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Angelique ce. Elle répondit fortement : » Oui, mon Pere, par violence quand elle m'emportera. »Le Pere continuant de Maubuif- fes exhortations, les Gentilshommes exhortoient la Mere à l'écouter. Voyant que rien n'avançoit, le Comte & la Dame veulent entraîner la Mere à la porte, de force. Elle fe défend: les Novices font réfiftance : le combat dure quelque tems, jufqu'à ce que la Mere fe fentant épuifée des efforts qu'elle faifoit, marqua à fes filles par un figne qu'elles laiffaffent faire. Ainfi elle fut portée dans la baffe-cour, où il y avoit un caroffe tout prêt. La Dame comptoit bien empêcher toutes les filles de fortir avec la Mere; mais elle n'y put réuflir. Ainfi les trois Religieufes de P. R. & une quatrième qui étoit venue depuis peu, Anne-Eugenie, trois anciennes de Maubuiffon, onze Novices & plufieurs Poftulantes fuivirent la Mere Angélique dans la baffe-cour. Là les Gentilshommes chargent la Mere de paroles outrageantes, & la preffent de monter dans le caroffe avec fes quatre Religieufes de P. R. feulement. Mais les trois anciennes de Maubuiffon entrent avec elle,& quelques Novices, autant qu'il en pouvoit tenir. Les autres qui ne trouvent point de place, montent derrière le Caroffe ; quelques-unes fe tiennent aux roues : il y en eut même qui fe tinrent fufpendues à l'impérial du caroffe. Le Comte fut un peu embarraflé, il cria au cocher de ne pas avancer, de crainte qu'il n'arrivât mort de quelqu'une.

Sur ces entrefaites une des Religieufes qui étoient dans le carroffe avec la Mere, lui dit :

Mais, ma Mere, où allons-nous ? » Et à l'inftant la Mere faisant réflexion qu'il n'y avoit pas de raifon à fe mettre entre les mains de ces gens-là, fort brufquement du caroffe, & toutes

les filles de même. Ce fut un nouvel embarras pour la Dame d'Eftrées. Elle prit le ton radouci, & tâcha encore de perfuader à la Mere de fortir volontairement. La Mere répondit toujours avec fermeté que fa confcience ne lui permettoit point de le faire. Cependant tout en faisant le colloque, on fe trouva proche la grande porte de la baffe-cour. Alors la Dame fortit, pofta un homme derrière la porte pour empêcher le paffage aux filles, & tirant la Mere de toutes fes forces, elle l'amena au dehors. Les filles font effort contre le portier, le menaçant de l'écraser derrière la porte, s'il vouloit résister. Une Novice forte pouffe la porte & fort: & prenant Madame d'Estrées par le milieu du corps, la porte par terre & la tient fur fon feant, pendant que toutes les filles fortent en foule; le portier étant pouffé derriére fans pouvoir remuer. La compagnie de la Mere après la fortie étoit de plus de 30. perfonnes, fans compter les trois bonnes anciennes. Deux des filles de la Mere Angélique ne fortirent point avec elle: l'une qui venoit de faire profeffion, fut arrêtée par le fcrupule: elle crut que fon vœu de clôture la lioit abfolument. Une autre qui n'étoit que Poftulante,ne favoit rien de ce qui fe paffoit, étant enfermée fous terre dans la laiterie dont elle avoit foin, d'où elle n'entendoit rien de tout le vacarme. Lorfqu'elle fortit de fa laiterie, elle tomba de fon haut, ne voyant plus dans la maifon que des vifages inconnus. Elle demanda à fortir, & fur le refus que faifoit Madame d'Eftrées, elle lui répondit d'un ton ferme qu'elle prétendoit fortir; qu'elle n'étoit pas fa Novice, ni elle fon Abbeffe: & la Dame la laiffa partir.

La Mere Angélique fe trouvant ainfi fans feu

XLI.
La Mere An-

gélique avec & fans lieu avec trente-cinq perfonnes, avifa 30.filles entre ce qu'elle feroit, & après avoir adreffé fa priére en proceffion au Seigneur, & mis en lui toute fa confiance, pour s'y réfu- elle réfolut de s'en aller avec toute la troupe à

dans Pontoife

gier.

