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La jurisprudence paraît aujourd'hui se fixer sur ce point. Mais il est une autre difficulté, pour laquelle je ne puis rendre ce consolant témoignage.

Un jugement par défaut a prononcé une condamnation contre plusieurs débiteurs solidaires. L'exécution, dans le délai légal, envers un seul de ces débiteurs, empêchie-t-elle que la péremption ne soit acquise pour les autres?

Cette question ainsi posée, qui se trouve à chacune des pages de tous les recueils, entretient dans les balances de la justice une oscillation désespérante pour les jurés chercheurs d'arrêts.

Les raisons de part et d'autre ont été suffisamment dévelop pées et discutées. Elles sont partout; je me contenterai d'en donner ici le sommaire.

On dit pour l'affirmative: La péremption établie par l'ar ticle 156 du Code de procédure étant une vraie prescription, les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires, forment une interruption à l'égard de tous. Ce principe, puisé dans le droit romain (1), s'applique à toutes les prescriptions.

L'idée de la solidarité est incompatible avec l'hypothèse d'un titre qui subsisterait pour l'un, et qui périrait pour les

autres.

Le jugement est le titre du créancier. Il se prescrit par six mois à défaut d'exécution, comme tout autre titre se peut prescrire par un délai plus ou moins long; mais pour le sauver, il suffit que des poursuites d'exécution viennent interrompre la prescription envers un des débiteurs.

La péremption est fondée sur ce que la négligence de celui qui a obtenu le jugement peut avoir quelque chose de suspect. Certes il serait trop déraisonnable d'imputer un mauvais dessein au créancier qui, dans le délai de la loi, a fait contre l'un des co-débiteurs condamnés toutes les diligences d'exé cution.

On répond pour la négative: La péremption des jugements par défaut ne doit pas être assimilée à la prescription; elle a d'autres règles, elle produit d'autres effets.

« La prescription'est un moyen d'acquérir ou de se libérer

(1) Voy. les arrêts rapportés par M. Dalioz, Jurisp. génér., t. 9, p. 733, et Reeucil period., 1826-1-437, 2-23; 1828 -2-61 et 81; et dans le Journal des Avoués, t. 15, p. 585 et 407, vo Jugement par défaut, n. 126 et 152; t. 24, p. 43; t. 28, p. 554, et t. 35, p. 169. M. Carré est resté à peu près seul de son avis; il s'appuyait sur un airêt de la Cour de Caen, qui depuis a décidé autrement.

Cette question, alois très controversée, fut le sujet de l'une des épreuves du concours ouvert à Toulouse, en 1822, pour la chaire que j'ai l'honneur d'occuper.

(1) Ľ. ultima. C, de duobus reis.

par un certain laps de temps (1). » Or, la péremption ne fait acquérir aucun droit, ne libère d'aucune obligation, l'action subsistant toujours, quoique le jugement de subsiste plus.

Lejugement n'est un titre pour le créancier, que sous la condition qu'il sera exécuté dans les six mois. Cette condition manque-t-elle? le titre s'évanouit. A-t-elle été remplie envers l'un des débiteurs seulement? le jugement n'est plus un titre à l'encontre des autres.

Il n'est pas contestable qu'une demande isolément formée contre l'un des codébiteurs solidaires, produirait une condamnation qui ne frapperait que celui-là: de même, lorsqu'un jugement obtenu contre tous n'a été exécuté que sur un seul, la condamnation est réputée non avenue, relativement à ceux qui n'ont pas été compris dans l'exécution; ce qui n'empêche pas que le fond du droit ne soit conservé à l'égard de tous.

Cette opinion avait pour elle l'appui de M. Merlin (2). Le Journal des Avoués n'a pas manqué de citer une aussi puissante autorité, comme un contre-poids à l'arrêt du 7 décembre 1825, dans laquelle la Cour suprême avait considéré que « l'article 1206 du Code civil devait s'appliquer à tous droits, actions et actes susceptibles d'être prescrits ou périmés, et par conséquent à la prescription ou péremption établie par l'article 156 du Code de procédure.

