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autre côté, comme nous avons déjà cu occasion de l'établir, un État est, dès le moment de sa constitution, souverain dans ses relations intérieures, et n'a besoin de la reconnaissance des autres États que pour l'exercice des droits qui correspondent à la souveraineté extérieure. Une des conséquences de ce principe, c'est que les luttes civiles qui n'appartiennent pas au domaine international ne sauraient à aucun titre, et par cela seul qu'elles ont surgi, pri ver cet État des prérogatives de son identité et de son unité. Les factions, comme les troubles et les guerres intérieures qu'elles suscitent, naissent et meurent dans le sein même de l'État qui les subit leurs effets, quelque lamentables qu'ils soient presque toujours, doivent demeurer comme cachés et étrangers à la vue aussi bien qu'à l'action des autres nations.

Les étrangers établis dans un pays en proie à la guerre civile, et auxquels cet état de choses a occasionné des préjudices, n'ont eux-mêmes aucun droit à des indemnités, à moins qu'il ne soit positivement établi que le gouvernement territorial avait le moyen de les protéger et qu'il a négligé d'en user pour les mettre à l'abri de tout dommage. Ces principes ont dans plus d'une circonstance été reconnus explicitement par les gouvernements d'Europe et d'Amérique (1) *.

En résumé, l'opinion de Wheaton : qu'un État, par le fait de son intervention dans une guerre civile en faveur de l'un des contendants, se place dans une position d'hostilité à l'égard de l'autre, est fondée en droit, en tant qu'il s'agit du cas de véritable guerre se produisant dans les conditions générales que nous avons signalées plus haut.

De même Halleck a raison de soutenir qu'en dehors des circonstances toutes spéciales qui pourraient justifier les conclusions de Vattel, l'État victime de troubles et de déchirements intérieurs ne saurait ipso facto être considéré comme formant deux États distincts et séparés. Enfin, s'il est vrai que la reconnaissance et la déclaration du caractère de belligérant faites par un État étranger

(1) Voyez Devoirs mutuels des États.

Grotius, Le droit, liv. 2, ch. 25, § 8; Vattel, Le droit, liv. 2, ch. 4, § 56; Wheaton, Elém., pte. 1. ch. 2 §7; Kent, Com., vol. I, §§ 23 et seq. ; Twiss, Peace, § 21; Rutherforth, Institutes, b. 2, ch. 9; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6 §.14; Bynkershoek, Quæst.. lib. 2, cap. 3; Wildman; vol. 1, pp. 51, 57, 58; Halleck, ch. 3, § 20; Martens, Précis, §§ 79-82; Lawrence, Com., pte. 1, ch. 2 §7; Pinheiro Ferreira, Cours, t. II pp. 5 et seq.; Lawrence, Elem., by Wheaton, note 16; Dana, Elem., by Wheaton, note 15. Hatt. international law, pp. 27-30.

constituent comme le premier pas cette espèce de considération publique que le droit international rattache à l'état de guerre, il faut bien admettre aussi avec M. Adams: d'une part, que cette reconnaissance est subordonnée en principe aux conditions particulières dont l'absence justifie le reproche de précipitation ou d'imprudence; d'autre part, que l'intervention, soit en faveur des factions qui troublent un État, soit en faveur du gouvernement légitime de ce même État, peut devenir un fait de propriété notoire et une violation de la souveraineté intérieure des nations.

Reconnaissance de l'in

Reconnaissance de l'in

§ 87. La souveraineté extérieure d'un État s'altère par la séparation d'une province ou d'une colonie; toutefois cette séparation dépendance. ne peut être regardée comme effective que lorsqu'elle a été reconnuc par les autres États. Ce cas est régi par les mêmes principes généraux que ceux que le droit international a établis pour la reconnaissance de la souveraineté extérieure des nations. Tant que la lutte subsiste entre la nation et l'une de ses provinces ou de ses colonies, les autres États doivent observer une stricte neutralité; mais, comme nous l'avons déjà vu, si la guerre se prolonge, ou si, après avoir épuisé toutes ses ressources, la nation est impuissante à prolonger sa résistance, les autres nations ont le droit incontestable, soit de reconnaître l'indépendance du nouvel État, dont l'existence de fait ne soulève plus de doute, soit de prendre parti en sa faveur et de conclure avec lui des traités d'amitié et de commerce. § 88. La reconnaissance par la France de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique fut envisagée par le gouvernement anglais comme un acte d'injuste agression, parce que cette reconnaissance était accompagnée de secours et d'une assistance effective prêtée secrètement aux insurgés. Il faut bien admettre que cette conduite du gouvernement français fournissait un juste sujet de plainte, et que si le cabinet de Versailles s'était renfermé dans une attitude de stricte neutralité, ni le traité de commerce qu'il conclut en 1778 avec les Etats-Unis, ni même son traité d'alliance éventuelle n'auraient été des motifs suffisants pour autoriser une déclaration de guerre de la part du gouvernement anglais. Tous les publicistes sont en effet d'accord pour proclamer que lorsqu'une colonie se soulève contre la mère-patrie, lorsqu'après avoir soutenu et opéré sa séparation par les armes elle est parvenue à créer et à établir son gouvernement, enfin lorsqu'elle se présente au monde comme Etat constitué, la reconnaissance formelle de son indépendance par un pays étranger ne peut motiver ni plainte, ni réclamation de la part du gouvernement auquel cette colonie appartenait antérieurement.