Pontoife. Elle fit ranger toutes fes filles deux
à deux, comme dans une proceffion; les Poftu-
lantes les premiéres, enfuite les Novices, puis
les Profeffes les derniéres avec elle. Elle fit fai-
re alte au Fauxbourg de l'Aumône, pour pren-
dre des cordiaux avant que d'entrer , parce
qu'il y avoit des maladies contagieufes dans
la ville. Il fe rencontra un petit inconvénient :
les Religieufes n'avoient pas toutes leur voiles
& cependant la Mere ne vouloit pas qu'elles
entraffent dans Pontoife le vifage découvert.
Elle s'avifa d'un expédient; elle coupa la jup-
pe noire d'une de fes Poftulantes, dont elle fit
quelques voiles qu'elle diftribua à celles qui
n'en avoient point. Elles entrérent donc dans
la Ville en filence & avec une grande modeftie.
On a fçu qu'une d'entr'elles, la Sour Anne-
Eugénie, récita fonChapelet le long du che-
min auffi tranquillement que
fi elle eût fait la
proceffion dans le cloître de P. R. Le monde
ne pouvoit s'imaginer ce que c'étoit que cette
proceffion infolite. Les uns penfoient que c'é-
toit un nouvel établiffement que ces Religieu-
fes venoient faire dans la Ville: d'autres fe dou-
toient de ce qui étoit arrivé; & tous étoient
dans l'admiration, en les voyant défiler ainfi
deux à deux, le voile baiffé. La Mere condui-
fit fes filles dans la premiére églife qui fe ren-
contra fur le chemin, qui étoit celle des Jéfui-
tes. Le Grand-Vicaire de Pontoife & le Docteur
Duval, qui étoient amis de la Mere, vinrent
la trouver dans l'Eglife, pour délibérer fur ce
qu'il y avoit à faire. Les Carmelites, les Urfu-

lines, l'Hôtel-Dieu envoyérent offrir leur maifon à la Communauté ambulante, ou en tout ou en partie. La Mere les remercia de leurs offres, & prit le parti que lui offrirent ces deux Meffieurs, d'aller fe loger dans le grand-Vicariat qu'on leur abandonneroit.

Avant que de fortir de l'Eglife, elles dirent Vêpres toutes ensemble: enfuite s'étant mifes en marche de proceffion, comme elles avoient fait en arrivant, elles pafférent par les rues de la Ville pour fe rendre au grand-Vicariat. Toute la Ville accourut au fpectacle. On les regardoit en filence : quelques-uns même fe mettoient à genoux par refpect. Lorfqu'elles furent arrivées, des perfonnes charitables de la Ville s'emprefférent de leur envoyer des lits & de la vaisselle; enforte que dès le Jour même elles fe trouvérent fournies de tout le néceffaire. On fit auffi préfent à la Mere de quelques fommes d'argent qu'elle reçut avec une grande joie, s'eftimant heureufe de recevoir quelqu'affiftance en qualité de pauvre. Elle penfa fur le champ à difpofer tout pour établir la clôture, & pour former des lieux réguliers, afin que fon petit troupeau ne fe dérangât point. La chofe fut exécutée promptement. Le lendemain on leur dit la Messe dans une Chapelle que le Grand-Vicaire avoit fait accommoder dès la veille : l'après midi elles chantérent Vêpres, que beaucoup de monde vint entendre. Elles firent, enfuite de Vêpres, l'oraison avec un recueillement que tout le monde admiroit, auffi bien que la tranquillité, l'ordre, le filence qui regnoient au milieu de ces filles, comme s'il ne leur étoit rien arrivé.

XLII.

Nouvel enlévement de

Pendant qu'elles s'arrangeoient ainfi pour fatisfaire à leurs devoirs dé Religieuses, la Providence arrangeoit leurs affaires au dehors. Ce la Dame d'E

frées. La Me- portier qui avoit été maltraité la veille les par re Angélique Gentilshommes, étoit venu droit à Paris doneft ramenée à ner avis de tout à fa famille. M. Arnaud le pere Maubuiflon, étoit en campagne. Son fecond fils, celui qui a été depuis Evêque d'Angers, prit la place de fon pere, fe donna les mouvemens néceffaires en pareil cas, & obtint dès le lendemain de la Chambre des Vacations un Arrêt pour enlever de nouveau la Dame d'Eftrées, & remettre en place la Mere Angélique. Il y eut en même tems un ordre de la Cour au Chevalier du Guet de fe tranfporter avec fes Archers à Maubuiffon, L'exécution ne tarda pas. Dès le même jour à cinq heures du foir l'Officier arriva avec une escorte de 200. Archers. La Dame qui étoit fur la défiance, avoit mis des gens au guet, pour l'avertir fi l'on voyoit arriver quelques compagnies du côté de Paris. Comme on lui donna avis qu'on voyoit quelque chofe de loin, elle prit fon parti & s'enfuit par une fauffe porte qu'elle avoit tenue toute prête, auffi bien que les Gentilshommes qui étoient auprès d'elle.Elle alla fe cacher chez les Jéfuites de Pontoife. Il n'y eut que fa confidente, la Mere Laferre', qui n'eut pas le bonheur de fe fauver. Elle fe cacha elle & fes papiers dans une haute armoire pratiquée dans la voûte, fur laquelle retomboit une tapifferie: c'étoit dans la chambre d'une Religieufe qui étoit d'intelligence avec elle. Elle y monta par une échelle, & y porta quelques vivres à tout événement. L'Officier ayant fait la vifite par tout fans rien trouver, laiffa cent Archers pour garder l'Abbaye, & s'en alla à Pontoife avec le refte. Il annonça à la Mere Angélique les ordres qu'il avoit, & fans lui faire de commandement, il lui dit avec politeffe que S. M. défiroit qu'elle retournât à Mau

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