traité et il demanda : « Est-ce prêt?» Puis il galopa vers la hauteur où l'armée était rangée en bataille depuis plusieurs heures.

A travers les eaux agitées de la mer, le dôme et les minarets élancés de Sainte-Sophie se déta

les points dominants de la lointaine silhouette de Stamboul. Plus loin encore, au sud, les îles des Princes s'élevaient comme de grands monticules, sombres et mas-ifs, sur la côte asiatique, et on savait que derrière elles était cachée la flotte an

pic blanc du mont Olympe dévoilait son majestueux sommet reflétant sur ses flancs couverts de neige les rayons empourprés du soleil couchant.

Après un nouveau moment d'attente, une voi-glaise. Au-dessus et beaucoup plus en arrière, le ture sortit du village. Elle contenait le général Ignatief, qui descendit, un rouleau de papiers à la main. et le remit au grand-duc en disant : « J'ai l'honneur de féliciter Votre Altesse de la signature de la paix. » Un immense hourra ui répondit et Mme Ignatief qui était présente lui sauta au cou enthousiasmée et l'embras a publiquemement. Le général venait en effet de remporter un grand succès et il en avait besoin. Quelques mois auparavant, lors des échecs subis par les armées russes, quand un nouvel effort des Turcs pouvait les rejeter dans le Danube, il avait

Le soir, le Sultan donna de la sincérité de la (1) Les troupes se composaient de l'escorte de S. M. l'Empereur, l'escorte d'honneur de la garde, la première brigade de la 1re division d'infanterie, les trois premiers régiments de la 2o division d'infanterie, la brigade de chasseurs de la garde, le bataillon de sapeurs de la garde, le bataillon d'escorte du commandant en chef, la 4 brigade de chasseurs, le régiment de lanciers et celui des cosaques de la gade, les 1re et 2e brigades d'artillerie de la garde et la batterie de cosaques du Don de la garde.

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RÉDUCTION DE LA CARTE ANNEXÉE AU TRAITÉ DE SAN-STEFANO

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LE CONGRÈS

I. LA RUSSIE ESSAIE DE SOUSTRAIRE LE TRAITÉ DE SAN-STEFANO A LA SANCTION DE L'EUROPE

Critique du traité de San Stefano.

Le 10 mars, le général Ignatief quilta Constan inople et partit pour Odessa à bord du yacht impé al le Wladimir; il était accompagné par Réouf-Pacha, le ministre de la guerre. Réouf portait à Saint-Pétersbourg le traité de paix revêtu de la signature du sultan, et il devait le rapporter couvert de la signature du czar. La Po te l'avait choisi avec l'espoir qu'il serait assez hable, ass z éloquent ou plutôt assez heureux pour obtenir directement de l'empereur quelques adoucissements au traité; il revint sans avoir pu faire changer une vir ule.

Grâce à l'affaissement de l'Europe, la Russie avait pu faire la guerre à loisir. Après la chute de Plevna, rien ne l'avait empêchée de remporter des succès militaires étourdis-ants et inespérés. Mais quand i s'ag t de tirerarti de ces succès, elle ne sut pas se contenir. Emportée par une am bition irréfléchie, e le se précipita sur sa proie vec un empressement, une avidité, une impatience de jouir, qui firent du traité de SanStefano une œuvre de brutalité sans précédent. Ce n'était plus la Russie des Nes-elrode, des Ribe upierre, des Pozzo di Borgo, des Capod'Is ri, des B. unow, ces étrangers habiles qui disciplinai nt l'intempérance de la nature slave, qui avait négocié ; c'était la Russie nouvelle, la Russie des Ignatiel, des Tchernaïeff, des Fadeïeff, etc., qui avait fait son apparition dans la diplomatie, comme elle venait de la faire dans la stratégie et la ta tique militaire. La paix de SanStefano fut faite de la même manière que la guerre avait été conduite par les généraux Gourko ét Skobelef. Ce fut une razzia, un read diplomatique, une aventure vio ente et en fin de compte lort inconsidérée, car cette violence secoua l'Europe de sa torpeur et la Russie dut comptr avec elle.

Ren n'est ménagé dans cet acte étrange, tout y est sacrifié à la satisfaction d'un monstrueux appétit; les intérêts des autres puissances, les

principes mêmes au nom desquels la guerre avai été fai e. Ce que la Russie avait voulu c'est asseoir définitivement sa domination dans la péninsule, et, à travers les articles compliqués, la rédaction un peu confuse du traité, elle arrive droit au but. Sous prétexte d'une « œuvre de piété filiale » à accomplir envers la mémoire de l'empereur Nicolas, elle prend la Bessarabie, c'est-à-dire l'embouchure du Danube. Dans la Turquie d'Europe proprement dite, elle ne s'annexe rien; elle

se

contente d'y établir quatre vassaux les princes de Roumanie, de Serbie. de Monténégro et le sultan, plus un prince de Bulgarie, qui sera purement et simplement un gouverneur russe. En Asie, ses conquêtes effectives sont déguisées sous la forme de l'acquittement en nature d'une indemnité que la Porte ne peut pas payer autrement. Restent 300 millions de roubles, plus de 1 milliard, que la Porte est aussi incapable de payer que les autres parties de l'indemnité. Quand et comment ces 300 millions de roubles seront-ils payés? Le traité évite de le dire; il est muet sur le mode du recouvrement et sur les garanties à y affecter; c'est un point laissé en suspens. La Turquie, dont le territoire européen est brisé en quatre morceaux, épuisée, frappée à mort, restera donc soumise à une obligation dont elle ne pourra jamais se débarrasser; elle sera vis-à-vis de la Russie comme le débiteur à l'égard du créancier, c'est-à-dire dans une servitude dont on n'aperçoit pas le terme.

Le voilà donc réalisé le rêve de- czars, toute la péninsule des Balkans est vassale de l'empire russe, les princes slaves de la Serbie, du Monténégroet de la Bulgarie sont ses clients naturels, la Roumanie, enclavée en territoire russe, doit subir son influence, et les quatre tronçons disloqués qui restent à la Turquie ne sont-ils pas des terres à lui? N'y recueillera-t-il pas l'impôt sous forme des rentes de l'indemnité de guerre? Est-ce que le sultan sera libre lorsque le czar pourra à chaque instant lui mettre sa créance sous la gorge?

Pour en arriver là, il a fallu fouler compléte

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