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vermine, il s'étoit contenté de leur répondre, que ce n'étoit pas merveille que la vermine mangeât la vermine. Elle dit qu'il n'avoit rien tant à cœur que de rendre les ames qu'il conduifoit, mortes à elles-mêmes ; & que fi on y fait attention, on verra que la Régle qu'il a donnée aux filles de la Vifitation, ne respire autre chofe. Elle rapporte même un trait particulier qui la touche perfonnellement : étant fous la conduite elle lui dit qu'elle avoit fcrupule d'avoir regardé quelquefois par la fenêtre étant jeune & de s'y être arrêtée un peu, & qu'il lui répondit en ces termes: » Eh! quoi, ma fille, appellez-vous fcrupule une action inutile » dont il faudra rendre compte à Dieu ? Ap» prenez que c'eft un péché. Ce qui montre » dit-elle, qu'il n'étoit pas doux de la maniére » que penfent les gens du monde.

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La connoiffance du Saint Evêque fut bientôt suivie d'une autre très-confolante pour la Mere. Ce fut celle de Madame de Chantal, premiére fille de Saint François de Sales, & fa Coopératrice dans l'établislement de l'Inftitut de la Vifitation de Sainte Marie. Il s'établit entre ces deux faintes ames la même union des cœurs qui étoit entre elles & leur commun pere. On voit dans les Lettres de la Mere Chantal à la Mère Angélique, qui font imprimées dans le premier tome des Lettres de M. de Saint Ciran, & dans celles de la Mere Angélique à la Mere Chantal parmi les autres Lettres imprimées en 3. vol. quelle étroite liaison la charité avoit formée entre elles. L'une aimoit l'autre comme une fille très-chere, & l'autre aimoit la premiére comme fa mere, & avoit pour elle la confiance & l'ouverture qu'on a pour un Directeur : car elle lui rendoit compte de fon intérieur

XXXIX.

dans le plus grand détail. On le voit dans les deux premiéres Lettres de la Mere Angélique du premier volume. Les derniéres Lettres de la Mere Chantal font du tems de la perfécution fufcitée à P. R. à l'occafion de M. de S. Ciran & de fon emprisonnement. Cette fainte Religieufe y parle toujours avec la même eftime qu'auparavant du vertueux Abbé & de la refpectable Abbeffe de P. R.C'eft ce qu'il eft bon d'obferver pour connoître quel cas on doit faire de ce qu'on a débité de contraire jufqu'à nos jours. Ce fut la Mere Eugenie, dont il fera beaucoup parlé dans la fuite, qui fuccédant à la place de Madame Chantal dans fon Ordre, & ne fuccédant pas à fes fentimens pour P. R. rompit le commerce de charité que la Mere Chantal auroit fouhaité qui fût perpétuel entre P. R. & les maifons de fainte Marie. La vie imprimée de la Mere Eugenie en 1695. qui eft pleine de fauffetés & de calomnies contre P. R. a été réfutée en 1697. par un petit ouvrage donné au public fous ce titre : Lettre aux Religieufes de la Vifitation, ou, Juftification de P. R. La Mere Chantal vint à Paris un an après le retour du Prélat dans la Savoie, & fit le voyage de Maubuiffon pour connoître de près celle qu'elle ne connoifloit que de loin, & qu'elle n'avoit encore vue qu'en efprit.

M. de Genêve s'en alla au commencement La Dame de Septembre, & fort peu de jours après arriva d'Eftrées ren- la grande fcene de Madame d'Eftrées que je vais tre à Maubuif- raconter. Elle s'échappa le 10. Septembre 1619. fon à force de la maifon des filles Pénitentes de Paris, où elle avoit été enfermée. C'étoit le Comte de Sanzé fon beau-frere, & d'autres Gentilshommes qui l'affiftérent dans fon évafion. Elle arriva dès fix heures du matin à Maubuisson. Le

ouverte.

portier de la baffe-cour ne voulant point ouvrir la porte, les Gentilshommes l'enfoncérent, & maltraitérent ce domeftique. La Dame d'Eftrées alla droit à la porte de l'Eglife, qu'elle fçavoit bien qui lui feroit ouverte par une ancienne fon affidée, qui avoit fait faire une fausse clef. La Religieufe l'attendoit à la porte endedans de l'Eglife: elle la fit entrer dès qu'elle fe préfenta. La premiére perfonne qu'elle rencontra, fut la Mere Angélique: celle-ci ne fe troubla point d'une rencontre fi peu attendue. La Dame lui dit avec émotion : » Il y a long» tems, Madame, que vous tenez ma place : » je reviens à ma maison, il faut que vous en » fortiez. La Mere lui répondit d'un ton ferme:>> » Madame, je fuis toute prête de le faire, quand » ceux qui m'y ont mife, m'en retireront. » Enfuite elle conduifit Madame d'Eftrées à fon logis Abbatial. Comme la Mere n'avoit rien à elle, une partie de ce logis fervoit d'Infirmerie. La Dame en entrant, trouva tout en pauvre état, & entr'autres deux Religieufes couchées fur des paillaffes, qui avoient pris médecine. Elle fut fort choquée, & dit d'un air dédaigneux, » qu'on ôtât toutes ces vilaines de devant fes » yeux. Madame, lui dit la Mere d'un grand fang froid, fi votre chambre eft en mauvais état, la faute eft bien pardonnable, on ne » vous attendoit pas.