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Après la relation de cet arrêt, l'estimable rédacteur a inséré l'observation suivante :

« M. Merlin s'élève avec force contre cette jurisprudence. Il entre dans les plus grands développements, et vouloir analyser sa discussion serait l'affaiblir: nous ne pouvons qu'engager nos lecteurs à la lire; le profond savoir de ce juriscon sulte, et sa brillante logique, en font une des dissertations les plus intéressantes du Répertoire. Il combat l'opinion de M. Carré, et la jurisprudence de la Cour de Bruxelles, dont il rapporte un arrêt du 1er avril 1822, en disant que cet arrêt porte sur une base absolument fausse (3). »

Cependant, voici que dans une dernière édition du Répertoire, M. Merlin, qui venait de saper la base absolument fausse du système de M. Carré et de la Cour de Bruxelles, ajoute à sa dissertation une ligne fort inattendue, pour annoncer qu'en définitive c'est au système de M. Carré qu'il faut se tenir.

Le secret de cette abjuration si brusque, si brève, et si dé

(1) Cod. civ., art. 2219.

(2) Repertoire, t. 17, v• Péremption, seci. a, § 1, no 12.

(3) Journal des Avoués, t, 30, p, 279.

T. XLV.

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sappointante, se trouve dans les Questions de droit, au mot chose jugée, § 18, no 2 et 3. Là, M. Merlin enseigne qu'un ju• gement pour ou contre un débiteur solidaire, a l'autorité de la chose jugée pour ou contre les autres codébiteurs.

« On y trouve, dit il, un concours parfait des conditions à ce requises. D'une part, une dette solidaire est la même dans sa substance et dans sa cause, pour chacune des parties qui y sont obligées. D'un autre côté, le codébiteur solidaire pour ou contre lequel le jugement a été rendu, ne forme mo, ralement qu'un seul et même individu avec les autres codébiteurs, parce qu'ils n'ont pu s'obliger solidairement à la même dette, sans se constituer mandataires l'un de l'autre pour la payer, et par suite, pour se représenter mutuellement dans tous les actes et toutes les procédures qui tendraient à la faire payer, et pour faire valoir, dans leur intérêt commun, tous les moyens qu'ils pourraient avoir de s'exempter de la payer. »

Il y aurait à disserter beaucoup sur cette doctrine qui donne la force de la chose jugée, envers tous les débiteurs solidaires, au jugement re du contre un seul. Tel n'était pas le sentiment du président Favre dans ses Rationalia sur la loi 28, § 3, ff de jurejurando. On y lit: Nec sententia contra unum ex correis lata, alteri nocet.

Mais cette question n'est pas la nôtre. Le jugement est rendu contre tous les débiteurs solidaires; il s'agit de savoir, comme je l'ai dit, si l'exécution subie par l'un d'eux, empêche la péremption à l'égard des autres. Je n'ai jamais su en douter. L'affirmative s'est toujours présentée à mon entendement, nette, claire, appuyée sur la base des principes régulateurs de la prescription.

En matière de solidarité, la procédure engagée contre tous les débiteurs est une, indivisible. Il est équitable, humanum, pour me servir de l'expression de la loi romaine (1), que l'exécution volontaire ou forcée du même jugement cmbrasse, dans ses effets, celui qui l'a soufferte, et ceux qui n'ont pas été démenés jusque-là, parce que ces effets out une cause commune : cùm debiti causa ex cádem actione ap. paruit.

Une prescription, quelle que soit sa nature, n'est opposable qu'au créancier qui a négligé d'exercer son droit dans un délai prescrit. Or on ne peut alléguer que le créancier qui a fait exécuter son jugement sur l'un des codébiteurs solidaires, n'a pas exercé tout son droit; car chacun d'eux est tenu de toute la dette, cùm ex una stirpe, unoque fonte efflu xit; et la dette ne peut subsister pour l'un, et ne subsister

(1) L. ultima, Cod, de duobus reis,

pas pour les autres. Si vous obligez le créancier à consommer, chez tous, les actes rigoureux d'une exécution, vous les aggraverez, en réalité, d'une masse énorme de frais, pour leur ménager, en théorie, la faveur de la péremption.

1 se peut qu'un jugement ait été rendu par défaut contre quinze ou vingt endosseurs d'une lettre de change, ou d'un billet à ordre. Ils sont tous solidairement obligés (1). Le porteur sera donc astreint à faire marcher huissiers et recors dans toutes les directions, pour les exécuter tous, avant l'expiration des six mois, sous peine de perdre ses avantages àl'égard de ceux que les distances et le manque de temps l'auront forcéd'épargner!