des

dépendance Etats-Unis

par la France.

des Pays-Bas.

du Portugal.

de la

République française.

de la Grèce.

de la Belgique.

§ 89. L'Espagne a laissé passer soixante-dix ans avant de suivre l'exemple donné par l'Europe entière, par l'Autriche elle-même, de reconnaître solennellement l'indépendance des Pays-Bas.

§ 90. Elle agit de même à l'égard du Portugal, qui s'était soulevé contre elle au milieu du dix-septième siècle et dont l'indépendance existant en fait dès cette époque, ne fut reconnue par la cour de Madrid que vers la fin de ce siècle, suivant le traité de Lisbonne de 1688. On sait que bien avant cette date l'Angleterre, se fondant sur la nécessité de protéger le commerce et les intérêts de ses sujets, avait conclu avec le Portugal un traité par lequel elle reconnaissait la maison de Bragance comme souverain légitime de ce

royaume.

§ 91. Les causes qui retardèrent pendant si longtemps la reconnaissance de la République française de 1792 sont bien connues : c'était d'un côté l'incertitude de l'avenir, de l'autre le caractère de certains actes révolutionnaires et l'influence que ces actes semblaient devoir exercer sur les Etats limitrophes, enfin le refus persistant de l'Angleterre d'entrer en relations avec le premier consul. A une époque plus rapprochée de nous, tous les Etats de l'Europe et de l'Amérique ont reconnu les gouvernements issus des révolutions de 1830 et de 1848, l'Empire inauguré en 1852, et, en dernier lieu, la République proclamée le 4 septembre 1870. Rappelons incidemment ici que le refus obstiné des cours de France et d'Espagne de reconnaître la république d'Angleterre, avec laquelle toutes les autres puissances n'avaient pourtant pas hésité à traiter, fut considéré par le gouvernement de Cromwell comme un acte d'hostilité, dont il se vengea en formant une alliance qui aida puissamment la Hollande et l'Allemagne à poursuivre la guerre contre Louis XIV.

§ 92. L'indépendance de la Grèce, préparée dans une série de conférences tenues à Londres de 1828 à 1832, fut diplomatiquement consacrée entre l'Angleterre, la France, la Russie et la Turquie par le traité conclu à Constantinople le 23 juillet 1832, et finalement reconnue dans les formes ordinaires par toutes les autres puis

sances.

§ 93. L'indépendance de la Belgique a été proclamée en 1830 sans l'aveu de la Hollande; quoique la séparation de ces deux pays eût été amenée par une intervention étrangère, la question de sa reconnaissance n'en a pas moins été résolue d'une manière claire et concluante par les actes de la conférence de Londres et par les traités du 15 novembre 1831 et du 19 avril 1839.

hispano-amé

ricains. Docning.

trine de Can

§ 94. L'indépendance des colonies sud-américaines fut tout des Etats d'abord reconnue par les Etats-Unis d'Amérique, et plus tard seulement par l'Angleterre. Ces deux puissances fondèrent cet acte de leur part sur la persistance de la lutte de ses colonies, sur la séparation de fait que l'Océan établissait entre elles et la métropole, et sur l'impossibilité matérielle pour l'Espagne de prolonger la guerre avec la moindre apparence de succès.