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Elle laiffa la Dame dans fon appartement & alla donner ordre à diverfes chofes, comme ferrer des papiers & régler des affaires : elle n'oublia pas d'aller elle-même à la cuifine, faire préparer un dîner honnête pour la Dame : puis elle donna fes ordres pour que fes filles fiffent tout ce qu'elles avoient à faire fans trouble & fans confufion. Elle alla enfuite à Tierces & à

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la Grand-Meffe qui fut chantée folemnellement. Madame d'Estrées y vint auffi ; mais elle n'ola pas entrer dans le Choeur; & la Mere Angélique ofa bien tout à fa face fe mettre à son ordinaire dans la place de l'Abbeffe. La Dame en fut piquée au vif, & ne put s'empêcher de dire tout haut avec dépit : » Quelle hardieffe! Une écoliére prendre ma place en ma

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préfence! La Mere étoit en effet fon écolière puifqu'elle avoit été penfionnaire à Maubuiffon, & y avoit fait profeffion, comme on l'a vu plus haut. Les anciennes de la maison qui aimoient déja prefque toutes la Mere, furent ravies de cet acte de vigueur de fa part. La Mere & la plupart de fes filles communiérent à la Meffe. La Dame après la Meffe fe promenoit dans la maison, pour tâcher d'attirer les anciennes dans fon parti. Elle s'adreffa à deux, à qui elle demanda les clefs de toute la maison. Celles-ci qui étoient très-attachées à la Mere Angélique lui répondirent qu'elles avoient remis les clefs entre les mains de Madame. Ce mot offenfa l'Abbeffe; » Eft-ce, dit-elle tout en colère

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qu'il y a ici une autre Madame que moi ?

L'heure du dîner étant venue, la Mere Angé lique fit fervir Madame d'Eftrées dans fa chambre, & alla de fon côté dans le Réfectoire de fes filles pour prendre auffi fon repas. Avant qu'on fe mît à table, elle avertit les filles de ce qui fe paffoit, leur dit qu'elles ne fçavoient pas ce qu'elles deviendroient avant la fin du jour; qu'ainfi il falloit bien manger, pour être en état de porter quelque fatigue qu'il y auroit peut-être à effuyer. Après le dîner, le Bernardin Confeffeur des anciennes, fit appeller la Mere Angélique au Parloir, & tâcha de lui perfuader de fe retirer doucement, la menaçant

du Comte de Sanzé & des violences qu'il pourroit bien employer. La Mere répondit que fa confcience ne lui permettoit pas,étant Religieufe, de violer fa clôture: qu'il n'y avoit que l'autorité de fes Supérieurs, ou une violence étrangére qui pût la faire fortir. La Dame vint à fon tour propofer à la Mere de s'en aller de bon gré. La réponse fut la même qu'au Confeffeur. Madame d'Eftrées voyant qu'il n'y avoit rien à gagner, fe réfolut de l'emporter ou par artifice ou par violence. Elle propofa à la Mere d'aller enfemble à l'Eglife. On fe mit en marche ; les filles de la Mere Angélique l'accompagnoient. Toute cette pieufe compagnie fe met à genoux pour se recommander à Dieu dans cette étrange conjoncture. La Dame cependant follicitoit les anciennes à l'aider pour mettre la Mere dehors par force. Mais elle ne put les gagner. Alors s'étant livrée à la colére, elle tira brufquement la Mere du côté de la porte de l'Eglife: Toutes les filles fe mirent au-devant, & retinrent la Mere. La conteftation dégénéra en combat. La Dame arracha le voile à la Mere: ce que voyant les filles, une d'entr'elles, grande & forte, fe jetta fur la Dame qu'elle terrassa, & lui arracha auffi fa coeffure. L'Abbeffe crie, appelle les anciennes au fecours. Celles-ci s'enfuient toutes: elle continue de crier à l'aide, au meurtre, à moi, mon frere on me tue. A ce mot la Religieufe affidée qui avoit la fauffe clef, ouvre la porte de l'Eglife.

XL.

La Dame

Le Comte de Sanzé & les Gentilshommes de fa compagnie entrent l'épée nue à la main : un d'entr'eux décharge un coup de piftolet pour d'Eftrées aiintimider le monde. Le Bernardin étoit entré dée de plufieurs Gentils avec la troupe armée:il fe mit à exhorter la Mere hommeschaf à fe rendre ; que c'étoit le cas de céder à la for- se la Mere

Es

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