Supposez que le créancier n'ait fait ses diligences d'exécution, à l'encontre d'un des débiteurs solidaires, que dans les derniers jours des six mois.Il était dans les limites de son droif; Mais si ce droit a péri relativement aux autres, tandis qu'il s'accomplissait à l'égard de celui qui seul avait été soumis aux contraintes, la subrogation ne pourra donc pas avoir lieu au profit de ce dernier, comme le veulent les articles 1214 et 1251 du Code civil? Il n'y aura donc plus ni jugement, ni hypothèque, ni inscription à céder en échange du paiement de la dette entière? Les sûretés du recours que promet la loi seront donc livrées au caprice, et peut être aux calculs d'une collusion éhontée?

Il ne faudrait que de pareilles éventualités pour discréditer un système.

Eufin, les rédacteurs du Code de procédure n'ignoraient pas que plusieurs défendeurs pouvaient être solidairement condamnés par défaut. Ont-il commandé autant d'exécutions partielles qu'il y aurait de défaillans? Non : ils ont donc faissé tout entiers les principes du droit commun touchant Pinterruption des prescriptions.

Lorsque la question fut plaidée pour la première fois devant la Cour royale de Poitiers, en 1821, je présentai cette considération d'un mandat réciproque qui dérive de la solidarité, et que M. Merlin a si disertement fait valoir depuis, dans ses questions de droit. Ce fut le principal motif de l'arrêt (2).

« Attendu que les poursuites dirigées contre l'un des codébiteurs solidaires pouvaient interrompre la prescription contre les autres, puisqu'ils sont censés mandataires les uns

(1) Code de commerce, art. 140 et 187.

(2) Journal des Avoués, tom. 23, p. 216, et t. 15, p. 347; yo Jugement par défaut, no 66,

des autres pour l'exécution de leur obligation, et des condamnations prononcées contre eux. »

« Attendu que le paiement fait par l'un d'eux a libéré toutes les parties condamnées envers le créancier commun, et que par conséquent le jugement a reçu unc pleine et entière exécution à l'égard de tous ceux contre qui il avait été rendu solidairement; qu'ainsi l'article 156 du Code de procé dure ne peut être invoqué dans l'espèce. »

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Lorsqu'une saisie immobilière a été pratiquée pour obtenir le paiement des intérêts échus d'un capital devenu exigible seulement durant l'instance à laquelle elle donne lieu, le débiteur peut-il, en offrant réellement ces intérets, obtenir qu'elle soit rayée (art. 696. C. P. C.)? (1).

Cette question peut souvent se présenter: un individu prête une somme productive d'intérêts annuels, mais remboursable au bout de plusieurs années; il prend hypothèque sur les biens de l'emprunteur. Si celui-ci ne paie pas les intérêts et que l'échéance du capital ne soit pas arrivée, on ne peut lui faire commandement et le saisir que pour ces intérêts. D'un autre côté, la longueur de la procédure sur saisic est telle, que l'échéance du capital qu'on n'a pu réclamer arrive. Alors, le débiteur pourra-t-il dire, en offrant les intérêts, qu'il se libère du montant des causes de la saisie? le créancier pourra-t-il répondre que ces offres sont nulles comme incomplètes, puis

(1) Nous avons accueilli avec reconnaissance cette dissertation d'un de nos plus estimables confrères, quoique nous ne puissions pas adopter son opinion. Le texte de l'art. 696, G. P. Ĉ., nous paraît trancher la difficulté dans le sens contraire; le saisissant a la double qualité de créancier saisissant pour des intérêts et de créancier hypothécaire pour le capital échu. L'usage du droit de saisir ne le prive pas du droit de s'opposer à la radiation d'une saisie faite; et si on appuie ce système des considérations que notre confrère a essayé de combattre, on devra convenir qu'il est bien plus favorable que la voie singulière proposée par le débiteur. Nos lecteurs auront à se prononcer sur cette question qui, quoique vierge de toute décision judiciaire, peut fréquemment se présenter. Nous devons dire seulement qu'elle a été préjugée dans notre sens par un arrêt de la Cour de Grenoble du 14 juillet 1809, qui décide que le créancier, porteur de plusieurs titres de créances et qui n'a saisi que pour une seule, peut, après avoir été payé de cette créance, continuer les poursuites à raison de celles qui n'ont pas encore été acquittées. (J. A., t. 20, p. 208, vo Saisie immobiliere, n. 211). Telle est aussi l'opinion de MM. Carré, t. 2, p. 591, n. 2342, et Huet, p. 233, n° 4. (ADOLPHE CHAUVEAU.)

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