Le cabinet de Madrid ayant tout spécialement réclamé, par l'or gane de son représentant à Londres, contre la reconnaissance de l'indépendance des provinces du Rio de la Plata, M. Canning répondit le 25 mars 1825 par une dépêche dans laquelle sont posés les principes suivants : « Toutes les nations sont réciproquement responsables, c'est-à-dire obligées de remplir les devoirs que la nature a imposés aux peuples dans leurs relations mutuelles, et d'indemniser les personnes auxquelles leurs sujets auraient occasionné des dommages ou des préjudices. Cependant une métropole ne peut être responsable d'actes qu'il n'est en son pouvoir ni de diriger ni de réprimer. Faudra-t-il pour cela que les habitants des pays dont l'indépendance est établie de fait ne soient point responsables de leur conduite à l'égard des autres Etats, ou devrontils être traités comme des bandits ou des pirates? La première de ces suppositions est absurde; la seconde est monstrueuse et ne saurait s'appliquer pendant un temps indéfini à une portion considérable du genre humain. Il n'y a donc d'autre ressource que de reconnaître l'existence de ces nations nouvelles, et d'étendre ainsi à leur profit la sphère des droits et des obligations que les peuples sont tenus de respecter mutuellement et qu'ils ont le droit d'exiger réciproquement les uns des autres. »>

§ 95. L'histoire de la reconnaissance de ces mêmes colonies par les Etats-Unis d'Amérique n'est pas moins digne d'attention, en ce que les principes généraux qui lui servirent de base constituent un précédent d'une valeur incalculable.

Bases sur lesquelles les

Etats-Unis reconnaissan

appuyèrent

ce des républiques bispano-améri

En 1818, M. Clay proposa au congrès de Washington de confier à caines. une sorte d'ambassade la mission de témoigner les sympathies des Etats-Unis aux peuples des anciennes colonies hispano-américaines et de leur prouver le désir qui animait la fédération de nouer avec eux des relations d'amitié. La proposition de M. Clay fut repoussée par 115 voix contre 45; les principaux motifs allégués par l'opposition consistaient dans la situation si incertaine encore des provinces insurgées et dans la continuation de la guerre poursuivie par leur métropole. Dans son message de la même année,

le président Monroe se rallia à la politique du congrès et n'hésita pas à féliciter le pays d'avoir su garder une neutralité absolue dans cette question; mais dans son message du mois de décembre 1819, après avoir rappelé la ligne de conduite adoptée par le gouvernement fédéral, M. Monroe faisait déjà observer que Buenos Aires continuait à défendre avec énergie son indépendance, qu'elle avait proclamée en 1816 et qui existait de fait depuis 1810; qu'il en était de même des provinces septentrionales du Rio de la Plata, du Chili et du Vénézuéla; mais il ne se bornait pas à consigner ces faits en déduisant la conséquence logique, il déclarait que la souveraineté de fait dont les colonies espagnoles, plus particulièrement Buenos Aires, jouissaient depuis un long espace de temps, en dépit des efforts de l'Espagne, constituait un titre incontestable à la considération des autres nations; qu'on pouvait présumer que l'impuissance de l'Espagne, à recouvrer ses possessions coloniales devenant de plus en plus évidente, le gouvernement espagnol finirait lui-même par renoncer à prolonger la guerre, et que l'opinion des Etats neutres ne manquerait pas d'avoir une certaine influence pour l'amener à cette détermination. Le président terminait son message en proposant de réviser les lois sur la neutralité de manière à en étendre la portée et à en rendre l'application plus rigoureuse. En 1820, il reproduisit les mèmes déclarations et proclama que la politique invariablement suivie par le gouvernement des Etats-Unis dans la question des anciennes colonies de l'Amérique du Sud avait été d'amener l'Espagne, par des moyens amiables, à reconnaître ces colonies comme indépendantes. Cependant l'opinion publique aux Etats-Unis se prononçait déjà si fortement en faveur d'une reconnaissance immédiate qu'en 1821, M. Clay, dont la proposition à ce sujet avait échoué dans le congrès de 1818, en présenta une nouvelle, conçue dans les termes les plus explicites et les plus concluants, laquelle fut accueillie favorablement par la Chambre des représentants, mais rejetée par le Sénat. M. Monroe, dans son message du mois de mars, conseilla encore la politique de neutralité, en exprimant l'espoir que le changement de gouvernement survenu en Espagne aurait pour résultat une solution prompte et satisfaisante de la question. Dans un autre message de la même année, il exposa qu'il était évident que l'Espagne ne parviendrait jamais à soumettre ses colonies, et que celles-ci, de leur côté, ne transigeraient à aucun prix sans la reconnaissance préalable de leur indépendance. Cette déclaration de la plus haute importance, qui établissait dorénavant d'une manière

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